American Animals
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Il existe des films qui ne paient pas de mine, que l'on regarde presque à reculons, et qui au final vous mettent une baffe magistrale. American Animals est de ceux-là.

Alors attention, si vous ne jurez que par Star Wars et les films Marvel, ça ne va pas vous plaire. Normal puisque ce film, de Bart Layton, est l'antithèse de ces blockbusters pour enfants : il n'y a pas "d'action", c'est bien écrit, original, parfois drôle et souvent brillant. Franchement, difficile de demander plus à un film.
Mais revenons tout d'abord sur l'histoire (vraie) de ce long métrage atypique. Warren et Spencer sont deux étudiants ternes, communs, qui ne savent pas trop quoi attendre d'un avenir aussi lointain qu'incertain. Un jour, l'un d'eux participe à une visite guidée de la bibliothèque de l'université Transylvania de Lexington, située dans le Kentucky. Là sont entreposés des ouvrages rares et hors de prix, dont L'origine des espèces, de Charles Darwin, ou encore le Birds of America, d'Audubon. Plusieurs millions de dollars en papier jauni par le temps.
L'idée d'un braquage germe dans l'esprit des deux jeunes gens. Au début, ce n'est qu'un vague projet, sans risque réel, quelque chose d'un peu fou, un simple fantasme. Puis, élément après élément, tout se met en place et ce qui n'était qu'une simple possibilité commence à se concrétiser. Lorsque Chas et Eric, deux autres étudiants, se joignent à la petite bande, il est enfin temps de passer à l'action...

Tentons de voir un peu pourquoi ce film est à ce point bon. Tout commence par une phrase inhabituelle, affichée sur un écran noir : Ce film n'est pas tiré de faits réels. Puis, quelques mots s'effacent pour laisser uniquement : Ce film est tiré de faits réels. Ce n'est pas seulement un intrigant effet de style, c'est aussi une démarche honnête (bien trop de fictions abusent de ces "inspirations" soi-disant "réelles") et un indice sur la manière dont le réalisateur va traiter cette histoire. Car, en réalité, les vrais protagonistes vont parfois apparaître, face caméra, pour donner leur version des faits. Loin d'être lourdingue, ce procédé va permettre d'amener une certaine émotion, mais aussi une véritable élégance dans la forme.
Par exemple lorsque Spencer, embarqué dans un projet fou et un véhicule qui fonce vers un crime qu'il n'a pas envie de commettre, va apercevoir, sur le bord de la route, le véritable Spencer, bien plus vieux et plus sage. Ou, plus tard, lorsque l'on va découvrir le point de vue du vrai Spencer qui, résigné, regarde cette voiture s'éloigner en emportant ses rêves et ses regrets.
Un peu difficile à expliquer comme ça, mais c'est juste beau et pertinent.



L'un des points forts du film est son côté réaliste, obtenu en ne cherchant surtout pas à l'être. En effet, Layton, au lieu de livrer un récit unique et linéaire, va parfois jouer avec les versions et les souvenirs (parfois très différents) des protagonistes. Une même scène peut ainsi être vue d'une manière différente, ou, plus subtilement encore, deux versions peuvent cohabiter au sein de la même scène (les personnages, censés être en voiture, se retrouvent, pour continuer le même échange, dans un tout autre lieu). Là encore, à décrire, ça ne paie pas de mine, mais c'est si bien foutu que, à voir, c'est tout bonnement jubilatoire. 
Le réalisme vient aussi des faits, bruts, montrés sans l'aura sulfureuse et épique qui enrobe en général les actes malveillants au cinéma. Warren, Spencer et les autres sont stressés, et on le sent. Malgré tout ce qu'ils ont préparé, ils sont soumis à des milliers de variables, et on le perçoit aussi. Leur première tentative est un incroyable moment de tension, impossible de ne pas avoir la boule au ventre, alors qu'en réalité, il ne se passe... rien !  

La violence (même si elle n'est pas très poussée, sauf bien entendu pour celui qui en est victime) est également très bien traitée, sans complaisance. Le réalisateur parvient notamment à montrer le gouffre qui sépare ce qui est prévu (un petit coup de taser et, hop, la bibliothécaire s'endort gentiment) et ce qui se passe. Même lorsque l'on est motivé, ce n'est pas facile de faire du mal à quelqu'un. On a les mains moites, le cœur qui s'emballe, la vue qui se trouble. On transpire, on stresse. Et quand enfin on passe à l'acte, il y a les cris, les gesticulations, ce corps qui n'en finit plus de rappeler qu'il abrite un être humain !
Rien que pour ce moment (qui peut rappeler L'Appât, en moins glauque), ce film serait déjà à conseiller.
Mais ce n'est pas tout.

American Animals, sous des dehors de petit film sans prétention, s'offre le luxe d'être autant innovant et efficace sur la forme que pertinent et profond sur le fond. L'on se surprend en effet à se questionner soi-même. Qu'aurais-je fait, à leur âge, si ce qui me séparait de plusieurs millions de dollars était uniquement une vieille bibliothécaire inoffensive ? Malgré son honnêteté, je n'ai guère aimé la réponse.
Sans même forcément confronter le spectateur à ce choix plus cornélien qu'on peut le croire, le film offre aussi une vision positive de types qui, certes ont encore tendance à embellir certains moments ou éluder leur propre responsabilité, mais qui ont évolué suffisamment pour regretter sincèrement un projet insensé qui leur a valu à tous plus de sept ans de prison (la sentence semble sévère au regard des faits, mais n'est sans doute pas pire que l'impunité abjecte qui couvre, ailleurs, des actes bien plus graves).
Reste encore à aborder les critiques négatives absurdes que ce film se trimbale. "Sans intérêt", "ennuyeux au possible", "décevant", "sans action"... évidemment, si les décérébrés de service s'attendent à voir une connerie à la Ocean's Eleven, ça peut dérouter. C'est un peu la différence qui existe entre Die Hard 5 (et pourtant j'adore Bruce Willis et la série des Die Hard, mais ce cinquième opus est juste imbuvable) et Garde à Vue. On peut foutre des fusillades et des poursuites et pondre un truc soporifique, alors que deux types qui discutent autour d'une table peuvent susciter un intérêt véritable. Perso, j'ai envie, quand je regarde un film ou quand j'ouvre un roman, qu'un auteur puisse susciter mon intérêt avec autre chose qu'une énième baston fadasse à l'issue prévisible. Layton (qui signe le scénario également) parvient à la fois à intéresser, surprendre, interroger et divertir, si ce n'est pas là le signe d'un Grand, j'en perds mon Platt. 

Une curiosité : tous les protagonistes de l'affaire, ou presque, ont fini par devenir artistes (écrivain, dessinateur...). Preuve que, du glaive à la plume, il n'y a qu'un pas. Malheureusement, l'inverse est vrai aussi. 

Les véritables protagonistes de cette histoire, et ceux qui les incarnent au cinéma.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un traitement formel original et élégant.
  • Un récit sans esbrouffe mais passionnant.
  • Un mélange étonnant entre réalité et fiction, questionnant sur le flou parfois malhonnêtement entretenu entre ces deux domaines.
  • Un habile dosage entre tension, humour et réflexion.
  • Pertinent sans être lourdement moraliste.


  • Franchement ? Rien.