Entretien avec... Tanngrisnir !
Par


Ambiance scandinave et médiévale aujourd'hui, puisque nous avons le plaisir de recevoir les membres de l'association Tanngrisnir, qui vont nous faire découvrir leur passion et nous entraîner dans le monde des Vikings !

 Tout d’abord merci de nous accorder un peu de votre temps, pouvez-vous commencer par présenter votre association ?
— Basée à Saulnes, Tanngrisnir est une association (loi 1901) de reconstitution historique ayant pour but de promouvoir la connaissance de l’ère viking (793-1066) à travers la pratique artisanale, le combat et la vie communautaire, mais aussi la musique, les rites et traditions…
An 980 : le clan Tanngrisnir, Varègues marchands, guerriers et Hommes libres, sillonne les routes de l’Est en quête de richesse et de gloire...

— Qu’est-ce qui vous a attiré plus particulièrement dans cette culture ?

— Je pense que beaucoup d’entre nous sont déjà des passionnés d’histoire. Le fait d’avoir une certaine liberté dans le groupe y fait beaucoup aussi. Concrètement, il n’y a pas de limite dans le sens ou chaque membre est libre de proposer ce qu’il lui plaît du moment qu’il a fait des recherches pour le justifier historiquement.
L’artisanat est tellement vaste qu’il y a énormément de domaines à couvrir : forge, travail du bois, du cuir, poterie, musique, pêche, cuisine… la liste est longue. Bon nombre d’entre nous ont été emballés par le côté sportif du combat.
De manière générale, en creusant un peu le sujet des vikings, on remarque vite qu’il y a énormément de clichés qui ne sont pas du tout représentatifs, c’est l'un des buts de l’association de casser ces idées reçues et transmettre nos connaissances.

— J’ai eu la chance d’assister à quelques combats impressionnants lors du Fensch Viking Festival, à Florange. J’imagine que cela nécessite une grosse préparation, quel entraînement suivez-vous exactement ?
— Le combat demande une condition physique et mentale. Nous nous retrouvons tous les dimanches après-midi pour les entraînements et en profitons également pour échanger sur notre passion.
Le côté fraternel des membres de la troupe se ressent d’autant plus sur le chant de bataille. Un lien de frères d’armes se crée. Et le fait d'être soudés est une force, cela permet de se dépasser.

— Les armes sont émoussées et vous disposez bien entendu de protections, mais dans le feu de l’action, arrive-t-il parfois de prendre un "mauvais coup" ?
— En effet, il faut prendre conscience que c’est un sport de combat. Comme un boxeur qui a les oreilles déformées, le nez cassé… les mauvais coups peuvent être de la partie, mais l’une des premières choses à maîtriser lors de l’entraînement est justement la maîtrise de sa force et de ses coups.

— Vous participez je crois à des manifestations dans toute l’Europe, auriez-vous un souvenir marquant à partager ?
— Pour en citer deux, un souvenir particulièrement marquant est notre première participation au festival viking de Wolin en Pologne : un village entier reconstruit en bord de mer, de l’artisanat historique, des échoppes à ne plus savoir où regarder, une sortie en bateau, et une bataille monstrueuse avec près de 800 combattants !
Le second est notre victoire dans la catégorie Bridge-Fight lors du festival de Rocroi (dans les Ardennes) où les meilleures équipes européennes se sont retrouvées pour sans doute le plus grand rassemblement de France. Nous remettrons notre titre en jeu en 2024.

— Lors des manifestations, vous établissez un campement, vous faites du feu, etc. Est-ce que vous essayez de pousser la reconstitution jusque dans les plus petits détails ?  Par exemple, quel serait le repas type d’un viking ?
— Pour une reconstitution de qualité, chaque détail compte, le but est justement de maîtriser et de faire attention à tous. Une bougie, un godet, la structure d’une table, les coutures des vêtements, cela doit être fait main, il faut faire attention à la matière… tout doit être historique.
Nous adaptons les repas à notre région, tous comme le faisaient les vikings. Quelques exemples : une potée aux légumes, du poisson fumé sur une planche accompagné de galettes cuites au feu de bois. Les bêtes étaient plus importantes vivantes ; la chèvre pour le lait, les poules pour les œufs, la vache était le tracteur du paysan à l’époque…

— D’un point de vue plus pragmatique, combien coûte environ une tenue complète, disons dans la version la plus simple (sans les armes ou éventuelles protections spécifiques) ?

— Il faut différencier la tenue civile et la tenue de combat. Le budget peut vite exploser. Une tenue civile simple peut aller de quelques centaines d’euros selon la qualité jusqu’à plusieurs milliers.
Une tenue civile de paysan peut être de 300 euros environ, une tenue de marchand peut aller rapidement jusqu'à 1400/1500 euros. Pour une tenue de combat il faut compter 400 euros minimum mais cela peut également dépasser les 1000 euros. Nous mettons un point d’honneur à ce que les choses soit faites à la main dans la mesure du possible, et l’artisanat et la main-d’œuvre ont un coût !

— Les membres de votre groupe paraissent très soudés, on sent une forme de bienveillance, d’amour fraternel presque entre vous (que l’on ne retrouve pas forcément dans d’autres pratiques, sportives notamment), est-ce dû au fait de pratiquer une activité un peu hors normes ?
— Il y a un lien très fort entre nous, nous nous considérons comme une famille, et personne ne doit être mis à l’écart. De là à savoir si c’est dû a notre activité, c’est difficile à dire mais possiblement. Nous fonctionnons comme a l’époque avec un système de "Thing".
Le thing, terme dérivé du vieux norrois þing, se réfère aux anciennes assemblées qui se tenaient dans les pays d'Europe du Nord. On a décrit les things comme le berceau viking de la démocratie car leur naissance constituait la première tentative d'introduire un système représentatif permettant de régler les différends sur une place publique neutre, de façon non-violente, plutôt que par des querelles sanglantes. C’est tout naturellement que nous avons donc repris ce terme pour nous rassembler et aborder les sujets qui le nécessitent, tout en laissant les nouveaux membres prendre leur place dans la troupe.

— En parlant des liens qui vous unissent, votre association est-elle ouverte à tous ? Y a-t-il un rite d’initiation, des conditions particulières ?
— Toute personne le souhaitant est bien sûr la bienvenue pour venir découvrir notre passion et en discuter. Nous accueillons régulièrement des personnes qui s’intéressent à nos activités. Pour tester le combat, se renseigner… Mais il faut garder en tête que l’aspect financier est significatif et cela freine beaucoup de monde. Pour participer à des évènements, une tenue civile est obligatoire. Chaque nouveau membre se fois assigné un parrain pour aider, répondre aux questions et ne pas faire d’achat non historique et inutile.

— Vous devez sans doute avoir vu la série Vikings, qu’en pensez-vous ? Est-elle selon vous représentative du mode de vie de l’époque ?

— C’est un bon divertissement mais ce n’est en rien une référence historique, autant en termes de tenue que d’histoire. Un viking est avant tous un marchand opportuniste. Les guerres et les massacres sont une infime partie de leur histoire.


— J’imagine qu’il n’est pas toujours facile de trouver des détails précis justement sur les habitudes de l’époque, les vêtements, les outils, les armes… quelles sont vos principales sources d’information ? Auriez-vous par exemple un ouvrage à conseiller ?
— Dans les grande lignes, l’association représente à l’origine une caravane marchande fondée entre Gotland, une île suédoise, et Birka, à la fin du Xe siècle. Cette caravane a connu son heure de gloire sur la route commerciale de la Volga (passant par Kiev, Gnezdovo, Byzance et allant jusqu’à Bagdad). Des cultures plus tardives ou trop éloignées sont donc à exclure.
Le but est de représenter de manière immersive la culture scandinave à la fin du Xe siècle, ses us et coutumes, son artisanat, son mode de vie, l’organisation de la société… Cela astreint les membres à un certain niveau d’authenticité dans leurs propositions de reconstitutions. La cohérence du costume est donc importante et permet de situer l’échelle sociale de celui-ci en s’appuyant sur des recherches personnelles, des sources archéologiques, iconographiques, historiques, des livres, certains éléments dans les musées…
Chaque personne se dirigera vers des ouvrages différents selon ses recherches. Un bon exemple : une personne souhaitant représenter un personnage du port commercial de Birka trouvera énormément d'informations dans le Birka Die Gräber de Holger Arbman.

— Il y a des enfants parmi vous, j’imagine que pour eux, ça doit être extraordinaire d’avoir un papa et une maman vikings, et d’être plongés dans une reconstitution grandeur nature. Ils sont aussi passionnés que vous ?
— Nous sommes depuis plusieurs années dans la reconstitution, et certains d’entre eux ont grandi parmi nous depuis leur plus jeune âge, dans la nature, coupés des écrans, certains présentent même des activités ou échangent avec le public. La relève est bien présente !

— Diriez-vous que votre pratique a également une dimension philosophique ? Est-ce par exemple comparable spirituellement à la « Voie » des budo japonais, en ce sens que la « gestuelle », la technique, outre l’aspect martial, constitue aussi un support pour grandir l’individu et trouver une certaine forme d’aboutissement, d’éveil ?
— Excellente question qui mériterait peut-être un échange de vive voix. Je pense qu’un aspect spirituel est déjà lié à notre pratique, dans le sens où nous allions la mythologie nordique à nos actes et représentations. Un certain respect pour la nature, les forces de chacun, l’honneur, le soutien… etc.
Peut-être y a-t-il une dimension philosophique dans tout ça. Une ligne de conduite, un respect du feu qui nous nourrit, du bois, du fer, des choses rares à l’époque et que l'on ne prend plus en compte de nos jours. Notre activité tend à transmettre ces choses-là.

— Si vous deviez corriger une idée reçue sur les Vikings et leur mode de vie, quelle serait-elle ?
— Il y en a tellement…
Le viking n’est pas une civilisation mais un mode de vie, c’est un marchand avant d’être un guerrier.
Le casque à cornes est apparu avec les opéras de Wagner et n’a jamais existé avant.
La corne à boire est à proscrire des tenues historiques.
La femme avait un rôle extrêmement important dans la famille et était très bien traité. Elle avait même le droit de divorce.
Le therme "drakkar" n’existe qu’en France, c’est une erreur de traduction qui est entrée dans la langue française par accident. Le Langskip est le nom utilisé pour un navire de guerre, mais plusieurs noms existe en fonction de la taille et de l’utilité du navire.

— 
J’ai vu sur votre page facebook qu’il vous arrivait apparemment de naviguer sur des navires d'époque. Alors ça, c’est juste fou ! Quel est le plus long trajet que vous ayez effectué ? Avez-vous construit vous-même ces navires ?

— Il nous est arrivé à deux reprises de faire des sorties en bateau. La première sur le Dreknor, une reproduction faite à l’identique d’un navire exposé au musée d’Oseberg (24 m de long) par une association située à Carentan (Normandie). Une sortie en mer de près de trois heures. La seconde à Wolin en Pologne, bateau plus petit mais une immersion des plus fortes. Une expérience extraordinaire pour nous tous.

— Certains d’entre vous parlent-ils le vieux norrois ? Utilisez-vous certains termes de cette langue lors des combats par exemple ?

— Nous n’avons personne qui parle le vieux norrois malheureusement, mais nous avons une personne qui écrit couramment en runes. Les ordres donnés pour les formations et déplacements sont en islandais, qui est la langue la plus proche du vieux norrois. Nous faisons également des cérémonies comme Yule, Litha, des mariages… tout cela est très immersif.

— Le Xe siècle et la culture viking constituent un vaste domaine, particulièrement riche et qui semble susciter de plus en plus l’intérêt du grand public. Serait-il envisageable, avec l’aide de la Région, de quelques communes peut-être, d’établir un village viking permanent, un peu sur le modèle du village des « Vieux Métiers », dans la Meuse ? Y seriez-vous favorables ?
— Járnfjall : Sans doute le projet le plus ambitieux de l’association. "Járn" signifie le fer, "fjall" peut se traduire par montagne, ce qui nous fait donc "La montagne de fer". C’est le nom choisi pour notre projet de village, en Lorraine, région lourdement marquée dans son histoire par ses mines, la sidérurgie et toutes les activités tournant autour du minerai de fer. Un travail sur plusieurs années et qui demande beaucoup d’organisation et de motivation. 

 Savez-vous déjà quel est le prochain festival où l’on pourra vous découvrir ? (En Moselle ou ailleurs)
— Nous arrivons en fin de saison, nous serons présents au marché de l’histoire de Compiègne les 19 et 20 novembre prochains. Il faudra attendre l’année prochaine pour la reprise des festivals et prestations publiques de l’association. Nous faisons également des rassemblements privés pour une immersion totale et sans public, pour vivre notre passion à fond.

— Nous terminons toujours nos entretiens par cette question traditionnelle : si vous pouviez avoir un super-pouvoir, quel serait-il ?
— Pour rester dans le thème, je pense qu’on dira voyager dans le temps !