Love kills
Par


L'amour tue. Cette assertion quasi oxymorique peut pourtant avoir un fond de vérité.
Et c'est d'autant plus flagrant quand la mort est au cœur de l'amour,
quand elle en est précisément la source.

Toi qui, comme un coup de couteau,
Dans mon cœur plaintif es entrée ;
Toi qui, forte comme un troupeau
De démons, vins, folle et parée,

De mon esprit humilié
Faire ton lit et ton domaine ;
- Infâme à qui je suis lié
Comme le forçat à la chaîne,

Comme au jeu le joueur têtu,
Comme à la bouteille l'ivrogne,
Comme aux vermines la charogne,
- Maudite, maudite sois-tu !

J'ai prié le glaive rapide
De conquérir ma liberté,
Et j'ai dit au poison perfide
De secourir ma lâcheté.

Hélas ! le poison et le glaive
M'ont pris en dédain et m'ont dit :
" Tu n'es pas digne qu'on t'enlève
À ton esclavage maudit,

Imbécile ! - de son empire
Si nos efforts te délivraient,
Tes baisers ressusciteraient
Le cadavre de ton vampire ! "

Charles Baudelaire in Les Fleurs du Mal


L'album commence avec 20 planches sans que personne ne parle : après un zoom à travers une mégalopole brésilienne surpeuplée aboutissant dans la salle de bain d'un appartement, on surprend le réveil d'une jeune femme qui était plongée dans une baignoire remplie de terre. Le temps d'une douche rapide et on la retrouve dans son salon où elle choisit de regarder la VHS d'un documentaire animalier mettant en scène une lionne chassant un zèbre. La jeune femme enfilera ensuite la tenue qu'elle arbore sur la couverture ci-dessus et partira dans les rues pour une ronde nocturne.

Les premières paroles seront celles de Marcus, un jeune cuistot qui servira ici de candide par les yeux duquel nous allons découvrir la nature réelle de la belle Helena ; car tel est le nom de la jeune f... euh, non. Ce n'est pas une jeune fille, loin de là : c'est un vampire ! Un vieux, très vieux vampire.
Un vampire qui va croiser le chemin de Marcus à plusieurs reprises alors qu'elle-même traverse une des périodes dangereuses de sa longue existence : elle est en effet traquée par plusieurs de ses semblables visiblement bien décidés à se débarrasser d'elle.

Et je m'arrêterai là, en ce qui concerne le résumé... parce que cet album raconte au final assez peu de choses et je ne voudrais pas trop gâcher votre plaisir de lecture. En 244 pages, ce one shot se concentre en effet sur quelques jours de la vie d'Helena ; jours durant lesquels, en compagnie d'un humain qu'elle malmène, elle va devoir affronter les démons de son passé.

Helena la chasseuse devient donc une proie... ce qui était d'ailleurs annoncé dès le documentaire animalier : elle a les yeux de la lionne mais va, cette nuit, enfiler une robe aux rayures identiques à celles du zèbre qui agonise sur son écran. C'est une prolepse allégorique. Oui, je me la pète grave ! 
Nous avons en effet à l'écran l'anticipation de la suite du récit dans une allégorie imagée. Et vous savez quoi ? Eh ben c'est vraiment élégant pour une simple histoire de vampire qui, par la suite, se limitera grosso modo à de l'errance et de l'action. Un bon point pour toi, Helena !


Le brésilien Danilo Beyruth (à l'écriture et au dessin) nous livre ici avec Love kills un album personnel (qui n'est pas son premier mais le premier édité par Soleil) résolument ancré dans la mouvance de l'urban fantasy.
Le monsieur a déjà bossé pour Marvel, notamment sur Deadpool v GambitAll-New X-MenDoctor StrangeAll-New Deadpool, Deux bandits ou encore Astronaute.
Niveau dessin, il sait ce qu'il fait : son trait est marqué par les comics mais son découpage, son noir et blanc sans concession et le dynamisme de sa mise en page comme de son dessin, lorgnent davantage vers les manga. Je pense par exemple à l'excellente série Gunnm ou Battle Angel Alita qui, elle aussi, met en scène une jeune fille brune quasi immortelle et gaulée comme un cargo de top-models slaves se battant à grands renforts de pirouettes dans des cases aux angles de vue originaux ; quelques marottes que semblent partager Danila Beyruth et Yukito Kishiro. Helena n'en est pas à maîtrise le panzer kunst mais je ne doute pas que l'idée lui plairait !

L'histoire, quant à elle, ne prétend pas offrir plus qu'elle nous livre : ce n'est pas d'une grande originalité mais c'est bien réalisé. Le genre "film d'action" existe bien au cinéma, voyez en cet ouvrage un comic d'action fantastique moderne... 

Parlant de modernité, il est intéressant de faire un point sur le genre de vampire auquel nous avons droit ici : Helena est un melting pot d'idées venant du vampire classique et de nombreuses adaptations modernes.
Helena conserve visiblement le besoin de dormir dans de la terre mais semble se ficher de son origine puisque de la terre végétale de jardinage en sacs lui suffit amplement, nul besoin de terre de son pays natal. Pour l'anecdote, j'ai d'abord cru voir des sacs de ciment, dans la salle de bain. Là, ça aurait été un peu trop iconoclaste pour moi !
Elle craint sans doute la lumière du jour mais l'histoire n'en joue pas puisque ses opposants sont tout aussi vampires qu'elle (quand elle pionce, ils font donc de même). D'ailleurs, elle ne se regarde jamais dans un miroir non plus ; on ne saura pas si elle a un reflet ! Je lui souhaite pourtant d'en avoir un : avoir une silhouette pareille et ne pas pouvoir la reluquer, ce serait du gâchis ! Ouais, je suis un beauf.
Elle a besoin de sang pour survivre à une décrépitude inéluctable. Sang qui l'aide aussi à se requinquer à grande vitesse et à se régénérer. 
Elle est capable d'user sur les humains de ce charme proche de l'hypnose que l'on attribue souvent à ses semblables... on est ici entre le pouvoir de suggestion d'un Jedi utilisant la Force et le charme plus discret des vampires d'Anne Rice.
Elle se déplace vite et efficacement... ah bah ça, l'expérience, sans doute ! 
Elle se questionne sur le sens de son existence dénuée d'âme, vouée à l'oubli, sans pardon ni salut... Un peu comme le Louis d'Anne Rice dans Entretien avec un vampire.
Elle combat ses congénères par le feu et les pieux (et que les rigolos qui voyant "feu" et "pieu" dans la même phrase ne me sortent pas qu'elle doit être chaude au lit, ce serait déplacé... et terriblement dangereux !).

Tout ça, c'est classique.
Un rien plus original, le manque de sang semble l'amener à perdre le contrôle et son apparence change alors en une sorte de stryge qui semble être un état primal plus apte à lui permettre de trouver rapidement une victime... un mécanisme de survie, en somme.
Toutefois, cet état semble plaire pas mal à certains de ses ennemis qui le revêtent parfois à leur bon plaisir, un peu comme (attention, référence pétée en vue !) le font les vampires dans la série Buffy (je vous avais prévenus !).

Si les vampires vous intéressent, n'oubliez pas de consulter ce dossier sur l'évolution du mythe du vampire.


Sans être une œuvre mémorable, on tient là un livre agréable à lire.
Un de ses soucis est peut-être dû à son écriture : ce n'est guère généreux en renseignements sur l'univers et il est difficile d'éprouver la moindre sympathie envers l'un des personnages. Attention, je ne suis pas de ceux qui estiment nécessaire de s'identifier à l'un d'eux... mais ressentir un sentiment positif à leur égard, ça peut quand même aider.

Pour finir, disons que Love kills me réconcilie un peu avec ce titre... Initialement, pour moi, Love Kills, c'était une chanson de Freddie Mercury sortie en 1984 (et ça, c'est coool !) puis ça a été une chanson des Ramones sortie en 1986 (pas mal cool aussi !)... mais en 2013, Roberto Bellarosa a sorti une troisième chanson portant ce nom et elle a représenté la Belgique (mon plat pays à moi) au Concours Eurovision de la chanson 2013 qui a eu lieu à Malmö, en Suède. Le machin décrochera la onzième place ex aequo avec la Moldavie. D'ailleurs, je rêve ou c'est un de ces pays dont les traditions sont infestées de vampires, ça, la Moldavie ? Mon dieu, tout est lié ! Vite, un manche à balai que je pourrai tailler en pointe ! Hahaha, tu vas voir ça, Roberto Bellarosa, tu vas payer pour ton insulte au bon goût musical !



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Pêchu.
  • Bien dessiné.
  • Efficace.
  • Sans concession.
  • Un peu anecdotique.
  • Trop avare scénaristiquement.