Rasl
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Retour sur la série Rasl.

Tout comme pour son excellente série Bone, Jeff Smith signe ici scénario et dessin. Autres points communs, il s'agit également d'une œuvre auto-produite à l'origine et cette version est mise en couleurs par le même Steve Hamaker.
Malheureusement, les similitudes s'arrêtent là. 
Mais voyons un peu l'histoire. Robert Johnson, alias "Rasl", un ancien scientifique, a découvert le moyen de voyager dans des mondes parallèles. Plutôt pratique, même s'il se sert de cette fantastique découverte pour dérober des objets de valeur.
Il va cependant bientôt être poursuivi par un étrange tueur à tête de lézard, ce dernier étant à la recherche de documents importants que Rasl détient.

Premier constat, on est très loin de l'univers de Bone. Ce n'est bien entendu pas un défaut en soi, par contre ce changement de registre est fort mal présenté. On nous parle notamment, sur la quatrième de couverture, d'univers plus "adulte". Bone - un chef-d'œuvre vivement conseillé ! - n'avait pourtant rien d'enfantin lorsque l'on creusait un peu, simplement, l'on passe d'une série heroic fantasy très cartoony à de la SF contemporaine, un peu plus réaliste dans l'aspect. Réaliste mais pas forcément passionnante, malgré de bonnes idées. Smith s'inspire notamment de citations de Nikola Tesla ou de la très hypothétique et fumeuse "expérience de Philadelphie" [1] mais malgré cela, l'intrigue peine à susciter un véritable intérêt.




En effet, le récit commence très, très lentement. On ne sait rien du personnage, on ne comprend pas toujours bien de quoi il est question, les scènes sans dialogues, à la langueur irritante, s'enchaînent au fil des planches... 
Il faut attendre le dernier quart du premier album (édité en VF par Delcourt) pour commencer à avoir non forcément des éléments de réponse (il ne s'agit pas de dévoiler toute l'histoire d'un coup) mais quelque chose à quoi se raccrocher.
C'est là que l'on voit aussi les limites de l'auto-édition [2]. Difficile en effet de croire qu'un (bon) éditeur n'aurait pas fait quelques suggestions quant à la structure même de ces premiers chapitres.
Il est en effet très improbable d'avoir envie de continuer à suivre les aventures d'un personnage dont on ne sait rien, poursuivi par un second larron encore plus obscur, le tout baignant dans une sorte de fiction scientifique très simpliste qui ne tire absolument pas parti des concepts fascinants qu'elle aborde.

Reste la patte graphique de Smith, agréable mais qui convenait mieux à l'univers plus "rond" et enchanté de Bone. La représentation des bonds, d'univers en univers, est notamment particulièrement quelconque. Heureusement, Delcourt a choisi la version colorisée (à l'origine, Rasl est en noir & blanc pour de pures raisons logistiques et économiques, tout comme Bone [3]), ce qui permet d'éviter visuellement la grisaille et l'impression de dépouillement qui sont déjà bien présentes dans la narration.

Au final, eh bien... cette série (15 épisodes en tout, publiés de 2008 à 2012) est loin d'être réussie et s'avère même très décevante.
Où donc est cette fabuleuse capacité de Smith à faire exister en quelques cases même les plus extravagants personnages ? Que reste-t-il de son humour, de sa subtilité ? De son habileté narrative, de sa manière extraordinaire de faire naître l'émotion d'un petit rien ? 
Changer d'univers est une bonne chose pour un auteur, mais cela ne suppose pas de faire passer à la trappe toutes ses qualités. C'est à se demander si une version française se justifiait, car à part le prestige lié à l'œuvre précédente, on ne voit pas trop sur quoi se base l'éditeur pour prendre le risque de cautionner un récit digne d'un fanzine.  

Un auteur pourtant talentueux et une idée excitante pour un résultat médiocre et trop amateur.





[1] Une expérience censée avoir été menée par la Navy pendant la Seconde Guerre mondiale et qui devait permettre de rendre les navires indétectables par les radars ennemis, voire même invisibles. Cela donnera lieu à divers films dont celui de Stewart Raffill, en 1984 : The Philadelphia Experiment
[2] Limites détaillées dans cet article sur l'édition en général.
[3] L'article consacré à la série contient, à la fin, des comparaisons qui permettent de constater à quel point les planches gagnent en charme (et même en éléments de décor) dans la version Hamaker. 



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un concept qui aurait pu être fascinant s'il avait été mieux traité.
  • Un ennui total.
  • Une certaine aridité du texte et des dessins.
  • Un personnage principal manquant de charisme et d'épaisseur.
  • Une narration globalement poussive.