Scènes improbables #1 : La bécasse et le céleri
Publié le
21.4.21
Par
Nolt
Inauguration d’une nouvelle rubrique aujourd’hui, qui sera consacrée aux analyses de scènes un peu particulières, issues de films ou séries… bon, en fait d’analyse, ce sera surtout l’occasion de se moquer des acteurs et des scénaristes. Gentiment. Ou parfois moins gentiment, on verra. On commence avec deux légendes : Catherine Deneuve et Johnny Hallyday, dans une scène tirée des Parisiennes, un film à sketches datant de 1962.
Sophie, interprétée par la ravissante Catherine, débarque chez un jeune guitariste. On ne le voit pas dans l’extrait ci-dessous, mais l’arrivée, de nuit, de la belle (vous avez la référence ?) est déjà plutôt rocambolesque. Elle se balade sur les toits (tout le monde faisait ça en 1962, les trottoirs n’avaient pas encore été inventés), aperçoit un freluquet qui se morfond sur son plumard, et tape au carreau. L’autre lève la tête, sourit, et dit "entrez". Bah ouais, normal, une nana cogne à ta fenêtre en pleine nuit alors que tu habites au dernier étage d’un immeuble, pas de souci, tu la fais rentrer.
Bon, Sophie s’excuse tout de même d’arriver comme ça, parce que "ça ne se fait pas" (c'est effectivement assez rare de délaisser la porte au profit d'une petite séance de varappe jusqu'à la fenêtre). "Oh, ça ne fait rien", répond Johnny.
Il était sympa quand même ce Johnny, tu débarques par la cheminée, tout va bien, il t’accueille avec plaisir, à la bonne franquette.
Là, la jolie demoiselle, curieuse, demande à l’inconnu s’il a des ennuis. Vu qu’il est prostré sur son lit, en mode chialade, et en tirant une gueule épouvantable, on ne va pas non plus lui remettre le prix de l’intuition de l’année. Bref, le gars dit que non, tout va bien (on a sa petite fierté, pas vrai ?), puis… oui, il avoue finalement avoir des ennuis. Il en profite pour se présenter (il s’appelle Jean), et la demoiselle décline son identité et son âge. Fin de la conversation, elle se barre. Ben ça valait bien la peine de rentrer quasiment par effraction…
Cette fois, elle utilise la porte qui donne sur le couloir.
À partir de ce moment-là, ça devient surréaliste. Encore plus disons.
Jean se lève et va toquer à la porte (de chez lui donc, alors qu’il est à l’intérieur). Sophie (qui est dans le couloir d’un immeuble où elle n’habite pas) répond "entrez" (?!). Elle a vite pris ses aises la gamine.
Là, Jean invite Sophie à rester un moment avec lui (il précise qu’il n’a rien à lui offrir… sympa la soirée). La jeune fille revient donc sur ses pas.
S’ensuit une conversation insipide où Jean explique que, s’il était déprimé, c’est parce qu’il a cassé sa guitare. Effectivement, elle est en deux morceaux. On bascule incidemment dans le drame social. Jean, tout en précisant qu’il l’a cassée une heure auparavant, s’énerve et la balance par terre, ce qui présente le double avantage de le faire passer aux yeux d’une inconnue pour un violent psychopathe et de réduire drastiquement les chances de pouvoir la réparer (la guitare, Sophie, elle, est encore intacte).
Ce qui suit est magique. Jean explique qu’il voulait partir, le lendemain, au festival du disque et de la chanson, en Belgique. Là-bas, il était certain de réussir. Malheureusement, sans sa guitare, son rêve s’écroule. Pour marquer sa déception, il donne un coup de pied dans les débris de la gratte en la traitant "d’enfant de putain". C'est un peu violent, niveau langage. On est quand même à une époque où les gens, quand ils s'insultaient, se traitaient de "jean-foutre" tout en se vouvoyant. Mais Sophie, qui doit aimer les rebelles un peu rustiques, ne s'offusque pas et a même une idée :
— Vous ne pouvez pas en trouver une autre ?
— Il en existe d’autres ?? Putain, je l’ignorais, tout est réglé alors, merci, vous êtes géniale !!
Non, en fait, il explique qu’il n’a pas les moyens d’en acheter une autre, surtout pour le lendemain. Il n’insulte pas Sophie, ce qui est déjà ça. Et il fait bien, car sous ses airs d’écervelée, elle apporte tout de même une solution. La miss possède elle-même une guitare et consent à la lui prêter.
Jean n’en revient pas. Il met cependant Sophie en garde : "Et si j’étais un petit voyou et que je disparaissais avec ?"
Bah non Jean, ne t’inquiète pas, tu as démontré, en détruisant ton matériel et en utilisant un langage doux et fleuri, que tu étais parfaitement équilibré et digne de confiance. D’ailleurs, Sophie, du même avis, lui fait carrément don de son instrument.
Fin du deuxième acte.
On retrouve le duo chez Sophie, alors qu’elle refile sa gratte à Jean (ça correspond à la scène ci-dessous). Là encore, ça vaut le détour. Jean remercie Sophie pour son précieux présent, et la blonde évaporée de lui répondre : "Je suis si contente de servir à quelque chose… ça ne m’arrive jamais."
Ben alors Sophie, comment on est, là, niveau confiance en soi et amour-propre ? Ou bien peut-être est-ce une crise de lucidité ?
Bref, pour la remercier, Jean se met à beugler… à lui chanter Retiens la nuit.
Sourire extatique de la bécasse qui apparemment aime beaucoup Jean. Ou la musique. Ou bien quelqu’un lui fait quelque chose hors-champ. En tout cas, elle est contente.
Là accrochez-vous, tout devient vraiment bizarre.
Pendant que le bellâtre chantonne, Sophie, qui a un petit creux, se rue sur le réfrigérateur. Là, elle sort… une bouteille de lait et ce qui ressemble à du céleri. Elle tend la bouteille de lait à Jean, qui fait une grimace d’anthologie ! En même temps, c’est rare de boire un coup alors qu’on est en train de chanter, surtout si tu veux éviter de t'en foutre partout. Et puis bon, c’est Johnny. Tu lui proposerais un whisky, un verre de schnaps, au pire une bière, pourquoi pas, mais du lait… ça se voit qu’elle ne connaît pas le gaillard.
Ensuite, Sophie fait ce que toute jeune fille bien élevée ferait pendant qu’on lui chante une sérénade : elle se boit un coup de lait directement au goulot et bouffe un peu de céleri. C’est bien beau ces conneries de ballades, mais l’estomac, c’est important.
L’autre continue de chanter avec un sourire niais, en dodelinant de la tête. On dodelinait beaucoup en ce temps-là, normal, il n'y avait pas de jeux vidéo, alors dès que tu t'emmerdais, hop, tu dodelinais un peu, ça passait le temps. Sophie se recoiffe puis confectionne alors en vitesse une sorte de tresse en céleri. On ne sait jamais, ça peut servir.
Puis, Sophie rejoint Jean, qui est plus ou moins assis sur la table (il pose un demi-cul quoi). Elle, par contre, l’escalade carrément (la table, pas Jean). Heureuse d’avoir le ventre plein de céleri au lait et l’esprit serein, elle regarde, fascinée, l'instrument dont elle n'avait jamais rien pu tirer.
Pourquoi est-elle sereine ? On vous l’a dit, elle s’est rendue utile, et ça ne lui était jamais arrivé !
Alors, c’est pas de la belle scène, ça ?
Ah c’est pas ces béotiens de scénaristes contemporains qui auraient l’idée du céleri, ou qui seraient capables de tisser une telle intrigue !
Mais au final, qu’est-ce que ce récit, cette fable subtile, nous enseigne ?
Eh bien d’abord, qu’il faut faire gaffe à ce que l’on fait sur son lit, parce que même dans un appart au troisième étage, on n’est pas à l’abri de voir débouler un malpoli.
Et surtout, dans les années 60, quand quelqu'un chantait, la coutume voulait qu'on lui offre à boire. Ce n'est que bien plus tard, en 1986, que Francis Lalanne démontrera qu'il vaut mieux boire avant ou après un chant, ce qui lui permettra d'avoir la carrière que l'on sait. Oui ben, c'est pas toujours forcément ceux qui trouvent les astuces qui en bénéficient le plus...
Allez, cadeau, la scène du frigo.