Les armes dans la fiction... et dans la réalité
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On voit beaucoup de choses très exagérées, en fiction, sur les armes, notamment les armes à feu. Et dans la réalité, il y a énormément d’idées reçues absurdes également. On va tenter, du coup, de clarifier un domaine qui reste, pour trop de gens, parfaitement flou.

Alors, pour le grand public, en général, les idées reçues principales sur les armes, en schématisant, c’est qu’elles sont en vente libre aux États-Unis et totalement interdites en France. Et que la loi permet d’avoir un impact sur les morts par armes à feu. Hmm… non. Ces trois idées reçues sont fausses.

Tout d’abord, on ne peut pas parler des États-Unis comme on parlerait d’un pays comme la France. Les États-Unis étant constitués de 50 États, il existe donc 50 législations. Certaines très restrictives, d’autres plus permissives, mais aucune, évidemment, ne permet d’acheter des armes de guerre. De plus, être autorisé à détenir une arme ne signifie pas que l’on peut se balader avec.
Bien souvent, aux États-Unis, un permis est nécessaire pour détenir une arme à feu. Pour l’obtenir, il faut avoir un âge minimum (21 ans en général), fournir ses empreintes digitales, avoir un casier vierge, payer une taxe et suivre une formation. Et vous allez voir que, contrairement à ce qui se fait en France, c’est plutôt pas mal et bien pensé !

Pour en terminer avec les États-Unis (vu que ce n’est pas ce qui nous intéresse), il faut encore aborder le nombre élevé de morts par armes à feu dans cette fédération. Cela pourrait amener à penser que les simples citoyens ont trop d’armes et sont trop prompts à s’en servir. Sauf que… évidemment, les morts par armes à feu sont principalement causées par les gangs, la mafia, les criminels, et pas monsieur et madame tout le monde.
Les membres, très violents, des gangs de Los Angeles, par exemple, ne vont pas dans une armurerie pour payer une taxe et déposer leurs empreintes. Ils piochent dans le marché illégal, qui est, par nature, insensible au renforcement de la législation.
Même la tuerie de Columbine, contrairement à ce que l’on croit, a été effectuée à l’aide d’armes qui n’ont jamais été achetées légalement par ses auteurs.


Mais bref, laissons là la lointaine Amérique et voyons un peu de quoi il retourne en France.
Les armes sont, chez nous, divisées en 4 catégories (avec des sous-catégories, mais on va faire simple).
La catégorie A : ce sont des armes de guerre. Elles sont interdites. Mais, pour autant, c’est évidemment ce type d’armes, totalement interdites à la vente, qui sont saisies lors de l’arrestation de membres de gang (braqueurs ou dealers). Les hors-la-loi, par nature, ne sont pas affectés par la loi.
La catégorie B : ce sont des armes autorisées à l’achat, mais sous autorisation. C’est assez chiant, il faut pas mal de paperasse, à renouveler en plus. Typiquement, on va retrouver dans cette catégorie des armes de poing par exemple (mais pas seulement).
Simple, basique. [1]
La catégorie C : ce sont des armes autorisés à l’achat, qui se déclarent mais ne nécessitent pas d’autorisation. Il faut une licence FFT pour les acquérir (ou un permis de chasse), ce qui ressemble pas mal à la taxe US évoquée plus haut. Là, on va trouver des armes de chasse, en calibre 12, ou des carabines 22 long rifle par exemple. Par contre, aucune formation n’est dispensée (pas dans les clubs en tout cas, et même lorsqu'elle existe, elle n'est pas nécessaire pour l’acquisition des armes). Ouille.
La catégorie D : vente libre (mais sous conditions, souvent absurdes). Alors, il n’y a pas grand-chose dans cette catégorie, évidemment. On va trouver par exemple des armes tirant des munitions à blanc (ce qui ne veut pas dire qu’elles sont inoffensives, bien des benêts se sont tués avec ça), des Gomm-Cognes (des armes à feu tirant des munitions sublétales [0] en caoutchouc dur) et des armes à poudre noire (les Colt et Remington des westerns par exemple). 

Si vous voulez tout de suite un exemple de législation complètement conne, en prenant la catégorie D, voilà ce qui est nécessaire pour l’achat de deux armes, très différentes : pour un Gomm-Cogne, un monocoup tirant des machins en caoutchouc, il faut une pièce d’identité, une déclaration en préfecture et un certificat médical. Bon, c’est bien, au moins, ça évite que des tarés achètent ça, même si ce n’est pas très efficace en matière de neutralisation. Pour un revolver à poudre noire, donc un six-coups, tirant de vraies balles, qui tuent, il faut… rien. Même pas une pièce d’identité. Tu paies, tu repars avec. Oups.

Attention, je ne suis pas en train de vous dire qu’il faudrait assouplir la législation existante, je dis qu’à mon avis, elle est débile et dangereuse. Et conçue, comme tout en France, par des demeurés qui n’y connaissent rien.
Je pense (très sincèrement) que 99 % de la population n’est pas capable de détenir une simple bagnole… alors une arme, argh. Mais, bon, les choses étant ce qu’elles sont, il faut faire avec. Ce qui ne veut pas dire, puisque la perfection est impossible, que l’on ne peut pas améliorer la législation existante (ce qui n’aura donc aucun impact sur la criminalité, on est d’accord).
Par exemple, comment se fait-il que l’on puisse détenir une arme à feu aussi puissante qu’un calibre 12 sans formation minimale ? D’ailleurs, le problème se pose aussi avec du 22 LR, cette munition sous-estimée (qui ne convient certes pas aux militaires et aux forces de l’ordre en général) mais qui reste efficace et mortelle pour des particuliers qui, en plus, la considèrent à peine plus sérieusement qu’un Nerf.

En haut, un Colt .44, tout à fait fonctionnel. En bas, une réplique inoffensive. [2]

Le problème vient du fait que la législation, dans bien des domaines, est conçue sous l’impulsion de l’affect momentané de la foule. Une tuerie et hop, le brave citoyen va vouloir durcir la législation (et non l’améliorer). Et comme le déjà moins brave politique dépend du vote de ce citoyen, il va le suivre, et rendre certains achats plus complexes. Ce qui va emmerder le voisin du brave citoyen, un voisin qui ne bute personne, mais ce qui ne va avoir aucun impact sur le criminel, qui achète son AK-47 au marché noir.
Parlons-en un peu de ces fusils d’assaut. Je vais prendre un exemple concret, parce que les films vous ont habitués à des conneries. Si vous vous faites allumer par du 7,62, bonne chance ! Si vous vous planquez derrière une bagnole par exemple, ben… vous allez crever. Car, contrairement à ce que l’on voit dans bien des fictions, cette munition ne se contente pas de faire des trous sur l’un des flancs d’un véhicule. Elle le transperce de part en part, et le couillon qui s’est abrité derrière avec.
Quand vous voyez par exemple, dans The Walking Dead, que des mecs, à 10 mètres de distance, se protègent de tirs de fusils d’assaut grâce à… de la tôle ondulée, c’est stupide. On dirait un gun fight improbable des années 70.

Tant qu’on en est sur les idioties de la fiction, autant préciser quelques points :

1. L’erreur la plus courante faite par les auteurs ou traducteurs est la confusion entre revolver et pistolet.
a. Un revolver est une arme à barillet, que ce soit les revolvers de western, à poudre noire, ou des armes utilisant des munitions modernes.
b. Un pistolet est une arme moderne à chargeur ou un modèle ancien, monocoup, avec chargement par la gueule.
c. Un pistolet a donc toujours sa chambre unique alignée avec le canon. Dans un revolver, les différentes chambres effectuent une rotation (d’où le nom).

2. Le "machin" sur lequel on appuie pour tirer s’appelle une "queue de détente", abrégée en "détente". On n’appuie donc pas sur la "gâchette", la gâchette étant un mécanisme interne de l’arme.
Évidemment, certaines expressions fautives, comme "un fou de la gâchette", sont passées dans les mœurs et ne peuvent pas être modifiées.

Le MP-40 en action. [3]
3. Les termes "mitrailleuse" et surtout "mitraillette", même s’ils existent d’un point de vue grammatical, ne désignent absolument rien pour un militaire ou un armurier. On parle plutôt de pistolet-mitrailleur et de fusil-mitrailleur (ou de fusil d’assaut pour les armes modernes). La distinction est une question de calibre et d’usage.
Quelques pistolets-mitrailleurs : le Thompson 1921 des films de gangsters période Prohibition ; le MP 40 allemand de la Deuxième Guerre mondiale ; le plus moderne Uzi, utilisé parfois par des services de protection rapprochée pour son côté compact.

4. Il n’existe pas d’arme de poing ou de fusil, quel que soit le calibre, capable d’arrêter la course d’un véhicule ou de tuer par simple onde de choc (je te touche au bras et tu meurs : FAUX ; je te frôle et tu meurs : FAUX), ce sont des légendes colportées par des ignorants. De la même manière, un tir de fusil à pompe ne projette pas un type 3 ou 4 mètres en arrière, c’est physiquement impossible. Au cinéma par exemple, des considérations esthétiques font que, bien souvent, les réalisateurs optent pour le spectaculaire plus que le réalisme, ce qui se comprend tout à fait.  

5. Certaines armes ayant une belle carrière au cinéma, comme le Desert Eagle, sont en fait des armes "de merde" (présentant de nombreux défauts), qui ne sont employées par aucun professionnel. Ce truc est bien trop lourd et encombrant (avec des munitions hors de prix) pour intéresser la police, l’armée ou même les mafieux. C’est, au mieux, une curiosité pour collectionneurs et tireurs sportifs (et encore, à mon humble avis, c’est super moche).

6. Enfin, si l’on s’écarte des armes à feu, la distinction entre sabre et épée ne provient pas du fait que la lame soit ou non courbée (il existe des sabres droits) mais du tranchant. Le sabre n’en possède qu’un, l’épée en a deux.

Ça déboise sévère dans Predator. [4]

Que retirer de tout ça ? Est-ce que ces précisions sont importantes ?
Bah, un peu, quand même. 
Premier cas : tu es un auteur (je te tutoie hein, mais en même temps, vu que tu es un individu imaginaire, tu vas pas commencer à faire chier). Du coup, c’est pas plus mal de te documenter (c’est très facile de nos jours) et d’éviter d’écrire des énormités. Même si l’ultra-réalisme n’est pas le but d’une bonne fiction, il convient tout de même de rester vraisemblable et de faire un effort en ce qui concerne la maîtrise des sujets abordés. Sinon, t’as l’air d’un pignouf. Après, c’est toi qui vois.
Deuxième cas : tu es juste un citoyen, dans le monde réel. Évidemment que c’est important du coup, vu que c’est toi qui vas gueuler pour faire bouger les incapables que tu as élus. Et c’est sans doute mieux de savoir ce qui est incomplet, étrange ou carrément dangereux dans une législation commentée par tous mais connue par peu.

Reste à aborder le côté éthique, la morale. Car certaines personnes, et c’est leur droit, estiment qu’une arme est par nature nocive et qu’il faudrait les interdire toutes pour éradiquer la violence.
À cela, je réponds ceci : lorsque les armes à feu n’existaient pas, les gens se tuaient déjà. En masse. Et même lorsque les arbalètes, les sabres, les haches, n’existaient pas, la violence et les meurtres étaient déjà présents.
En haut, un revolver tirant des munitions à blanc, en 9 mm. En bas, un Gomm-Cogne calibre 12. [5]
Le problème ne vient pas des outils, on en trouvera toujours. Même quand l’utilisation du katana est interdite sur l’île d’Okinawa, la population va alors se servir d’objets usuels pour concevoir des armes d’un nouveau genre, très discrètes mais très efficaces. Et, allons plus loin, une cuillère à soupe peut être mortelle. L’on ne peut, en interdisant l’outil, effacer la violence inhérente à la nature humaine. Voire à la nature tout court. Mieux (ou pire), l’être humain est doté dès la naissance d’un certain nombre d’armes très efficaces. Difficile pour autant de l’amputer de ses mains, pieds, coudes, genoux, et de son cerveau en prime…

L’arme, notamment l’arme à feu, ne rend pas plus facile le passage à l’acte. Les gens tranquilles, sans histoires, ne vont pas aller buter le facteur sous prétexte que leur colis est en retard et qu'ils possèdent un flingue. Par contre, cela permet à des gens, inférieurs physiquement à certaines brutes, de se défendre. Cela permet même à la police d’agir au mieux lors de prises d’otages. Les armes ne sont, en réalité, ni bonnes ni mauvaises. Tout dépend de l’utilisation que l’on en fait. Le parallèle avec la voiture reste vrai : à ce jour, la bagnole est l’arme par destination qui tue le plus en France. Chaque jour, des gens tuent avec ça. Parle-t-on pour autant d’interdire les véhicules ? Ou de renforcer la législation concernant leur usage ? Non, on a au contraire donné à des connards inconscients un crédit de conneries, leur permettant de faire tourner le commerce (en payant des voitures à crédit, en payant des assurances, des permis, des contrôles techniques, des péages, des stages de récupération de points, des places de parking, des pneus, de l’essence…).
Voilà la triste réalité. Si une arme rapportait autant qu’une caisse, vous auriez déjà tous des fusils d’assaut chez vous. Et vous trouveriez ça normal, parce qu’on vous aurait habitués, dès l’enfance, à penser que c’est normal d’avoir un flingue et de l’utiliser sans être parfaitement formé. Tout comme on vous a habitués à penser que tuer des innocents sur la route était acceptable et relevait du manque de chance, alors que la plupart des gens ne respectent pas les limitations de vitesse et que l’État accepte ce comportement et encourage même cette criminelle insouciance.

Les armes sont importantes dans les œuvres de fiction. Et, dans les fictions, ce n’est pas grave de n’avoir que peu de connaissances pour les condamner ou soutenir leur utilisation.
Les armes sont importantes aussi dans le réel. Et là, il vaut mieux les connaître un peu (nul besoin d'être un expert) pour donner son avis sur leur usage, et il faudrait surtout avoir une véritable formation pour les détenir [6]. Au lieu de cela, comme pour la plupart des sujets vitaux, les gouvernements successifs réagissent suivant l’émotion de la masse, et non le bon sens ou l’avis des spécialistes.

Allez, on va terminer par deux armes de fiction, mythiques, dont il existe des répliques malheureusement hors de prix. Et là, venez pas me dire qu'une arme c'est pas beau, bordel !

Le blaster de Deckard dans Blade Runner. Il existe même des modèles "faits maison" plus réussis.



Le légendaire M-41 de Aliens. Il existe de véritables armes qui reprennent son design (et le compteur digital).



[0] Une arme ou munition dite "sublétale" ne veut pas dire qu'on ne peut pas tuer quelqu'un avec. Juste que ce n'est pas conçu, à la base, pour tuer.
[1] Le fusil en calibre 12, par sa polyvalence et sa facilité d'emploi et d'entretien, est une excellente arme individuelle.
[2] L'on voit ici l'intérêt des mises en garde quant à l'utilisation de répliques lors de manifestations (festival ou n'importe quel binz permettant de faire un peu de cosplay) : il est impossible, si elles sont bien faites, de les distinguer des armes réelles.
[3] Parfaitement efficace en combat rapproché, le MP-40 était par contre inadapté aux tirs à longue distance. Les fusils et PM allemands furent (plus ou moins) remplacés par la suite par le Sturmgewehr 44, qui associait précision et puissance de feu. Il est considéré (à raison) par beaucoup comme le premier fusil d'assaut.
[4] Évidemment un minigun, dérivé de la célèbre Gatling, n'est pas une arme que l'on refile à un pauvre troufion (c'est un peu... lourd). Elle équipe par contre certains hélicoptères ou embarcations.
[5] Deux armes inefficaces en défense individuelle (car ne permettant pas de neutraliser un agresseur), mais suffisamment dangereuses pour causer de lourds dégâts à son propriétaire si celui-ci ne respecte pas les règles de sécurité.
[6] Il existe 4 règles de sécurité importantes concernant les armes à feu, il n'est pas inutile de les rappeler :
- Une arme est toujours chargée. Même si elle ne l'est pas. Ça a l'air bizarre, mais c'est très compréhensible. Si vous commencez à développer deux types de comportement, l'un avec des armes considérées chargées, l'autre avec des armes considérées non-chargées, vous allez, un jour, vous tromper. C'est juste une question de temps. Et les erreurs, avec les armes, ne pardonnent pas. Alors, même si vous êtes certains que votre flingue est déchargé, en fait, non, il est chargé. Toujours.
- On ne pointe pas une arme en direction de quelque chose que l'on ne veut pas détruire. Si votre canon se retrouve en face de votre télévision ou, pire, de l'un de vos proches, ou de votre foutu pied, alors vous ne savez pas la manipuler. Même dans le stress des combats, les soldats apprennent par exemple à effectuer leurs déplacements sans pour autant "viser" leurs collègues. Se retrouver avec une arme (considérée chargée) pointant vers quelqu'un dans un stand de tir devrait aboutir à une sanction immédiate et définitive.
- On ne se balade pas avec le doigt sur la queue de détente. L'index reste hors du pontet tant que la décision de tir n'est pas prise.
- Lorsque la décision de tir est prise, il faut être certain de sa cible et de son environnement immédiat. Il ne suffit pas de simplement viser un carton, il faut être certain que rien ne se trouve derrière, que la balle sera stoppée, que personne n'est en train de faire l'imbécile à côté (ou pas très loin), etc. Vous êtes responsable de tout ce qui se passe entre la décision de tir et l'impact.
Je termine par une anecdote personnelle. Je me trouvais un jour dans une armurerie, pour acquérir un couteau (je collectionne des tas d'armes différentes, pour de nombreux usages, il m'arrive même d'acheter des armes que je sais être "nazes"). L'armurier me met en garde en saisissant le couteau qui m'intéressait. Il me dit "attention, celui-ci, il faut être prudent, la lame coupe comme un rasoir". Et, en même temps qu'il me sort ça, il s'ouvre la main en le manipulant. Et effectivement, aucun doute sur l'aspect coupant, il a dû fermer boutique et partir aux urgences. Ce qui est important ici, c'est que le fait de connaître les règles ne suffit pas. Il faut les intégrer, les comprendre, respecter les armes et même les craindre. Si un professionnel se blesse alors qu'il récite une mise en garde, vous comprenez bien que non seulement le danger est réel pour l'utilisateur, mais aussi qu'il est très facile de se bercer d'illusions et de croire que l'on respecte une procédure que l'on applique en réalité imparfaitement. Si vous n'êtes pas suffisamment rigoureux, posséder et manipuler une arme restera toujours une mauvaise idée.