Futures End
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Le premier tome de la saga Futures End est maintenant disponible chez Urban Comics.

Nous sommes 35 ans dans le futur. L'Œil, un satellite construit par Bruce Wayne mais étant devenu autonome, a entrepris d'éradiquer toute vie sur Terre. Les héros sont transformés en cyborgs insectoïdes, quelques rares survivants tentent encore de résister.
Malheureusement, le plan de la dernière chance échoue. Pour renverser le cours des évènements, puisque le présent est perdu, il faut tenter d'aller combattre le mal à sa source, dans le passé.

Cette énorme saga de DC Comics débute donc en France ce mois.
Au scénario, l'on retrouve Brian Azzarello (auteur de l'excellent Loveless et de l'immonde Before Watchmen : Rorschach), Jeff Lemire, Dan Jurgens et Keith Giffen.
Les dessins sont assurés par Ethan van Sciver, Patrick Zircher, Aaron Lopresti, Jesus Merino, Dan Jurgens, Scot Eaton et Georges Jeanty
Malgré le grand nombre de dessinateurs, l'ensemble est cohérent. L'aspect visuel reste néanmoins très classique, sans défauts majeurs mais sans planche réellement impressionnante, d'autant que la colorisation manque un peu de nuances.

Bien qu'il ne soit pour l'instant qu'un personnage parmi tant d'autres, c'est Terry McGinnis, le Batman du futur (cf. Batman Beyond), qui est au centre de l'intrigue. 
Ce dernier doit en effet retourner dans le passé pour empêcher la construction de l'Œil. Pas de bol, le voyage ne se passe pas comme prévu et Terry arrive cinq ans trop tard (donc, en réalité, cinq ans dans le futur du DCU).

Première constatation, la saga sera loin d'être facile à suivre pour les novices qui ne connaissent pas encore bien l'univers DC. Malgré les habituels petits plus rédactionnels de la part d'Urban (sur certains personnages et organisations), les intrigues parallèles, le grand nombre de protagonistes et les références à des évènements passés rendent le tout dense et relativement complexe (même pour ceux qui auront lu les prologues du Batman Hors Série #7).



En plus de Terry, l'on aura le plaisir de retrouver l'équipe, quelque peu remaniée, de Stormwatch, ou encore un groupe du SHADE comprenant notamment Frankenstein, mais aussi l'agence Cadmus, Mr Terrific et sa société, la JLA, quelques francs-tireurs comme Grifter et l'ancien Red Robin, et même divers personnages de Terre-2.
Autant dire que ça fait beaucoup. Peut-être même trop.

L'un des défauts des grandes sagas de Marvel ou DC Comics est justement souvent leur complexité et l'immense brassage de personnages, parfois au détriment du récit lui-même (c'était déjà un peu le cas dans Blackest Night, malgré pourtant un concept fort). Il faut des auteurs particulièrement doués, comme Brad Meltzer dans Identity Crisis, pour parvenir à rendre limpide et passionnant un tel entrecroisement de faits et d'individus. 



Dans les points délicats, l'on peut aussi noter l'éternel problème du voyage dans le temps. Si Terry parvient à empêcher le drame de survenir, il ne peut pas revenir dans le passé puisque c'est ce même drame qui l'y conduit. Pour résoudre ce dilemme, l'on peut bien entendu envisager l'hypothèse des lignes temporelles : lorsque l'on change un évènement du passé, une nouvelle ligne se crée. L'on peut donc en théorie remonter dans le temps et buter son propre grand-père tout en continuant à exister [1].
Mais, si l'on admet cette théorie, à quoi bon s'embêter à changer le passé puisque ce n'est pas la "bonne" ligne temporelle que l'on change ? 

Ces quelques réserves de fond n'empêchent pas l'histoire d'être tout de même bien mise en scène. Certains personnages secondaires sont particulièrement charismatiques et les auteurs n'hésitent pas à durcir le ton le temps de quelques passages particulièrement violents, voire dérangeants. Le Frankenstein du futur et son... "invitée", par exemple, sont aussi inattendus que choquants (dans le bon sens du terme). Le duo formant Firestorm est également très bien exploité et doit faire face à des conflits internes intéressants. 



Un tome d'introduction complexe mais recelant de bons moments et augurant de grandes possibilités pour la suite.


[1] C'est notamment cette théorie qui est employée dans le film de Rian Johnson, Looper. Mais malgré sa complexité, le scénario n'échappe pas à son lot d'absurdités logiques.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Quelques scènes choc.
  • Des personnages secondaires bien exploités.
  • Difficile d'accès si l'on ne connaît pas déjà les nombreux personnages et organisations.
  • Une narration qui peine pour le moment à donner un réel élan dramatique à une histoire qui a pourtant un potentiel énorme.


Les Manteaux de Gloire : au fil de l'épée
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Le 16 juin est paru chez Bragelonne un roman fort intéressant, estampillé "fantasy", qui réussit le double pari de parvenir à sortir (quelque peu) des sentiers maintes fois battus de ce vaste sous-genre des Littératures de l'Imaginaire et de réussir à raviver mon penchant un peu flétri pour ces histoires fleurant bon l'héroïsme et l'esprit chevaleresque.

Le livre en soi est à l'image de son auteur (son portrait en quatrième de couverture est agrémenté d'une photo en tenue d'escrimeur) : élégant, de bonne facture, un peu pompeux par moments mais avec une douce pointe de folie qui l'enrichit. A souligner que, dans l'exemplaire que j'ai eu entre les mains, (des épreuves non corrigées mais très proches du rendu final), j'ai relevé très peu de coquilles, ce qui est inhabituel à l'heure actuelle - trois, dont une mauvaise conjugaison.
Revenons un instant sur le genre. Le roman de fantasy, pour moi et pendant longtemps, se parait immanquablement dans ses premières pages d'une carte de l'univers dans lequel nos personnages hauts en couleurs allaient évoluer. Que la magie y soit capitale ou accessoire, qu'il soit uchronique ou situé sur des mondes lointains, le livre semblait toujours né de cette admiration romantique pour un Moyen-Age idéalisé, ses vaillants chevaliers ou ses héros solitaires toujours au sein d'une quête, perpétuant des valeurs surannées, jouets vaguement conscients de forces qui les dépassaient ; le Bien, le Mal, l'Ordre ou le Chaos s'entrechoquaient, les lames se croisaient et les femmes se pâmaient. Ajoutez-y des châteaux, des fées, des dragons et vous tenez les bases de sagas enlevées et de récits épiques, au style volontairement alourdi de phrases emberlificotées et d'un lexique désuet - comme si l'ombre de Tolkien forçait ses successeurs à adopter une posture similaire, comme un costume parfois trop lourd à endosser. Lisez Robert Jordan : sa très intéressante saga de La Roue du Temps ne parvient malgré tout jamais à s'émanciper du legs du Seigneur des Anneaux. Pourtant, il y a eu avec Gemmel une nouvelle impulsion : un style direct, préférant l'efficacité aux fioritures (quitte à s'accorder des redondances et des maladresses), laissant plus de place à l'action de personnages charismatiques, à des duels insensés et des démonstrations de bravoure hors normes.

Sébastien De Castell, notre auteur canadien aux multiples talents (il est aussi, entre autres choses, chorégraphe de combat), serait davantage dans la lignée d'un Terry Goodkind, avec une écriture plus nuancée, lorgnant parfois vers une phraséologie précieuse mais la dynamitant aussitôt par quelques traits d'humour aussi déconcertants que rafraîchissants. S'intéressant davantage aux individus qu'à leur univers, il ne s'épanche pas outre-mesure sur les descriptions et réserve sa verve aux nombreux combats, souvent déséquilibrés, auxquels son héros et narrateur, Falcio Val Mond, sera confronté.
Voilà donc de quoi il est question : Falcio était, du temps de feu le roi Paelis, Premier Cantor des Manteaux de Gloire, sortes de magistrats itinérants chargés de porter et faire régner la loi royale dans tout le territoire. Toute sa vie il avait rêvé intégrer cette caste légendaire mais le voilà contraint de parcourir un monde qui le méprise désormais car le roi est mort, déposé par ses ducs tyranniques qui cherchent à imposer un pouvoir féodal moins équitable. Réduit avec ses fidèles compagnons (Kest, le meilleur bretteur au monde dont le destin est d'affronter un jour le Saint des Lames, et Brasti, un archer enjoué et sans égal) à trouver du travail comme gardes du corps, il ne parvient pas à oublier les deux derniers serments fait à son souverain : ne pas résister au moment où les ducs viendraient l'exécuter et chercher ses charoïtes après sa mort, des objets précieux dont il n'a absolument aucune idée quant à leur forme ou apparence.

Ainsi donc, voilà Falcio, bretteur redoutable mais souffrant d'une rage intérieure perpétuelle, contre lui-même et contre ces nobles de pacotille qui ont mis à bas son idée d'un monde ordonné et équitable, arpentant les contrées qu'il a jadis protégées en tâchant de trouver de quoi se sustenter, protégeant les faibles même lorsqu'ils le dédaignent, essayant malgré tout de poursuivre son impossible quête tout en mettant au jour une conspiration visant à asseoir sur le trône vacant les personnes qu'il hait plus que tout : ces ducs imbus d'eux-mêmes qui écrasent sous un joug implacable une populace désespérée. Un héros fascinant malgré lui, se plaignant souvent (mais on n'a pas affaire au geignard façon Elric), conscient de ses forces et de ses faiblesses et sachant malicieusement jouer de celles-ci pour triompher d'adversaires physiquement ou intellectuellement supérieurs.

Bien qu'il use de certaines facilités pour préserver le suspense sur les tenants et aboutissants de ce complot (qui tire vraiment les ficelles ? quelle est l'importance de cette jeune héritière qu'il va s'évertuer à sauver de ceux qui veulent annihiler jusqu'à son nom ? où sont les autres Manteaux de Gloire ? comment la vieille Tailleuse en sait-elle autant sur lui et les autres ?), l'auteur réussit à chacun de ses courts chapitres à faire monter l'intérêt et, ce qui devait au départ n'être qu'une promenade de santé littéraire a fini par ressembler à un périple chatoyant, empli de sang et de larmes mais illuminé d'éclats de bravoure, d'honneur et de grandes valeurs morales scandés au rythme du cliquetis des lames qui s'entrechoquent. De Castell ne cache pas sa passion pour l'escrime et la met très vite en valeur (les pistolets existent dans ce monde, mais ils sont bruyants, lents et peu précis ; quant à la magie, elle est réservée à ceux qui sont soit fort riches, soit fort peu honorables) : les termes techniques alternent avec les commentaires décalés sur les poncifs des combats à l'épée et confèrent un rythme singulier à la narration des duels. Ce n'est pas toujours très intelligible, mais ça ajoute un peu de sel.

Une bonne surprise donc, accessible à tous, à la fois très classique dans son approche et sortant des sentiers battus dans sa texture, conçu à la manière d'un bon feuilleton.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une édition élégante et (presque) sans coquille.
  • Un univers structuré aux éléments connus.
  • Une passion communicative pour l'escrime.
  • Des personnages charismatiques, presque iconiques.
  • Un certain humour.
  • Quelques facilités narratives.
  • Pas très original, finalement.
  • Une certaine candeur.
Un nouveau Maiden en septembre
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L'annonce d'un nouvel album d'Iron Maiden est toujours un petit évènement ! The Book of Souls sortira en septembre et quelques informations à son sujet ont été dévoilées il y a peu...

Avec un Eddie tribal sur fond noir, le seizième album studio du groupe joue visuellement la carte de la sobriété. On est loin des covers les plus mythiques de Derek Riggs, mais Mark Wilkinson n'a pas vraiment été aidé par l'absence de décor et la simplicité de l'ensemble.

Ce nouvel opus sera un double album, disponible en numérique, en vinyle et bien évidemment en CD (avec une version Deluxe au tirage limité).

La tracklist et les crédits ont été dévoilés sur le site officiel.
Onze titres pour un total de 92 minutes. Comme à son habitude, le groupe aligne donc quelques morceaux très longs, loin du format radio. On peut noter par exemple la chanson finale, Empire of the Clouds, qui dure tout de même 18 minutes, un record même pour Maiden !

Les titres laissent éventuellement supposer la présence d'une thématique écologiste, mais comme toujours (cf. ce dossier qui évoque notamment les textes du groupe et les ouvrages qui leur sont consacrés) les sources d'inspiration semblent variés et puisent notamment dans la littérature (The Red and the Black) [1].

L'album a été enregistré à Paris, dans "l'immédiateté" selon Steve Harris, "ce qui donne à l'album un aspect presque live". Le son devrait donc être assez "brut", plus proche sans doute de leurs premiers opus que d'un plus sophistiqué Seventh Son of a Seventh Son.

Leur précédent album, The Final Frontier, sorti en 2010, avait connu un énorme succès, se classant premier au niveau des ventes dans pas moins de 28 pays (dont la France).
Espérons que The Book of Souls [2] connaîtra un destin similaire.



[1] Très loin des clichés ridicules associés en général au metal (textes satanistes ou centrés sur les gonzesses et l'alcool), Iron Maiden a toujours proposé des textes léchés, puisant dans des domaines aussi riches que l'Histoire, le cinéma ou encore la philosophie.
[2] The Book of Souls est également le titre d'un roman de Glenn Cooper. Il s'agit de la suite de Library of the Dead, parfois aussi intitulé Secret of the Seventh Son. De là à voir un lien direct... ;o)

Celle que...
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On se penche aujourd'hui sur l'intégrale de Celle que... éditée par Dargaud.

Cette intégrale regroupe en fait la trilogie écrite et dessinée par Vanyda, à l'origine sous les titres Celle que je ne suis pas, Celle que je voudrais être et Celle que je suis.
L'auteur suit Valentine, une adolescente, de la troisième à la première, au travers de sa vie scolaire et amoureuse.
Et si le public visé est sans doute à la base plutôt jeune et féminin, l'on va vite se rendre compte que, finalement, une bonne histoire s'adresse toujours à tout le monde.

Celle que... fait partie de ces BD un peu étranges, dans lesquelles il ne se passe a priori pas grand-chose. Nombre d'auteurs actuels, par le biais de ce genre de "chroniques du réel", noient ainsi leur manque d'imagination dans une démarche égocentrée et souvent fort prétentieuse (beaucoup pensent par exemple avoir découvert le spleen ou la solitude, mais comme j'aime à le dire un peu vulgairement, ce n'est pas parce qu'on va dans des toilettes publiques et qu'elles sont vides que l'on vient d'inventer l'envie de pisser).
Heureusement, Vanyda parvient à échapper aux stéréotypes du genre et livre un récit agréable, subtil et doux, qui nous embarque pour un trop court voyage au pays de tous les possibles, celui de l'adolescence.

Le style graphique est d'inspiration clairement nippone. Du coup, on a droit à du noir et blanc, bien qu'en réalité, une version colorisée soit disponible (en six tomes par contre). Les visages sont expressifs, certains décors sont plutôt détaillés (et basés sur des photos, mais cela n'a rien de dérangeant). Valentine et la plupart des personnages évoluent visuellement au fil des ans, passant d'un physique enfantin à une allure bien plus adulte.

Le parti pris de l'auteur est clairement celui du réalisme. Pas de grand drame ici, ni même une menace quelconque : les abrutis du collège et du lycée sont traités plus comme de petits impondérables un peu gênants que comme des "ennemis" véritables. Pas de conflit non plus réel avec l'autorité parentale, la maman de Valentine n'étant pas plus chiante que la moyenne des géniteurs, et même plutôt sympa.
Les adultes d'ailleurs, parents ou professeurs, sont assez peu présents, même si se sont bien leurs décisions qui rythment et encadrent la vie des personnages principaux.



Bien entendu, l'on n'échappe pas à l'histoire d'amour contrariée, Valentine fantasmant sur un garçon qu'elle connaît à peine et qu'elle n'arrive pas à aborder. Mais limiter Celle que à un propos facile pour midinettes serait clairement injuste tant l'œuvre aborde bien d'autres aspects de ce moment crucial de la vie.
Valentine, mignonne sans être une bombe, intelligente mais pas toujours très sage, est à l'image de cette histoire, mesurée et tout en nuances.

Ainsi, le mec un peu paumé, boutonneux et laissé de côté, apparait comme quelqu'un de touchant et sympa, mais, au lieu d'en rester sur un cliché, Vanyda va plus loin et dévoile aussi les côtés plus inquiétants de celui qui était censé attirer la sympathie du lecteur. L'absence du père de Valentine est également très intelligemment traitée, sans le côté larmoyant qui aurait été de trop.
De la même manière, un changement fondamental mais très progressif accompagne l'évolution physique des personnages. Peu à peu, les moqueries s'estompent, les frontières se font plus floues, et des groupes improbables se forment.



Ce livre aborde sans grandiloquence et avec beaucoup de tendresse les pires moments de l'adolescence tout en cherchant à en dévoiler certains mécanismes, du leader que l'on suit par habitude, par besoin de faire partie d'un groupe, à la fille que l'on exclut pour des raisons idiotes, en passant par ce besoin fondamental de se trouver vraiment.
Le choix de faire de Valentine une adolescente banale, sans énorme problème spécifique à surmonter, rend le propos universel. Propos encore renforcé par des dialogues bien écrits, qui ne caricaturent pas la façon de s'exprimer des ados.

Certains pourront trouver qu'il ne se passe rien dans ces 550 et quelques pages. Pourtant, elles sont d'une richesse peu commune et abordent l'essentiel, sans jamais verser dans la démonstration pédante ou la leçon de morale.
Voilà une preuve de plus que, dans une histoire, l'histoire importe en réalité peu (cf. ce dossier). C'est bien la manière de raconter qui envoûte ou non le lecteur et rend le propos passionnant, ennuyeux ou ridicule.
La forme, ici, est clairement belle, inspirée et délicieusement amère.



À conseiller à ceux qui ont été touchés par des œuvres comme Blankets.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Valentine, ultra-charismatique.
  • Des portraits assez justes et ne versant pas dans la caricature.
  • De l'émotion, un peu d'humour et quelques interrogations fondamentales.
  • Qualité des dialogues.
  • Un style graphique agréable et expressif.
  • Le prix. Presque 30 euros, ça fait quand même un peu mal au cul.
Area 51
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N’ayant pas encore eu l’honneur d’être traduit en français jusqu’à cette année 2015, Masato Hisa débarque en fanfare avec la sortie de deux séries dans la langue de Molière : Jabberwocky lancé en janvier chez Glénat et Area 51 en avril chez Casterman. Ce dernier titre est toujours en cours de parution au Japon. Au sein de ses mangas, Masato Hisa fait la part belle au surnaturel et aux héroïnes de caractère. Le tout est mis en relief par un graphisme très contrasté qui apporte une vraie ambiance aux histoires. Si Jabberwocky se situe dans une époque révolue, Area 51 se déroule dans le monde contemporain, mais avec quelques particularités…

À l’abri du regard du commun des mortels existe un état fantôme, le 51e état des États-Unis sobrement dénommé Area 51 [1]. Rappelant dans son fonctionnement les camps dans lesquels les colons européens parquaient les peaux rouges, ce lieu accueille des créatures issues des mythologies et des légendes : des dieux (Hermès, Amaterasu, Râ…), des licornes, des sirènes, des trolls, des dragons, yétis, vampires, kappa... Quelques humains rejeté du « vrai » monde ou tout simplement né dans cet endroit mystérieux vivent avec eux.
L’Area 51 est une gigantesque métropole avec ces immeubles, ces bas-fonds, son port… une ville semblable à Gotham City. Les mafiosi y tiennent leurs comptoirs, des gros bonnets terrorisent des petits propriétaires de troquet, les voyous s'entretuent, les paris sont truqués... Au cœur de cette mégapole, Mc Coy, une privée, et son associé, Kishiro, résolvent diverses enquêtes contre une coquette somme où la part d’éléments surnaturels est importante. Pourtant, nous sommes bien en 2011, malgré l’atmosphère proche de celle des années 50.

Mc Coy, de son véritable nom Tokuko Magoi, est une jeune humaine, désinvolte, ironique, parlant en argot, amoureuse de son pistolet. Insolente, pourvue de gros seins, elle reste pudique telle une vierge effarouchée lorsqu’elle va voir son médecin… Partout où elle se trouve, les dégâts s’amoncèlent. Elle tente de fuir son passé qui la rattrape au fil des enquêtes. Face à des êtres surnaturels, elle sait se battre et bénéficie de l’aide de son arme, devenue un tsukumo [2]. Kishiro est un kappa un poil dandy, un as du volant, fraîchement débarqué du Japon.

Area 51 est une série dynamique composée de petites histoires centrées autour d’enquêtes confiées à Mc Coy sans liens directs entre elles. Masato Hisa installe au compte-goutte son univers et le passé trouble de son héroïne. Très doucement se devine une intrigue plus importante par le biais d’éléments savamment distillés. Graphiquement, Area 51 se place radicalement à l’opposé de la majorité des mangas sortis sur le marché francophone. Le dessin est épuré avec un minimum de détails. Très peu d’œuvres jouent sur les clairs obscurs tranchés (Ashman de Yukito Kishiro) qui rappellent autant Franck Miller que Mike Mignola. Les planches sont dynamiques, lisibles, les designs des créatures sont recherchés. La narration empreinte beaucoup aux comics épicés d’une ambiance de polar hard-boiled mâtinée de surnaturel. Le manga est un digest encyclopédique sur le fantastique [3]. On n'échappe pas au fan service (plan entrejambe, tentacule...), mais heureusement, à dose homéopathique.

Area 51 s’offre une adaptation graphiquement intégrale, même au niveau des onomatopées, et une traduction qui ne lésine pas sur l’emploi de vocabulaire plus que familier. Les postfaces mettent en scène l'auteur qui part manger dans un restaurant particulier. Les plats que l’on lui sert sont en lien avec les créatures rencontrées par Mc Coy dans ses pérégrinations. Très denses et instructives, elles ont aussi été totalement transposées dans notre langue.


Plus audacieux sur la forme que sur le fond, Area 51 est une lecture réjouissante et distrayante dans laquelle Masato Hisa excelle à faire intervenir des créatures de tous horizons face à une Mc Coy qui essaie de cacher ses vieilles blessures. Les deux premiers volumes posent l’intrigue et on peut espérer que les suivants seront plus captivants.

Area 51 de Masato Hisa vol 1 et 2 (pour cette chronique ; le troisième est sorti récemment), collection Sakka des éditions Casterman, sens de lecture japonais.

[1] Ce titre se réfère à une zone militaire située dans le Nevada qui dissimule, selon les légendes urbaines, de nombreux secrets principalement liés aux extraterrestres. C'est un lieu de fantasmes qui a donné naissance à de nombreuses fictions (films, séries TV...).
[2] Ou tsukumogami. Divinité du folklore nippon, née d'un objet ayant plus de 99 ans.
[3] Avec des références plus pointues telles que Lovecraft et ses Montagnes hallucinées...


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le graphisme et la mise en scène.
  • Le mélange des genres.
  • L’adaptation en français.
  • Un peu long à démarrer.