Histoire triste qui vous concerne et... peut tout de même finir mieux
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Voilà l’histoire de Paul.
Que tous ses amis appellent « ce con de Paul », parce qu’il ne manque jamais une occasion d’en raconter une bien bonne ou de faire l’imbécile. Seulement voilà, Paul n’est pas juste « con » au sens où on l’entend gentiment, il l’est profondément. Alors, du coup, il va au parc, parce qu’il fait beau, il va chez ses potes, parce qu’il en a l’habitude, il va promener un chien dont seuls ses enfants s’occupaient auparavant, parce que ça lui fait une excuse pour traîner dehors. Paul s’est même mis au jogging.
Paul pense être un peu à part, peut-être même un rebelle.
Mais Paul est en fait un criminel, en plus d’être un con.
Paul, parce qu’il ne respecte ni la loi ni le bon sens, va se faire contaminer. Et puis, à son tour, il va contaminer des gens. Beaucoup de gens.
Certains vont s’en tirer, d’autres vont passer un sale moment, d’autres encore vont mourir.
Et tous ces gens vont prendre de la place dans les hôpitaux. Ils vont occuper des lits dont on manque, ils vont contribuer à épuiser un peu plus un personnel essentiel qui n’est pas composé de surhumains mais de gens normaux, ayant leurs limites.
Une nuit, Paul est réveillé par une toux. Un son qu’il n’avait encore jamais entendu jusqu’alors. Ce son, c’est la gorge de sa femme, cherchant désespérément de l’air, qui le produit.
Paul s’affole. Il n’a plus du tout envie de faire le con.
Il embarque son épouse dans la bagnole et fonce à l’hôpital. Il roule vite. Il dit à la femme qu’il aime qu’elle n’a pas à s’inquiéter, qu’il va la sauver, que tout ira bien. Il parle un peu trop fort, d’une voix chevrotante. Il a peur. Mais il compte sur les médecins.
Arrivé à l’hosto, Paul constate, contrairement à ce qu’il pensait, que sa femme n’est pas prioritaire. Que tous les lits sont occupés. Que la morgue elle-même déborde. Il gesticule, il proteste, il crie… mais la froideur des mathématiques se fiche bien des émotions humaines. S’il n’y a que 40 places et que l’on est face à 50 cas critiques, ou même 41, alors il faut faire un choix… et laisser des gens de côté, ou au moins dans des conditions non idéales.
Le 39ème lit est occupé par Nadine. La mère d’un ami de Paul, qu’il a contaminée quand il se sentait fort et invulnérable. Le 40ème lit est occupé par une petite fille. Son cas est plus complexe. Paul, alors qu’il était déjà contaminé et qu’il vagabondait partout, s’est gratté le nez puis a poussé la porte d’un commerce. Une maman célibataire est passée juste après lui. Oh, une maman sensée et intelligente, qui portait des gants et en avait mis à sa petite fille aussi. La petite fille a touché la porte de la main, ce qui n’a eu aucune conséquence, puisqu’elle avait des gants. Puis, dans le magasin, elle s’est touché le visage, sans même s’en rendre compte. Cinq jours après, elle toussait et avait de la fièvre. Une semaine après, une mère en pleurs l’accompagnait à l’hôpital et la laissait, seule, dans ce 40ème lit.
Paul, lui, ne sait rien de tout ça. Il est en colère, il éructe sur les politiques (et ils ont effectivement leur part de responsabilité dans le délabrement des hôpitaux), sur les toubibs, sur ces gens qui ne veulent pas l’entendre…
Paul va s’en sortir. Les cons, souvent, s’en sortent, surtout de nos jours, même si ça doit filer une chiasse virtuelle à Darwin. Il n’aura jamais développé aucun symptôme. Il n’aura jamais compris le rôle qu’il avait joué dans la mort de sa propre femme.
Parce que la contamination prend des formes que nous ne sommes pas en mesure d’imaginer. Une sortie, aussi banale soit-elle, un simple geste machinal, peut engendrer des conséquences majeures et irréversibles.
Mais il reste tout de même une raison d’espérer : Paul, lui, n’avait jamais lu cette histoire.
Maintenant, ce n’est plus votre cas.