Reckless #2 - L'envoyé du diable
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L'envoyé du diable, dîtes-vous ? Que voilà un album bien nommé !
Le diable se cache, dit-on, dans les détails... eh bien, une fois de plus, la sagesse populaire tutoie la vérite.


Notre critique du premier tome se voulait honnête et témoignait de notre déception face à un album écrit avec fainéantise et dessiné à la hâte pour un résultat global indigne de la carrière de ses auteurs. 

Mais que vaut sa suite, au-delà de sa couverture, toujours impeccable ? Cette robe délicieusement vintage et affriolante cache-t-elle enfin une beauté plantureuse ou bien, comme la première fois, Gilbert, maçon célibataire chauve et bedonnant de 55 ans, a-t-il décidé de l'enfiler pour se faire difficilement passer pour ce qu'il ne sera jamais ? 
Oh... petite note au passage aux braves gens qui trouveraient cette métaphore sexiste, misogyne ou transphobe : vous n'avez pas de vrais combats à mener ? 

Nous voici donc en présence d'un Ethan Reckless, toujours aussi adepte du soliloque intérieur "pour faire polar", qui nous narre une des aventures qu'il vécut en 1985. 

Dès le départ, le ton est donné : le gars n'a guère aimé cette époque. Il faut dire que l'énumération de plaies telles que les drogues de mauvaises qualité (ah ben oui, il en parle comme d'un souci dès la deuxième case), le rock criard ("C'est pas de la musique, ça, ma bonne dame"), les boîtes à rythme, les kilos de coke enfilés par les stars de ciné et de Wall Street et les skinheads, on a plutôt envie de lui donner raison... Les années 80, c'est Depeche Mode et Duran Duran, quand même ; autant dire que ça mérite moins de respect qu'un honorable rouleau de Moltonel. 


Mais soit... en ces années honteuses méritant déjà à elles seules le titre de ce comic, Ethan va rencontrer Linh Tran, une jolie bibliothécaire vietnamienne qui va l'aider à trouver des indices pour boucler une enquête. Oui, Tran... pour une vietnamienne... Visiblement, Brubaker est à ce point fatigué qu'il attribue à ses personnages les noms les plus usités dans leur pays d'origine. On doit sans doute être heureux de ne pas avoir eu droit à Nguyen. Quant à Linh, pour les curieux, ça signifie "âme". Dans un album faisant mention du proprio des Enfers, serait-ce une coïncidence ou l'ami Ed cède-t-il vraiment à toutes les facilités ? Eh bien sachez juste que Brubaker garde les coïncidences pour ses scénarios ; voilà qui est dit ! 
Toujours est-il qu'Ethan et Linh s'entendent assez pour flirter, se rapprocher, faire zizi-panpan (ce qu'on ne peut s'empêcher de nous montrer vu que ça fait polar) et se livrer ensemble à ce fameux procédé bien connu des auteurs essoufflés, en bout de course et pressés par le temps : la putain de coïncidence improbable !

En effet, dans le cinéma désaffecté qui lui sert encore et toujours de quartier général, Ethan mate de vieux films achetés d'occasion par lots. Le hasard va faire qu'il va regarder une copie rare d'un obscur navet vaguement érotique : Les sirènes de Satan ! Eh bien figurez-vous que, alors qu'elle entre dans la salle sans y avoir été conviée, Linh va y reconnaître, parmi les figurantes peu vêtues en arrière-plan, nulle autre que sa demi-sœur disparue depuis huit ans. Ca, c'est drôlement bien tombé, dis donc ! Et en plus, son petit copain actuel, présent dans la salle, est une sorte de détective privé... La vache ! J'en connais une qui doit avoir un régime à base de pattes de lapin et de trèfles à quatre feuilles !

Commence alors l'enquête : un entretien avec un ancien officier du FBI, une recherche rapide sur le film et sur la dernière adresse connue de la disparue, une entrevue avec son agent et le photographe de son book et Ethan est prêt à découvrir que Maggie semble avoir emménagé il y a un bail dans la villa d'un producteur tenant autant du harem que de la secte satanique. Ceci explique sans doute le subtil pentagramme de la couverture...
La pauvre Maggie, en effet, est tombée dans ces fameux restes glauques et morbides de la culture hippie agonisante : une débauche de sexe, d'amour libre et de défonce dans un mouvement sectaire bien dégueulasse aux mains d'un gourou aussi recommandable qu'un préservatif en verre pilé.

On vous en raconterait bien davantage mais ce serait une erreur parce que c'est à ce moment précis que le récit insipide qui s'étalait depuis près de 80 pages prend une toute autre forme et, à la moitié de cet album, on comprend enfin. On comprend peu à peu l'intrigue, bien entendu. Mais on comprend surtout que Brubaker n'a rien à foutre de l'histoire qu'il raconte. Elle ne sert qu'à nous présenter l'époque de son enfance. Une époque désenchantée, fascinée par les histoires de sectes sataniques, d'enfants kidnappés, de drogues, de nazis planqués et de néonazis, de snuff movies et de stupre traversée par un personnage plus âgé que Brubaker l'était à l'époque, histoire de pouvoir côtoyer toute cette fange humaine. 
Ça ne pardonne guère les errances du début, pas plus que la maladresse narrative de la fin qui tente de faire rentrer bien trop de thématiques en bien trop peu de pages, mais ça a au moins le mérite de justifier l'existence de cet album.

Narrativement, donc, c'est très bancal : au rythme soporifique du début succède une accélération intenable qui force le récit à user d'ellipses et de raccourcis honteux dans ses dernières pages, nous dévoilant certains pans entiers de l'enquête en voix off ; faisant fi du moindre scrupule, l'album se torche allègrement avec le "show don't tell" et finit par raconter bien plus qu'il ne montre... au point, même, de s'offrir le luxe d'une scène de kidnapping du personnage central où on l'emmène dans une planque avec un sac sur la tête. Et... croyez-le ou non, Cet escroc de Phillips nous gratifie de plus de deux planches de cases noires agrémentées de l'éternel discours intérieur d'Ethan, comme pour nous signifier une prétendue vue subjective qui n'a jusque là jamais été utilisée dans l'ouvrage.
Ça va aller, Sean ? Pas trop fatigué ? Parce que... bon... si on a déjà du mal à admettre que tu fasses un travail de sagouin en filant à une bonne partie des personnages la tronche de Cinoque des Goonies une case sur deux, si certains font même encore mine d'accepter que tu joues avec les proportions anatomiques au bon gré de ton incompétence ou de ta flemme, on va être unanimes pour dire que le coup des cases noires sur plus de deux pages, c'est une masterclass en matière de foutage de gueule.

Ne perdons pas davantage de temps... 
L'envoyé du diable est sans doute un rien meilleur que le premier Reckless. Mais il n'en reste pas moins tout à fait indigne de ce duo d'auteurs et plus encore de leur réputation. 
Bien sûr, nous lirons quand même les suivants parce que nous espérons qu'ils apprendront peu à peu de ces deux premiers tomes... mais encore faudrait-il, pour cela, que davantage de critiques osent s'en prendre à eux de façon objective, histoire que ça remonte à Brubaker et Phillips. Rien n'est moins sûr.

Allez, on vous laisse sur une case illustrant par une simple flèche un de ces procédés paresseux sur lequel se clôt l'album, dans une sorte d'aveu d'incompétence de son dessinateur : "Non, je ne saurais pas dessiner la scène depuis un point de vue différent qui montrerait l'objet caché ; bah, tant pis, je vais faire une flèche"... Minable !


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Quelques thématiques abordées dans la deuxième partie sont intéressantes.
  • L'écriture est d'abord fainéante et poussive avant de devenir maladroite et hystérique.
  • Le dessin est laborieux, parfois raté et... même carrément absent le temps d'une séquence !