Scènes Improbables #3 : Le syndrome de la douche
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Pour cette suite des scènes improbables, nous nous attaquons à un monument des années 80 : Top Gun, de Tony Scott !
Et nous allons notamment nous intéresser à la manière dont se déroulait un rendez-vous galant (un "date" si vraiment vous ne comprenez rien à ce dont il est question) à cette époque. 

Commençons par planter le décor. Pete "Maverick" Mitchell, alias Tom Cruise, est un as de l'aéronavale, un brin rebelle. Après quelques péripéties, il se retrouve sur la base de Miramar pour se perfectionner dans son art de buter des cocos volants. Là, il suit notamment les cours de la jolie Charlotte "Charlie" Blackwood, interprétée par Kelly McGillis. Cette dernière, intéressée par les infos que détient le fougueux pilote sur un Mig-28 (mais tombant aussi peu à peu sous son charme) l'invite à passer chez elle pour dîner. 

Classique donc jusqu'à présent, du moins classique si tu es pilote de chasse. Si tu récures les assiettes à la cantine, il y a déjà beaucoup moins de chances pour que tu finisses chez Charlie. Rappelons que la donzelle est tout de même très carriériste et intéressée. Bref, après une petite partie de beach-volley à moitié à poil (ouais, nous les mecs, on aime bien jouer au volley tout nus), Pete se souvient qu'il a rendez-vous avec la belle et part précipitamment, sans même prendre de douche. Pas forcément une bonne idée pour un premier rendez-vous quand on vient de gesticuler pendant des heures en plein cagnard, mais bon...

Maverick enfourche sa moto et s'éloigne vers un horizon rougi par le crépuscule naissant, le tout sur les premières mesures de Take my breath away, de Berlin. C'est beau comme une charge de cavalerie au petit matin. Bien entendu, il ne met pas de casque. Il ne va quand même pas bousiller son look pour de bêtes raisons de sécurité ! Charlie, pendant ce temps-là, patiente en bouffant des chips, ou des cacahuètes, en tout cas, elle ne fait pas attention à sa ligne. 
Le brave Tom arrive enfin, avec une coupe impeccable malgré le trajet en moto. C'est les scientologues ça, ils sont très à cheval sur la rigueur capillaire. Et, pour bien commencer la soirée, il annonce à Charlie qu'il va aller prendre une douche, si ça ne la dérange pas. Sans-gêne ces pilotes. Mais ça gêne Charlie justement, qui a grave la dalle. Donc, ils passent à table, sous l'œil blasé d'un perroquet. Si vous n'aviez jamais repéré le perroquet, déjà, c'est que vous avez vu Top Gun moins de 25 fois. Ensuite, ce n'est pas bien grave, il n'a que très peu d'importance dans l'histoire.

Là, Charlie joue la carte de la sincérité, en annonçant à son invité que si elle l'a fait venir, ce n'est nullement dans l'espoir d'une relation physique mais bien à cause de ce qu'il peut lui révéler sur le Mig-28. Elle précise même que cela lui permettrait d'obtenir une promotion importante et qu'elle pourrait ainsi "rapidement être mutée ailleurs". Heu... Charlie, tu ne sors pas les poubelles à Lewiston dans le Montana, tu es consultante pour la Navy dans la meilleure école de combat aérien, et tu vis dans une chouette maison en Californie... c'est quoi l'urgence à être mutée ailleurs, là ? C'est quoi qui ne te plaît pas ? La météo idéale ? le cadre féérique ? L'emploi génial ? 
Jamais satisfaite celle-là, dingue ça !

Bon, comme ils ne vont quand même pas parler boulot toute la soirée, ils picolent un peu de vin et finissent par se détendre en écoutant The Dock of the Bay, d'Otis Redding. Charlie est carrément allongée sur un canapé, agrippée à un coussin qu'elle sert contre elle. Est-ce un signe ? Une sorte d'appel du pied ? De nos jours, mieux vaut être prudent. De toute façon, Maverick en est à la séquence confidences et nostalgie. Il évoque notamment les goûts musicaux de ses parents. Surtout de sa mère en fait, qui écoutait cette chanson pendant des heures, en boucle, assise sur son lit. Ça pourrait être pire hein, elle pourrait l'écouter toute nue, prostrée sous la douche, en se balançant d'avant en arrière et en se cognant la tête contre le mur. Bref, après ce petit indice sur la santé mentale de sa maman, Maverick enchaîne en annonçant "elle est morte juste après lui". Ah, pour une première prise de contact, il sait mettre l'ambiance, pas de doute. Heureusement qu'il a un physique avantageux, parce qu'avec une conversation pareille, la plupart des jeunes femmes trouveraient un moyen de s'enfuir (ou de le foutre dehors plutôt, vu que c'est chez elle). En tout cas, Charlie ne se barre pas et, bien au contraire, alors que le pilote se lance dans le récit des exploits de son pôpa, mystérieusement disparu avec son zinc en 65, elle lui offre une petite séance de psychothérapie improvisée : s'il a "éternellement la seconde place", c'est à cause de son passé qui le hante. Pfouah, ça pue tellement le magazine féminin à la con... mais bon, c'est pas mal pour une astrophysicienne spécialisée dans les combats aériens... ah ben, l'analyse, c'est pas sa branche à la base. 

Après un petit rapprochement où l'on croit que le roulage de pelle n'est pas loin, Maverick emploie la fameuse technique du "repli stratégique" en se barrant subitement. Bah oui, on rappelle qu'il n'a pas pris de douche, il est coincé. Sourire niais puis retour à la moto et au crépuscu... heu, attendez, la nuit n'est toujours pas tombée ? Mais, ça a duré combien de temps en tout ce repas ? Le soleil se couchait déjà quand il est arrivé... soit c'est un coup du réalisateur, qui se dit "chie d'dans, je veux mon beau ciel rose en toile de fond, on s'en cogne de l'heure", soit ces deux-là mangent vraiment trop rapidement, ce qui n'est pas bon pour la digestion.

Le lendemain, Charlie est à la Navy Fighter Weapons School, dans un ascenseur, quand Maverick déboule tout suant, une serviette sur les épaules. Mais... qu'est-ce que c'est que cette base ? Pourquoi il déambule à moitié à poil dans les couloirs ? Et pourquoi est-il obligé, quoi qu'il ait fait auparavant, de prendre un ascenseur pour aller se doucher ? À quel moment, et dans quel corps de métier, on fout les douches à un autre étage que les vestiaires ? Tout cela est fort louche.
Au fait, juste avant, dans le couloir donnant visiblement sur des bureaux, vous l'avez vu le mec qui fait son footing en dribblant  (cf. la vidéo ci-dessous) ? Mais qui, putain, dans une école militaire, fait du sport dans les couloirs des bâtiments ? Ça s'est vachement relâché l'armée américaine, pas étonnant que trois pouilleux armés de lance-pierres leur filent une raclée de nos jours. Enfin, bref, si vous n'avez pas vu ce gars, ce n'est pas bien grave, il a à peu près autant d'importance que le perroquet.

Finalement, Charlie profite de l'intimité offerte par l'ascenseur pour faire comprendre à Maverick qu'elle a le béguin pour lui. Là, du coup, tous les feux sont au vert, le petit Tom, il se dit "douche ou pas douche, cette fois, j'y vais !". Mais, coup de théâtre, ils sont interrompus par un mec à moustache (habillé et sans ballon, celui-là) qui a l'outrecuidance d'utiliser leur ascenseur... grosse tension sexuelle, regards en coin... enfin, l'importun se barre !
Soulagement, on se dit que, ça y est, il va la déglinguer sévère, et... naaaan ! Il s'en va !! Mais... mais Tom !! Qu'est-ce que tu fais, au nom du ciel ?! Tu vois bien que c'est le moment, bordel, tu n'as rien tenté chez elle, quand elle t'a mis de la musique douce et qu'elle t'attendait sur sa saloperie de canapé de jardin, et là, dans l'ascenseur, alors qu'elle te fait des appels de phare monstrueux, tu ne bouges pas non plus, mais qu'est-ce qu'il te faut, à la fin ? On ne va pas te la livrer pieds et poings liés quand même ! [1]
C'est fou ça ! Pour un "fougueux" pilote (rappelons que "fougueux" signifie "faisant preuve d'une ardeur impétueuse"), il est quand même très timoré, non ? 
La scène qui nous intéressait s'arrête là. Rassurez-vous, il finira par se choper la demoiselle (quand même !) malgré une technique d'approche n'égalant visiblement pas son savoir-faire en termes d'appontage. Non, pas de métaphore scabreuse ici, "appontage" est employé dans son sens commun. 

Malgré tout, ce film, lui aussi, nous enseigne quelque chose. Bah oui, il y a toujours des leçons à tirer d'un blockbuster des années 80. 
1. L'armée, ce n'est pas aussi rigoureux que ce que l'on nous a montré dans Full Metal Jacket. En vrai, on peut se balader à poil dans les couloirs, jouer au ballon et dragouiller l'instructeur. Avec une ambiance pareille, il ne doit pas y avoir beaucoup de déserteurs. Franchement, mon lycée était moins fun.
2. Le climat californien, c'est très surfait : non seulement Charlie veut se barrer à tout prix, mais Maverick se trimballe tout le temps avec un énorme blouson en cuir... doublé avec de la fourrure. En même temps, c'est peut-être aussi pour ça qu'il a si souvent besoin de prendre des douches ce con-là... s'il savait s'habiller, il puerait moins et il choperait plus. Moralité, quand tu habites dans un coin où le climat est qualifié de "méditerranéen semi-aride" (véridique), évite les blousons d'aviateur. Même si tu es aviateur. Le principe du vêtement, c'est qu'il doit correspondre bien plus au climat qu'à ta profession. Mike Tyson, il n'est pas toujours en short par exemple. Alors OK, j'en entends certains me dire "ouais, le blouson, c'est pour se protéger, parce qu'il fait de la moto". Mais... il ne porte pas de casque !! Venez pas me raconter qu'il met un blouson en cuir par souci de sécurité, il s'en cogne, ce qu'il veut, c'est avoir l'air cool. C'est juste un putain de frimeur malodorant et à l'hygiène incertaine. 
3. Parfois, les perroquets ont de meilleurs rôles que certains figurants. Voire même que certains acteurs en France, mais c'est un autre sujet.


[1] Ceci est une expression, employée dans un contexte humoristique. La rédaction d'UMAC déconseille de ligoter une tierce personne, ou d'utiliser tout autre moyen de coercition, dans le cadre d'une tentative de séduction, sauf dans le cas où la dite tierce personne en ferait expressément la demande par écrit.