Strangehaven
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Voyage dans l'étrange avec Strangehaven, une série anglaise au charme certain.

Alex Hunter se balade dans la campagne anglaise lorsque, croyant apercevoir une femme au milieu de la route, il fait une brusque embardée et envoie sa Triumph se planter contre un arbre.
Lorsqu'il revient à lui, il est dans une chambre du Bed & Breakfast de Strangehaven, un médecin à ses côtés. Commence alors, le temps de sa convalescence et de la réparation de son véhicule, la découverte de ce petit village si particulier. Le lieu est calme, beau. Les habitants sympathiques. L'endroit idéal pour se ressourcer.
Et quand Alex reprend la route pour rentrer chez lui, il se perd et revient... à Strangehaven. Là, il va trouver un nouveau job, une maison et même l'amour. Tout cela va vite, très vite.
Trop vite pour être tout à fait sain.

Voilà une série assez particulière mais qui mérite que l'on s'y attarde un moment. L'auteur, Gary Spencer Millidge, est un passionné de littérature et a tenu un magasin de comics pendant un temps. Il se lance dans l'aventure éditoriale en 1995 avec Strangehaven, qu'il va auto-éditer. Les publications ne sont cependant pas régulières (loin de là !) et s'arrêtent même carrément en 2005.
Fort heureusement, le titre est relancé en 2014, chez Soaring Penguin Press (sous la forme de demi-épisodes de 14 planches, en couleurs).
Les trois premiers tomes furent publiés en VF à l'époque chez Akileos, qui d'ailleurs les rééditera à l'occasion de la sortie du quatrième opus, que l'éditeur a bien l'intention d'ajouter à son catalogue (par contre, à l'heure où nous rédigeons cet article, la décision de publier les nouveaux épisodes en noir & blanc ou en couleurs n'était pas encore prise).


Alors, Strangehaven, ça raconte quoi ? Ah bien c'est assez difficile à expliquer.
Le personnage principal est assez terne et c'est surtout la faune locale qui va s'avérer folklorique et surprenante. Les habitants de ce charmant petit village sont plutôt normaux (pas d'encapés ou de tueur en série dans la bande) mais ils ont tous un... truc qui cloche. Millidge s'amuse à dresser une galerie de portraits originaux qui, pour la plupart, intriguent et apportent un lot de questions ne semblant pas toujours avoir un rapport avec une quelconque intrigue principale.
L'auteur avoue d'ailleurs pudiquement que son histoire ne possédait pas de "fin préétablie" lorsqu'il a commencé à l'écrire. Une manière sophistiquée de dire qu'il ne savait pas trop où il allait mais qu'il était bien résolu à y aller quand même.

L'ambiance tient un grand rôle dans ce récit. L'atmosphère n'est pas spécialement effrayante mais a cette étrange saveur que peut avoir le rêve. Ce que l'on comprend mieux quand on sait que Millidge cite comme sources d'inspiration les séries Le Prisonnier et Twin Peaks.
Il serait faux pourtant de croire que tout est totalement décousu, certains thèmes reviennent à plusieurs reprises et sont très intéressants. L'on va ainsi rencontrer un étrange shaman, à l'aspect très occidental, débarqué d'Amazonie ; un type se proclamant venu d'une autre planète et parlant de physique quantique ; ou encore une étrange société secrète à mi-chemin entre la franc-maçonnerie pour les rites initiatiques et le Ku Klux Klan pour les accoutrements et les titres improbables.

L'on ne sait jamais vraiment si l'on est dans le fantasme ou la réalité, si les gens mentent ou sont sincères, s'ils sont en plein délire ou flirtent vraiment avec le paranormal. Ce procédé, aussi casse-gueule que subtil, déboussole un peu mais permet au lecteur de se poser des questions, d'échafauder des hypothèses et, finalement, de prendre une part active à l'aventure. L'expérience est en tout cas loin d'être désagréable.
Le style graphique est réaliste, quelques photographies étant même parfois insérées dans les planches. Les décors sont souvent fort jolis, voire fascinants. Le traitement des personnages est parfois moins réussi, mais rien de bien méchant.

Un moment décalé et hors du temps, au charme onirique très british.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une ambiance originale, subtilement travaillée.
  • Le côté surnaturel "light".
  • Les thèmes, variés et intrigants.
  • La galerie de personnages.

  • La publication très irrégulière de la série.
  • Un style graphique qui peut parfois, sur certaines cases, rendre les personnages un peu "figés".