L'Egide est une société secrète ancestrale de sorciers afrodescendants ayant pour mission de protéger des "hauts potentiels" blancs...
Oui, dit comme ça, c'est un peu déroutant. Et dans le comic aussi, en fait. Du coup, j'ai bien essayé tout au long de ma lecture de me foutre de la couleur des protagonistes, comme je le fais toujours et comme je le fais dans la vie de tous les jours, mais l'œuvre tient véritablement à ce que ce message passe... Surtout d'ailleurs en raison de toute la promo qu'il y a autour de ce titre, rappelant à l'envi que tous les créateurs et tous les héros du comic sont afro-américains, par exemple. Fort bien mais... et alors ? Ça ne me gêne en rien mais ça ne m'intéresse pas non plus vraiment... Ces créateurs sont-ils simplement talentueux ? Oui. Les héros sont-ils charismatiques ? Oui. Cool. Ils sont tous noirs ? Re-"Fort bien mais.. et alors ?".
C'est en lisant une interview que le scénariste a accordée à
The Comic Lounge que j'ai compris pourquoi pas mal de choses m'échappaient tant dans la promo que dans la métaphore de notre société fournie par le comic. Voici ce qu'il y disait :
"Un élément important de Excellence est l'insistance pour
que les personnes noires et brunes soient considérées à tout moment comme des
êtres humains pleins, fonctionnels et vitaux, avec tout ce que cela implique.
Nous devrions être autorisés à être grands, à échouer tragiquement, à être en
colère aveuglément, à aimer profondément, à apprécier pleinement nos succès et
à le faire sans le fardeau supplémentaire que notre statut d 'autres nous
impose parfois. Perdre le poids de toujours être un exemple, même si nous
l'avons accepté. Prouver que l'excellence est réelle et qu'elle ne sera pas
niée, ni respectée, ni méprisée… pas pour toujours."
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Brandon Thomas, auteur de Excellence |
Après lecture de cette interview et consultation de la date de parution du comic aux USA, une conclusion m'est rapidement venue à l'esprit : "Ah, okay." Le comic est paru au moment des mouvements en mémoire du décès de George Floyd, dans une ambiance très
Black Lives Matter. Alors, non, je ne vais pas me lancer dans une interprétation du comic en tenant compte de façon très poussée de la question raciale... je ne maîtrise pas assez le sujet des tensions interraciales aux États-Unis... je tâcherai humblement d'en rapporter le peu que j'en comprends, en toute humilité. Par contre, si je ne compte pas lancer de polémique, je me permettrai juste, avant de le traiter comme n'importe quelle autre lecture, de faire une simple remarque, légitime à mes yeux : en 2021, inversez les couleurs de peau des personnages de ce comic et vous ne parlerez plus de couleurs de peau lors de la promo... car vous n'aurez plus de promo à faire. Une caste de sorciers blancs dont la destinée serait d'aider des "non blancs" à développer leur plein potentiel sous-entendant bien que ce serait impossible sans leur aide ? Mouairf. Ça ne passerait pas, si ?
Que l'on soit bien d'accord : je vois les couleurs de peau, je peux entendre les discours des uns et des autres se sentant défavorisés en raison de la leur... Mais, en tant que prof, je ne fais pour ma part aucune différence de traitement entre les individus, quel que soit leur sexe, quelle que soit leur couleur... Alors je vais tâcher de retranscrire dans les lignes à venir ce que je pense avoir compris de ce comic... sans trop me mouiller, toutefois. Je ne doute pas que certains trouveraient sans doute plus à y comprendre.
Spencer Dales fait partie d'une famille respectée car porteuse de façon innée d'un grand potentiel magique. Et ça, dans l'Egide, l'organisation secrète uniquement composée de personnes "de couleur" (et vous voyez, j'ai déjà du mal avec cette expression qui s'impose peu à peu... ils ne sont pas violets, ma parole... et hors de question que j'utilise "racisées"), c'est non seulement un avantage mais aussi une responsabilité. À noter que les femmes n'ont pas le droit de pratiquer la magie... même chez les membres de l'Egide, le patriarcat oppressif sévit encore ! Mais certaines femmes pratiquent quand même selon le principe répété ad nauseam du : "Ils interdisent, mais ils pardonnent." D'ailleurs, le comic installera souvent des règles présentées comme capitales que, pourtant, les personnages s'empresseront d'enfreindre un peu vite. Agaçant.
Toutefois, chez le jeune Spencer, ladite magie tarde énormément à poindre malgré un potentiel évident, ce qui frustre terriblement son père, très bien placé dans la hiérarchie de l'Egide, et qui forme un jeune homme un peu plus âgé, en parallèle de son fils : Aaron.
L'Egide est dirigée par d'invisibles autorités que Raymond, le père de Spencer, respecte autant qu'il les craint. C'est une très ancienne organisation secrète visant à la protection de la destinée de Blancs jugés méritants.
Spencer, nourrissant frustration et colère suite à son très long apprentissage magique auprès d'un père dur et exigeant, va peu à peu s'opposer autant à sa famille qu'à ce système qui lui demande obéissance sans contestation sous peine de faire perdre son statut aux siens du jour au lendemain. Un système qui, pour tout dire, est devenu inadapté et injuste au fil du temps. Un système qui n'attend qu'un jeune magicien doué, en colère et armé de sa baguette pour le faire trembler sur ses fondations... à moins que le jeune sorcier ne se trouve un allié inattendu dans les réminiscences douloureuses de son passé.
En ce qui concerne les personnages, je les trouve terriblement américains en ce qu'ils sont tous en proie à des tourments qui les torturent. Ils sont investis de pouvoirs immenses supposés faire d'eux des protecteurs surpuissants mais ils sont tous d'un nombrilisme cédant à l'autoapitoiement au point qu'on ne peut s'empêcher de se dire que, comme le livre souffre du "syndrome Nikita" (je m'expliquerai après), les personnages eux aussi sont presque obstinément nombrilistes... sauf les femmes, au fond.
L'univers est un peu futuriste et indéniablement chargé de fantastique.
Stylistiquement, imaginez des personnages typés "street art" habillés façon streetwear se bastonnant avec des baguettes magiques dans des chorégraphies de combat plus inspirées de Dragon Ball Z que de Harry Potter, même dans les plus mauvais jours des plus douloureuses menstrues d'Hermione Granger.
C'est joli et sympa à lire. Pas de doute là-dessus.
Excellence est dynamique, assez classe, bien dessiné et mis en couleurs... Le comic de
Brandon Thomas,
Khary Randolph et
Emilio Lopez a indéniablement une identité graphique qui lui est propre.
Personnellement, je lui trouve deux défauts majeurs : il est verbeux et souffre du syndrome
Nikita. Je m'explique...
C'est un comic bavard. Les phylactères sont nombreux et très remplis ; les messages importants se répètent souvent et sont même parfois redondants avec les images... Rien de très gênant mais ça peut rebuter parce que ça donne l'impression de vouloir se donner un air particulièrement complexe alors que, souvent, avec un choix de mots plus pertinent, la plupart des enjeux et des problématiques seraient compris bien plus rapidement.
Le syndrome
Nikita (du nom de la série de 1997, je n'ai pas vu celle de 2010), c'est le nom que je donne à ces récits parlant d'une organisation secrète depuis l'intérieur avec tant de détails en tous sens qu'on en finit par en oublier qu'il existe un monde extérieur. Certes, l'organisation en question est intéressante mais elle n'existe prétendument que pour protéger des gens que... l'on ne voit jamais. C'est très "Egidocentré", comme narration et c'est dommage : il aurait été intéressant de comprendre mieux en quoi consiste cette mission pour laquelle ils donneraient leur vie parce que, en l'état, on a l'impression qu'ils servent juste de "bonne fée" à certains Blancs.
Les deux seuls exemples d'interventions extérieures (l'une, en plus, n'étant qu'une simulation et l'autre un rapport de mission échouée) montrent des magiciens intervenant de façon on ne peut plus démesurée pour influer sur la vie amoureuse de leurs filleuls.
En quoi ces Blancs à protéger sont-ils si importants ? En quoi sont-ils différents des autres, d'où leur vient ce mérite ? Pourquoi les mettre dans les bras de la bonne personne mérite-t-il de risquer à ce point sa vie à chaque instant ? Tout cela mérite-t-il l'entretien d'une société secrète plusieurs fois centenaire ? Pourquoi les magiciens noirs ont-ils interdiction de flirter avec les blanches ? En gros, ces magiciens noirs sont-ils plus que des Cupidons stylés capables de faire des boules d'énergie et des éclairs avec leurs bouts de bois ou non ?
Excellence semble être l'histoire d'un père et d'un fils se
déroulant dans un univers magique, mais surtout, c'est une histoire sur la difficile gestion de la colère. Spencer chérit sa colère, la nourrit, la canalise et en use pour tenter de changer les choses. L'histoire nous est narrée par la voix off d'un Spencer un peu plus âgé qui semble laisser volontairement des détails dans l'ombre, histoire que l'on découvre à notre rythme les tenants et aboutissants de son chemin vers... vers ce qu'il est devenu et ce qu'il a fait, j'imagine.
Le titre invoque plus ou moins implicitement un concept qui m'était peu familier et que j'ai voulu creuser suite à la lecture de l'interview de l'auteur : l'excellence
noire. C'est l'idée que, parce qu'une femme est noire (par exemple), elle devra toujours être
plus
que les autres. Elle devra toujours savoir mieux, se comporter mieux, être
meilleure que ses homologues blancs.
Une fois de plus, c'est un concept qui semble avoir pris sa place dans les médias américains... Je ne prétends ni l'approuver ni le comprendre, j'en prends note, c'est tout.
L'idée qu'un noir est soit un parangon soit une personne indigne dépend, dans le livre, des Quatre Murs,
les quatre principes énoncés comme règles de vie pour l'Aegis :
1) Il est interdit de protéger et défendre les non-méritants.
2) Il est interdit de façonner une baguette magique sans agrément.
3) Il est interdit de lancer des sorts sans baguette agréée.
4) Il est interdit aux femmes de pratiquer la magie.
Chacune de ces règles correspond-elle métaphoriquement à quelque chose dans la vie réelle ? L'Aegis elle-même correspond-elle à quelque chose ? J'avoue ne pas bien piger la symbolique de l'ensemble, s'il y en a une.
En plus, les quatre fameuses règles sont visiblement faites pour être enfreintes, puisque "Ils interdisent, mais ils pardonnent".
C'est ici le tome 1. J'espère en découvrir davantage et en comprendre plus à la lecture du tome 2 lorsqu'il sortira aux éditions Delcourt comme celui-ci.
En l'état, je trouve surtout le comic beau : le dessinateur a le chic pour créer un univers, pour illustrer ce qui n'existe pas, pour restituer la coolitude et les fringues à la mode et pour dessiner ses personnages depuis des angles de vues atypiques (comme, parfois, à travers le sol, dans une contre-plongée qui ne serait possible, au cinéma, qu'avec un plancher transparent).
Mais l'histoire... je ne sais quoi en penser. J'aimerais que l'on me prenne un peu par la main et que l'on me dise si oui ou non je dois trouver un message destiné à notre époque dans la moindre case ou si je dois le lire comme un simple divertissement très vaguement militant. Je suis perplexe. C'est ce qui va expliquer ce "BOF" de Virgul, notre mascotte. Le comic vaut plus que ça. Mais, en le reposant sur mon étagère, après lecture, je me suis dit : "C'est beau. Mais je ne sais pas quoi en penser... parce que je ne pige pas ce qu'il me veut..." et je n'aime guère ça.
Par contre, si vous comprenez mieux que moi les questions raciales américaines, si vous avez envie de vous lancer un défi ou avez juste envie de lire ce comic comme un divertissement, sans réfléchir : vous ferez bien de le faire, il est très bon. Mais il m'embête !
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Les points positifs |
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Les points négatifs |
- Le dessinateur est très bon.
- L'auteur n'est pas en reste.
- Il y a une vraie identité graphique.
Les créateurs sont tous afroaméricains Désolé, je me refuse à voir ça comme un argument de vente... C'est juste un fait. Ni plus, ni moins. | | - C'est inutilement bavard.
- C'est exagérément centré sur la seule organisation secrète.
- Les personnages sont vraiment trop sensibles.
- Je n'arrive pas à savoir si je dois y chercher ou non une tonne de métaphores, ce qui m'oblige à dire "bof" alors que ça vaut bien mieux !
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