Celui que tu aimes dans les ténèbres
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Elle cherchait l'inspiration, elle a trouvé l'amour.
Quoi de plus beau qu'une romance ?


Rowena... Non, pardon... Ro. Ro est une artiste, une peintre. Elle a du talent. Elle a même acquis une certaine renommée. Elle n'aime pas son prénom, Rowena, parce que ça fait vieux. Mais ce qui est ancien pour elle ne l'est pas nécessairement pour moi.

L'inspiration manquait à Ro. Alors, elle a cherché un endroit isolé où se ressourcer. Elle trouvé a un vieux manoir où se remettre à la peinture. On lui a dit qu'il était hanté mais elle n'en avait rien à faire. Alors, elle a décidé d'occuper l'ancienne bâtisse... Alors, elle est venue à moi.

Et moi... Moi, je vais devenir ce qu'elle aime. Je peux être tout ce qu'elle aime. Je suis là dès qu'elle veut de moi. Je la rendrai heureuse. 

Elle veut de moi. Elle a besoin d'inspiration. Je serai son inspiration. Elle a besoin de moi. Elle m'a peint, elle m'a donné forme sous ses doigts. Je l'appelle trésor et elle aime ça... Ce que l'on vit est irréel. Elle dit que je suis irréel moi aussi. Mais le réel est un concept fluide. 

Elle et moi, nous nous blottissons dans la maison, dans la pénombre, et nous nous aimons... mais après plusieurs semaines de bonheur à être ce qu'elle aime, elle veut aller dehors. Pourquoi ? N'a-t-elle pas tout ce qu'il lui faut auprès de moi, avec moi, en moi ? Je suis ce qui l'aime, je suis ce qu'elle aime. Pourquoi ne suis-je pas suffisant ? Pourquoi veut-elle de la lumière ? Pourquoi veut-elle sortir là où je ne peux être ?

Il faut qu'elle m'aime à nouveau. Je la ferai m'aimer à nouveau.


Celui que tu aimes dans les ténèbres est la première incursion du duo Skottie Young et Jorge Corona dans le genre horrifique (après la fantasy très légère de Middlewest) et le moins que l'on puisse en dire est que c'est une réussite formelle. Mais, qui plus est, cela s'avère être une réflexion métaphorique pertinente sur les relations toxiques de possessivité que peuvent développer certains êtres qui se vouent entièrement à l'objet de leur amour, ces âmes égarées qui, en couple, finissent par ne plus se voir qu'à travers les yeux de l'autre, par n'être plus vivants que par procuration.

Envoûtant, angoissant puis terrifiant, ce comic, paru dans la collection Indies de Urban, a le bon goût de maîtriser tout autant son ambiance que son sujet, son histoire que son esthétique et son message que sa narration.

Le dessin de Jorge Corona et la mise en couleurs de Jean-François Beaulieu sont des modèles d'adéquation au récit. 

La lecture d'une bande dessinée horrifique a cela de particulier qu'elle nous oblige à voir, bien plus qu'un roman ou un film. Impossible ici de sauter un passage qui nous effraie et d'échapper au malaise en sautant les pages sans lire : les dessins s'imposent à nous, nous sautent aux yeux et s'agrippent à notre imagination contre notre gré ; impossible ici de cligner des yeux un peu trop longtemps pour éviter la scène que l'on sent venir et qui dérangera notre petit confort mental : il nous faut lire et tourner les pages, ça ne se fait pas les yeux fermés. Lorsque c'est bien fait, la bande dessinée d'horreur nous semble plus puissante que les autres médias en matière de restitution de cette inéluctable obligation de regarder l'indicible en face. Cet effet, qui nous avait déjà marqué avec Infidel de Pornsack Pichetshote et Aaron Campbell, nous le retrouvons ici encore par d'autres procédés et sous d'autres facettes.

Nous vous préconisons la lecture de Celui que tu aimes dans les ténèbres à une heure avancée de la soirée, lorsque les ténèbres s'emparent de votre foyer et que le moindre objet familier génère depuis sa base une ombre fantomatique glissant sur les murs, tel un amour transi désireux de se pencher sur vous pour vous étreindre de sa noirceur.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un bon scénario mêlant horreur concrète et psychologique.
  • Un dessin et une mise en couleurs parfaitement adaptés.
  • Un rythme de narration maîtrisé.
  • Le récit tombe parfois dans quelques clichés du genre mais rien qui puisse vraiment vous empêcher d'en savourer la qualité !