La Parenthèse de Virgul #39
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Hey les Matous, ça ronronne dans les chaumières ?
On va parler fringues aujourd'hui. Non, il ne s'agit pas de vous donner des conseils vestimentaires, si on aborde les vêtements, c'est par la biais de la BD et... d'un conflit pas si bien connu que ça de ce côté de l'Atlantique.
Miaw !

Cinquante nuances de Gris
Si vous aimez la bande dessinée franco-belge, vous devez probablement connaître les célèbres Tuniques Bleues, série créée par Louis Salverius (qui sera remplacé par Lambil) et Raoul Cauvin. Série toujours en cours de nos jours et qui s'attache à suivre les aventures du sergent Chesterfield et du caporal Blutch. Ces derniers faisant partie de l'armée de l'Union, ils affrontent donc régulièrement des soldats sudistes, en général vêtus d'impeccables et immaculés uniformes gris. 
Mais qu'en était-il dans la réalité ?

Eh bien, parler d'uniformes en ce qui concerne l'armée confédérée relève presque de l'abus de langage tellement les tenues étaient disparates en son sein. Tout d'abord, il serait faux de penser que le bleu était réservé aux nordistes et le gris à leurs adversaires. Ces deux couleurs se retrouvaient dans les régiments des deux camps, ce qui donna d'ailleurs lieu à de nombreuses méprises et "tirs amis" lors des combats. 
Il faut bien comprendre également que le gris était moins un choix esthétique qu'une nécessité économique et pratique ; teindre une tenue en gris (ou une couleur approchante) s'avérant relativement peu coûteux.
Ceci dit, si le Sud disposait de matières premières suffisantes, son industrie textile était dans l'incapacité de fournir des uniformes standardisés à des centaines de milliers de combattants. La priorité était d'ailleurs donnée à d'autres secteurs plus vitaux (comme les munitions ou les chaussures). 

Le soldat sudiste va ainsi devoir recourir à du bricolage et au fameux "système D" pour se vêtir. Mélange de tenues civiles, de rapiéçage de fortune et de prises de guerre, la tenue confédérée est, dès le début de la guerre, loin d'être uniformisée. 
L'un des colorants utilisés, bon marché et facilement accessible, provient du noyer cendré et donnera aux vestes une couleur tirant plutôt sur le brun ou le beige. L'on est donc déjà loin de ce gris parfait qui est certes bien pratique en BD mais demeure un cliché. À ces teintes aux nuances très différentes, il faut ajouter les régiments de zouaves, d'inspiration européenne, qui étaient dotés de tenues jugées plus confortables et qui se révélèrent franchement exotiques avec leur touche de rouge
Bien entendu, il existait aussi des différences entre les régiments, certains optant pour des couleurs leur étant propres. Sans compter les miliciens de chaque État, qui là encore n'étaient pas dotés de tenues spécifiques et devaient faire avec les moyens du bord.

L'on pourrait penser que les officiers étaient mieux lotis, donc disposaient de tenues plus homogènes, mais la réalité est loin d'être aussi simple. Certains vétérans ressortirent de vieux uniformes en les modifiant un peu, alors que les lieutenants fraîchement sortis de l'école militaire devaient supporter la charge financière de leur équipement, ce qui ne facilita pas non plus la recherche d'uniformité. Certains éléments distinctifs, comme les galons, les épaulettes, les écharpes de couleur ou les nœuds autrichiens, furent parfois abandonnés volontairement, car trop repérables par l'ennemi. En ce qui concerne les généraux, c'est encore pire, ces derniers ayant pratiquement "quartier libre" pour déterminer leur apparence. Certains opteront pour des tenues flamboyantes, colorées et à la limite du ridicule alors que d'autres privilégieront un uniforme basique et simple, à la propreté parfois douteuse.

Ainsi, de nombreuses raisons vont engendrer l'aspect en apparence négligé des soldats confédérés, que ce soit la logistique défaillante, le coût des uniformes, les disparités entre États et régiments ou même le souci de discrétion. La distinction entre le bleu nordiste et le gris sudiste n'était donc au final pas si nette que l'on pourrait le penser, elle était même parfois inexistante. 

Voilà les matous, vous en savez un peu plus sur les problèmes vestimentaires du soldat confédéré, entre 1861 et 1865. Ça vous fera une petite anecdote pour le repas de Noël de cette année. Ou bien ça vous donnera peut-être envie de vous pencher sur Les Tuniques Bleues, une série dont tous les albums ne sont pas pleinement réussis mais qui demeure un classique du franco-belge.
Miaw !


Ci-dessus, des uniformes d'un gris impeccable. Ci-dessous, une reconstitution historique donnant un aperçu
du mélange de couleurs au sein de l'armée sudiste. Imaginez la même chose avec des trous et la crasse en plus,
et il n'est déjà plus évident de distinguer l'ami de l'ennemi sur un champ de bataille.