Daredevil : période Smith & Mack
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Retour sur les premiers arcs de Marvel Knights : Daredevil.

En 2008, Panini publie un Deluxe consacré au protecteur de Hell's Kitchen. Il s'agit des 15 premiers épisodes de la série Marvel Knights : Daredevil, qui relança l'intérêt pour le personnage à la fin des années 90.
Les arcs compilés ici sont d'une grande qualité et méritent largement de figurer dans une bibliothèque, même si l'on n'est pas fan du Diable Rouge. Ils ont même contribué à bâtir une partie de sa légende. Voyons cela en détail.


Période Smith

Une jeune fille vierge mais cependant maman. Un bébé soupçonné d'être l'antéchrist. Une Karen Page replongeant dans son passé sulfureux en apprenant qu'elle est atteinte du sida. Un Bullseye plus malfaisant que jamais. Voici, en gros, le cadre de la première histoire qui avait déjà été rééditée en librairie en 100% Marvel.
Kevin Smith se charge du scénario alors que Joe Quesada est au dessin. Smith a déjà écrit des pétards mouillés, du genre The Evil that Men Do (Spider-Man hors série #23 & #24), mais ici, il faut bien avouer que c'est une indéniable réussite. L'atmosphère est baignée de mysticisme, avec une symbolique religieuse très présente, et va peu à peu virer au drame. Les scènes les plus poignantes (comme celle du combat contre Bullseye, dans l'église) possèdent d'ailleurs une aura particulière due essentiellement au graphisme, classique mais très esthétique, de Quesada et à une colorisation lumineuse, l'ensemble étant très éloigné visuellement de ce qui se fera plus tard sur la série et du coup de crayon (bien plus sombre), par exemple, d'un Maleev.

Les auteurs parviennent à mettre en scène un Matt Murdock à la fois violent et fragile, luttant contre des ennemis vicieux autant que contre une certaine fatalité qui semble s'acharner sur lui. Bref, c'est brillant, addictif et très bien écrit. Avec en prime l'une des morts les plus déchirantes que l'on ait pu voir dans un comic Marvel (à laquelle il sera notamment fait allusion dans le très bon Spider-Man : Blue).
Dans un autre registre, signalons, pour les fans, une petite apparition justement de Spidey et la présence du Docteur Strange.



Return of the Mack

Sous ce titre "jeu de mot musical" se cache en fait la seconde partie du Deluxe et l'histoire intitulée Tranches de Vide. Si Quesada reste aux crayons, c'est David Mack qui se charge du scénario. Son influence, même graphiquement, est grande car l'on retrouve certains aspects narratifs présents dans son magnifique Echo (que je n'hésite pas à qualifier de "plus grande BD de tous les temps").
La jeune Maya Lopez est d'ailleurs présente également. Comme souvent avec Mack, le foisonnement visuel le dispute à la subtilité de ses personnages. Même Wilson Fisk, archétype du salaud fini, parvient à devenir émouvant grâce à un retour sur son enfance, procédé certes classique mais qui ne garantit pas toujours le résultat tant, justement, il a été suremployé. Mais Mack n'est pas le premier venu et il parvient, le bougre, à insuffler de l'humanité même là où on ne l'attendait pas.

Les petits détails sont également importants. Ainsi, au détour d'une case, en arrière-plan, l'on peut voir un mur recouvert de tags. Si le lecteur curieux s'y attarde un peu, il pourra constater que tous ont un sens "caché". C'est parfois évident comme avec ce graffiti demandant "who watches the watchmen ?" ou avec un "Stan Rules" mais d'autres sont plus subtils. Les "Frank was here" et "Kevin was here" semblent faire référence à Miller et Smith, deux auteurs ayant précédés Mack sur la série (d'autant qu'un "David is Here" suit les deux phrases). Le "Jay & Bob", placé dans un cœur, fait référence à deux personnages récurrents que l'on peut voir dans plusieurs films de Kevin Smith (et dans ce comic) : Jay et Silent Bob, ce dernier étant interprété à l'écran par Smith lui-même. Il y a même un "Jinx" dans un coin, ce qui pourrait être un clin d’œil à Bendis et à l'un de ses romans graphiques.

Graphiquement, bien que Quesada soit à la manœuvre, c'est bien le style de Mack et ses compositions si particulières qui ressortent de ces planches, que ce soit à travers l'utilisation de pièces de puzzle, de dessins d'enfant ou de portées musicales. Même si la narration n'atteint pas la virtuosité ahurissante du Echo déjà cité, elle se révèle suffisamment originale et maîtrisée pour impressionner durablement. Ainsi, certains éléments, comme les volutes de fumée émanant d'une boisson chaude, deviennent par exemple des éléments centraux de la composition des planches, guidant le regard du lecteur tout en apportant une touche de poésie surréaliste. Impressionnant.



Les petits trucs en plus

Niveau bonus, bon, rien de foufou, si ce n'est que l'on a plus d'épisodes que les 12 ou 13 habituels. On retrouve les traditionnelles covers et un speech de Ben Affleck (bafouille plutôt pas mal d'ailleurs et moins prévisible qu'on pouvait le craindre, comme quoi, je dois avoir certainement des préjugés sur les acteurs ou alors je suis juste jaloux depuis son histoire avec Jennifer Lopez).
Bon, ce sont surtout deux épisodes bonus qui constituent le gros des "à-côtés". D'une part une petite explication, très écrite, sur la machination présente dans Sous l'aile du Diable, d'autre part, un one-shot d'ambiance, si l'on est gentil, ou "bouche-trou" (de l'aveu même de Panini !) si l'on est réaliste. Tiens, d'ailleurs ce truc avait déjà été publié en librairie, dans la défunte collection Best Sellers des boutiques Maxilivres, dans le volume Underboss de Daredevil.


Un Deluxe qui méritait son nom

Auteurs prestigieux et doués, histoires prenantes et bien écrites, dessins à la hauteur, 15 épisodes, voilà un volume qui est clairement indispensable pour tous les fans de Daredevil, d'autant qu'il s'agit là d'une époque charnière qui annonce une qualité qui ne se démentira plus par la suite (notamment avec les runs de Bendis et Brubaker). C'est également l'occasion de retrouver Echo, personnage cher à David Mack et dont il réussit à faire une femme particulièrement attachante en quelques planches (et loin, avouons-le, de l'être presque insipide que l'on a pu retrouver dans New Avengers, mais bon, ce n'est pas la série idéale pour creuser un tel personnage).

Bref, un très bon recueil contenant un arc comptant parmi les classiques de la série, avec un Daredevil tourmenté, au bord du suicide parfois, et quelques confrontations épiques. L'ouvrage peut encore se trouver d'occasion, même s'il faudra mettre presque le double du prix auquel il était vendu neuf. Notons que la partie Smith seule a été rééditée en Marvel Select (un tome lui aussi rapidement épuisé) en 2012.
Très vivement conseillé.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le génie narratif de David Mack.
  • Un excellent arc de Kevin Smith, peut-être son meilleur travail en BD.
  • L'aspect graphique en général.
  • Bullseye, odieux et flippant, dans l'une de ses meilleures apparitions.
  • Le côté sombre et émouvant.

  • L'épisode 12, un "interlude" dispensable.