Boulevard des Monstres
Par

Pâtisserie "Chez Gina", un gâteau bave-à-roi offert pour chaque achat !


Le scénariste de cette BD a un nom qui parlera forcément aux fans de comics : Paul Jenkins.
Le monsieur a travaillé (par exemple, mais la liste n’est pas exhaustive) sur Authority, X-Men : Schism, Fairy Quest, PenanceHellblazer, Batman : Legends of the Dark Knight, Strange Tales, RévélationsInhumans, Spawn : The Undead, Witchblade, Sentry, Wolverine : les origines, ou The Incredible Hulk… Comme vous le voyez, du DC, du Marvel, du Image, du Top Cow et bien d’autres boîtes encore. On a visiblement là un auteur prolifique et pour qui importe peu le flacon pourvu qu’il y ait ivresse.

Cette fois, il s’associe à Fred Pham Chuong (dessinateur autodidacte jusque-là peu connu, à part de ceux qui ont croisé son assez confidentiel Steam West) pour nous livrer une histoire très colorée dans l’étrange ville de Scare City, la ville d’en dessous où résident les monstres.

Et ce sont ici les Humanoïdes Associés qui s’y collent, pour nous offrir la version française grand format de ces quelques 115 pages.


Parle, BD, ou tais-toi à jamais !


Le ramage de l’ouvrage est assez original : nous sommes donc dans Scare City, la ville où tous les monstres vivent en harmonie.
Une harmonie bien fragile, toutefois, puisqu’il suffira d’un trait de lumière solaire en pleine nuit frappant le balcon de l’appartement d’un paisible vampire bedonnant pour que la paranoïa s'installe, ravivant des tensions anciennes entre les clans... Parce que, oui, pour les plus jeunes d’entre nous ayant été nourris au jus de Twilight, Perkins nous offre ici des vampires certes sympathiques mais néanmoins classiques que la lumière solaire réduit en un tas de cendre. Non, les gars : les vampires ne brillent pas au soleil, c’est la dernière fois que je vous le répète !

La ville sombre alors peu à peu dans le chaos au rythme des événements tragiques (comptant, par exemple, l’effacement brutal de toute une partie de la population du quartier des loups-garous, un soir de pleine lune, dans un grand éclair de lumière) .

Au milieu des tensions communautaires qui se ravivent et alors que les monstres vont devoir de nouveau, pour survivre, se tourner vers l’ancienne coutume consistant à emprunter les escalators vers notre monde pour venir y effrayer les humains que nous sommes, un seul personnage semble avoir une idée de ce qui se passe : Gina !

Gina, ce sera notre héroïne. Elle est mi-sorcière (c’est bien !), mi-zombie (c’est nettement moins bien !). Cette jeune pâtissière spécialisée en confection d’horribles gâteries (comme le bourre-mou, le pudding au sang, le bave-à-roi ou la cervelle en croûte) va en effet assez vite comprendre que la lueur qu’elle a vue en provenance du manoir de Goulepierre n’est pas étrangère à ces événements. Malheureusement, la part zombie de son individu et ses fréquentes (mais trop opportunes au bon déroulement du scénario) crises de débilité zombiesque la discréditent aux yeux des autorités.
Pour découvrir ce qui se trame, elle mènera donc l’enquête elle-même, en compagnie de son mari vampire, de deux extraterrestres, d’un fantôme détective et d’un loup-garou jovial.

Qui donc en veut à l’harmonie de la ville ? Qui pourrait voir un intérêt au retour des traditions obsolètes au détriment des années de progrès et de paix qui viennent non sans peine de s’écouler ?



Et le sous-texte, alors, mon bon ? Que dit le sous-texte ?


Jenkins nous livre ici un scénario qui laisse peu de place au doute quant au message qu’il veut développer : la différence est une richesse, les frontières sont vouées à disparaître et seuls quelques manipulateurs corrompus ont un intérêt (principalement financier) à laisser la société retourner à ses vieux travers haineux et communautaristes. Toutefois, pour contrer les vils desseins des propagateurs de haine, certaines personnes modestes et droites sont mues par la sagesse et aspirent à l’harmonie.
L’emballage monstrueux n’est ici que cosmétique et est d’ailleurs souvent assez maladroit, même si certaines idées sont effectivement originales. Ce monde des monstres est une parodie du nôtre vue à travers les lunettes orange d’un gosse de six ans fêtant Halloween en famille ; mais le charme opère… cette horreur apprivoisée, ces créatures fantastiques vivant côte à côte de façon débonnaire, ça marche plutôt pas mal. Le fan de bestiaire fantastique que je suis ressent bien entendu un manque et voudrait telle créature ici ou tel monstre là, mais force est de constater que, si je reste objectif, le scénario tire parti de ce contexte de ville monstrueuse avec bien assez de générosité pour une BD familiale.



Est-ce monstrueusement beau ?


Venons-en maintenant au plumage de la bête : son dessin.
Très cartoon, la mise en couleurs est agréable et rappelle celle de comics comme Battle Chasers ou Danger Girl (et j’aime bien ça, moi, les couleurs très « pop »)… mais le dessin, c’est autre chose.
Il y a de très belles cases, de belles planches, mais tout n’est pas au même niveau. On sent que Fred Pham Chuong veut bien faire et s’applique la plupart du temps mais on sent aussi les limites de sa technique dans le rendu des volumes ou le respect des proportions. C’est dommage pour un aussi joli objet mais quand on voit le museau du loup-garou Monsieur Fowler qui semble être à géométrie variable, le visage de l’héroïne dont on se dit que la nature de zombie permet de cacher bien des failles ou les proportions de certains corps semblant varier d’une case à l’autre… eh bien ça me rappelle mes propres tentatives de dessin, en autodidacte que je suis. Cela n’arrive que dans quelques cases, bien entendu. Mais quand ça arrive, ça saute aux yeux et l’on se demande ce qui a bien pu permettre à ces couacs de survivre jusqu’à la publication.

Regardez-moi la tête de ce pauvre loup-garou et les jambes de la malheureuse Gina...
Globalement, cette BD est jolie mais, malheureusement, ça coince par endroits.

Et donc ?


Il n’en reste pas moins que la BD est agréable et qu’elle devrait plaire à un public familial sans aucun problème…
Même en n’étant sans doute pas le public visé, j’en ai apprécié la lecture. Malgré le trait parfois maladroit, malgré le goût de moraline [1] parfois trop présent… alors, pourquoi pas vous ?



[1] La moraline, dans l'œuvre de Friedrich Nietzsche, est la morale bien-pensante faisant référence par connotation à une appellation médicamenteuse ou pharmaceutique.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le message très positif pourra plaire en cette période de retour aux  communautarismes.
  • Le scénario, malgré des errances, est agréable à suivre.
  • L'univers décrit est assez atypique.
  • L'humour, familial, fait parfois mouche.
  • La mise en couleurs est attrayante.
  • Le tout est accessible à un très large public.

  • La qualité du dessin est inconstante.
  • Ça déborde "un peu beaucoup" de bons sentiments.
  • Le scénario se perd parfois dans des détails sans apport réel à l'intrigue.