Le Manoir de Chartwell
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Le Manoir de Chartwell, c'est un pensionnat du New Jersey.
L'homme qui en était responsable a abusé de ses jeunes pensionnaires durant des années.
Ce roman graphique est le témoignage sans concession de l'un d'entre eux : Glenn Head.


Ne vous laissez pas duper par la couverture aux faux airs de Poudlard. Il n'est ici nullement question d'histoires niaises de sorciers en herbe entassés dans une école où ils semblent ne rien branler de la journée... il est ici question d'une véritable école où l'on branle bien trop et où trouver de l'herbe n'a rien de bien sorcier.

Glenn Head a 13 ans lorsque, en 1971, ses parents l'inscrivent au pensionnat de Chartwell. Sous ses apparences d'institution d'inspiration britannique, la demeure cache en réalité le terrain des jeux illicites du maître des lieux : un expatrié anglais du nom de Terence Michael.
 
Bien vite, Glenn va comprendre ce que va lui coûter d'avoir redoublé sa cinquième année... Terrence Michael s'y fait appeler Monsieur et souffle le chaud et le froid dès le jour des admissions. Son amour pour ses pensionnaires n'aurait d'égal que sa fermeté. Et la suite des événements prouvera même que son amour pour eux sera tout aussi illégal que sa fermeté.
Les attouchements et embrassades de Monsieur deviendront vite monnaie courante ; façon pour Monsieur de se faire pardonner après les brimades, humiliations publiques et sévices corporels à caractère sexuel qu'il impose aux enfants.

Glenn, comme la plupart de ses compagnons, subira d'abord sans comprendre puis, une fois convaincu de ce qui se passe, sans oser en témoigner à l'extérieur. Longtemps, ses parents ignoreront ou refuseront de comprendre ce qui se passait entre les murs faussement rassurants du Manoir.

Glenn deviendra illustrateur, usant de provocation et faisant de son trait à la Howard Cruse le messager d'un univers plus proche de celui de Robert Crumb. Il lâchera souvent ses démons dans ses cases, faute de pouvoir les maintenir en cage.


Ce roman graphique retrace autant le martyr de Glenn enfant que la façon dont il a tenté de se construire par la suite, malgré de telles fondations. Il nous relate une vie dissolue faite d'alcool, de drogues, de sexe et de fuite en avant qui ne cessera que lorsqu'il se décidera enfin, peu à peu, à exorciser tout ça en jetant sur le papier l'album que l'on a entre les mains.

Le Manoir de Chartwell
 est une autobiographie toute en introspection dans laquelle l'auteur n'épargne rien ni personne. Des faux-semblants de la société américaine à l'aveuglement de ses parents, de son amour des comics underground à celui qu'il nourrit pour la défonce, de ses errements les plus pathétiques à ses combats les plus nobles, Head se livre à nous sans fard : il chronique l'autodestruction consécutive à une enfance souillée comme peu d'auteurs le firent avant lui.
Avec un dessin naïf mais riche en détails cédant parfois volontiers au psychédélique, un encrage fluide et une monochromie d'une lisibilité sans faille, Head jette dans la fange de l'Amérique puritaine un pavé couvert de graffitis obscènes qui y laissera longtemps la trace béante de son impact.
C'est fort de son expérience chez Weirdo et Fantagraphics que l'illustrateur parviendra à devenir un des habitués des pages du New York Times, de Playboy, Pulse Magazine, Entertainment Weekly ou Nickelodeon Magazine. Et c'est armé de cette visibilité qu'il rendra publiques les 236 planches de cet album publié en France par les éditions Delcourt.
Porteur d'autant d'espoir que de haine et de dégoût, Le Manoir de Chartwell a cette qualité des œuvres intrinsèquement utiles : il ne saurait laisser indifférent !
Si le style underground au service d'un message fort vous intrigue, si vous êtes friand d'autobiographies fleurant bon le rock et le stupre, si vous êtes intéressé par les conséquences sur l'esprit humain d'actes pédophiles ou, tout simplement, si vous êtes en quête d'une lecture crue et vraie... foncez !

Loin des héros volants en collants moulants, ce gros livre noir en provenance des USA n'en est pas moins hautement recommandable. C'est un pamphlet, un témoignage, une autobiographie et le projet d'une vie... mais c'est surtout un excellent comic book.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un témoignage sans concession d'une victime d'abus sexuels lors de l'adolescence.
  • Le travail introspectif d'une vie entière.
  • Un trait inévitablement évocateur de l'underground le plus recommandable.
  • Une certaine complaisance avec les scènes de défonce pourtant paradoxalement dénoncées ensuite.
  • Une couverture à mille lieues de représenter le contenu de l'album.