Basketful of heads
Par

Putain c'qu'il est blême, mon HLM, et la môme du huitième, sa hache, elle l'aime !
(inspiré d'une ritournelle bien connue popularisée par un troubadour moderne avant sa déchéance)


Débarrassons-nous d'emblée de l'ascendance encombrante du scénariste puisqu'il faut bien en parler... Le vrai nom de Joe Hill est Joseph Hillstrom King. Oui, King. C'est le fils de papa Stephen et oui, ça explique peut-être un peu son goût pour l'horreur et le fantastique.
Bonne coulée de sang ne saurait mentir !
Après le succès phénoménal de Locke & Key, Hill a lancé la collection Hill House sous l'égide de DC en la destinant peu ou prou à prendre la relève de la collection Vertigo dans son appétence pour le macabre et l'étrange.
Pour cette toute première série estampillée Hill House, il fallait bien, selon Hill, quelque chose de "drôle, intense et d'un grotesque sans vergogne". Je n'irai pas par quatre chemins : si tel était l'objectif, c'est mission accomplie !

Pour mettre en image ce baptême de sang, Hill s'est associé à Leomacs (dessinateur du comic Lucifer qui inspira la bien connue série).
Le dessin est de qualité mais est néanmoins mon seul bémol à cette série. Nombre de collègues parfois bien plus pointus que votre serviteur n'ont pas hésité à sortir les guirlandes de dithyrambes à l'égard de Leomacs pour ce qu'ils appellent son "côté rétro" dans Basketful of Heads... Ils ont raison : l'histoire sent les eighties à plein nez et le parti pris de l'illustrer à la façon des comics des années 80 est sans nul doute une bonne idée.
Même si je sais que comparaison n'est pas raison, je vais me permettre une analogie hasardeuse : nombre d'éditeurs de jeux vidéo sortent en ce moment des jeux témoignant de leur envie de revenir aux sources avec des musiques midi, du pixel art, des vues de côté, des mécaniques de jeu abandonnées depuis longtemps... pourquoi pas ? C'est un choix artistique, ça rappelle de bons souvenirs aux briscards tels que moi et ça fait découvrir un autre monde vidéoludique aux gamins... mais il ne copient évidemment que ce qui faisait la force de l'époque. Il ne leur viendrait pas à l'idée de simuler des chutes de framerate, des plantages de console, un système de sauvegardes expressément corrompues ou l'usage d'un unique loop musical de 25 secondes traîné durant les 25 heures de jeu. 

De la même façon, Leomacs ne reprend ici que ce qui fonctionne encore dans les comics d'antan : on retrouve dans Basketful of heads la mise en couleurs minimaliste de l'époque uniquement faite d'aplats, on retrouve le même genre de dessins qu'à l'époque avec une grande qualité dans la retranscription des émotions faciales... C'est intelligemment fait et agréable à regarder.
Mais ça a un effet étrange sur moi : j'ai l'impression de lire la réédition de luxe sur papier glacé d'un bon album de 1981 à l'occasion des 40 ans de sa sortie.
Du coup, autant ouvrir la collection avec ce scénario donne bien le ton, autant lancer une nouvelle collection avec une esthétique aussi datée me semble un choix étrange... Ça ne sent pas le nouveau, loin de là ! À se demander si ce n'est pas là, encore, une tentative marketing de surfer sur la désormais bien connue nostalgie des boomers et de la génération X...
Une fois cette remarque mise de côté, peut-être est-il temps de vous présenter brièvement June et les aventures qu'elle va vivre. Si vous êtes amateur de slashers, si I know what you did last summer, Scream et Urban Legends ont marqué votre jeunesse (comme la mienne), vous serez en terrain connu. À tel point que je ne serais pas surpris de voir une adaptation de Basketful of Heads au cinéma dans les années à venir.


June est le genre de femme-enfant dont les productions horrifiques sont friandes : imaginez un physique de grande adolescente entrant dans l'âge adulte assurant une apparente fragilité mais crédibilisant néanmoins un courage notable assorti d'une palette d'expressions oscillant entre la moue mutine, l'appétit sexuel explicite et la maladresse enfantine. 

Lorsque l'histoire commence, notre jeune héroïne au short à la limite de la légalité profite du grand air de Brody Island (dans le Maine, terrain de prédilection de la famille King s'il en est un) en attendant son petit copain Liam.
Quand celui-ci arrive, on découvre qu'il s'agit d'un policier en formation au physique sans doute très à la mode de l'époque lui aussi ; ce n'est en rien un détail, ce sera même important par la suite, dans la partie de l'histoire que je ne pourrai pas vous dévoiler sous peine de recevoir la visite vengeresse du grand démon Spoiler et de sa cohorte de diablotins pleurnichards. 

Les amoureux, à bord du buggy qui sert de voiture de fonction à Liam, plaisantent et devisent sur les thèmes de leur avenir commun et de ce poste d'été en tant que policier qu'il ne manquera pas de rejoindre une fois son diplôme en poche.
La radio, pendant ce temps, annonce qu'une tempête tropicale ne devrait pas tarder à déferler sur la région... ce qui aidera à créer une ambiance propice aux événements à venir et à trouver une justification pour que June passe une partie de l'histoire en T-shirt mouillé... quand je vous dis que ça sent le film américain à plein nez, ça. Non ? Bon. Je me moque mais c'est injuste pour le scénario qui, certes, utilise ces ficelles mais est surtout nettement plus fin que ça. 

Sur la route les menant à la maison du sheriff Wade, où Liam et June sont invités à prendre un dernier repas avant le retour de Liam à la vie scolaire, ils tombent sur une intervention de police vers laquelle le jeune homme, déjà très pro, se précipite. Quatre prisonniers du pénitencier de Shawshank (une référence directe à Shawshank Redemption, excellent récit de King et également un film magnifique que je vous somme de voir si ce n'est déjà fait) qui travaillent dans un verger local en ont profité pour se faire la malle. Le propriétaire du verger, angoissé par la situation, craint pour la sécurité de ses deux filles. Wade, lui, relativise énormément : les quatre individus sont loin d'être des terreurs, il estime que l'affaire sera vite réglée. Il envoie donc Liam et June prévenir sa femme de son probable retard pour le dîner, sans s'inquiéter davantage.

L'accueil chez Wade est fort sympathique. Roberta comme son fils font visiter la demeure aux deux jeunes gens, ne manquant pas de leur montrer l'étrange collection d'artefacts vikings que Roberta offre à son mari chaque année pour son anniversaire : c'est que ce dernier est si fier de ses racines scandinaves !
On a aussi droit, entre eux, à une conversation faisant office de préparation/paiement : June parle de ses études en sociologie et de sa thèse portant sur la façon dont la honte façonnerait la masculinité, ce à quoi la maîtresse de maison rétorque qu'elle trouve que certains professeurs de cette discipline déterrent à ses yeux trop facilement la hache de guerre contre les hommes... Voici qui annonce bien la suite de l'ouvrage !

En effet, alors que la tempête se lève peu à peu, un appel de Wade demande à sa famille de visiter la veuve de Noel Flannagan, un pauvre gars qui a eu le tort de s'opposer au vol de son bateau lors de la cavale des quatre fuyards. Liam et June sont supposés rester seuls chez les Wade et "garder le fort" entre-temps... toujours aucun rapport avec cette hache de guerre brandie contre les hommes, selon vous ? Détrompez-vous car, très vite, la situation se complique et les événements se précipitent : deux des fuyards semblent avoir pénétré chez les Wade. Liam joue les héros pendant que June se cache mais il se fait enlever. Lorsque June sort de sa cachette, elle se fait agresser par l'un des évadés et n'a d'autre choix, pour se défendre, que d'user de la hache viking qui trônait fièrement dans la vitrine au pied de laquelle elle trouvera aussi un doigt sectionné appartenant à son amoureux.

À partir de là, June, seule femme de ce qu'il reste de l'histoire, va tenter de comprendre ce qui arrive sur cette île bien moins paisible qu'il y paraissait. Au beau milieu de la tempête, elle va devoir résoudre l'énigme en ne se fiant qu'à son courage et à cette hache étrange qui est capable de décapiter sans pour autant tuer... Et la voici alors occupée à trancher des têtes et à les collecter pour tirer d'elles leurs confessions. Certains décapités le "vivent" très mal et craquent littéralement, d'autres restent aussi retors décapités qu'entiers.

La jeune femme va donc traverser la plus longue nuit de sa vie, parfois guidée, parfois menée en bateau, par les têtes de salauds tranchées, empilées dans son panier d'osier... 
On la suivra avec un mélange d'angoisse et d'amusement jusqu'aux révélations finales qui ne manquent pas d'ironie, à la façon de bien des récits pulp où, au bout de l'histoire, on ne peut que s'amuser du décompte des morts au nom de ce qui ne peut être qualifié que de méprise.


Le récit regorge de qualités indéniables : le crescendo est bien géré ; aucune incohérence ne m'a marqué entre ce début très heureux et cette fin très cynique ; le fantastique qui semble d'abord y être exploité comme un deux ex machina s'avère être finalement de moins bon conseil que prévu, à cause de la nature intrinsèque des hommes ; l'humour et le second degré sont omniprésents et le rythme reste presque toujours enlevé (exception faite d'un petit tunnel correspondant à une explication un peu trop longue fournie post décapitation par une des victimes de la belle).

Cette édition signée Urban se clôt sur un entretien avec Joe Hill, relativement intéressant mais surtout prometteur quant à l'avenir de la collection Hill House, et la désormais traditionnelle galerie des couvertures des formats souples qui me font regretter que l'histoire entière n'ait pas été traitée de cette façon, tant chacune d'elle est belle et convaincante. 

Comme souvent, on constate qu'il y a des variations entre le dessin de Leomacs et les couvertures réalisées par des artistes tiers ; pas seulement au point de vue qualitatif mais aussi, ici, au sujet du design de la fameuse hache... C'est anecdotique mais ça donne une idée du processus de création et de sa chronologie et je trouve toujours ça rigolo parce que ça signifie, grosso modo, que certains illustrateurs ont sans doute reçu une commande pour un dessin devant se résumer à :
"Tu me fais une jolie blonde sous la pluie dans un imperméable jaune de pécheur armée d'une hache viking et portant un panier en osier.
- Pardon ? C'est quoi, ce comic ?
- Je t'en pose des questions, moi ? Allez, zou, à ta table à dessin !"

En conclusion, on a ici une sorte de slasher revisité dont le personnage central n'est autre que le tueur, incarné par une jeune fille répondant davantage, pourtant, aux clichés de la victime. Cette jeune femme va en effet décapiter quelques-uns de ces messieurs mais en étant persuadée d'avoir le bon droit de son côté... ce dont nous pourrons de plus en plus douter, jusqu'au dévoilement final de tout cet imbroglio qui fait perdre à ses actes une bonne part de la mince moralité qu'on pouvait encore lui trouver.
Original, bien mené, ce premier né de Hill House vaut le détour. Si vous aimez l'horreur, le fantastique ou, par exemple, les récits des Doggybags dont nous avons déjà souvent parlé ici : foncez !



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un bon scénario aux multiples rebondissements.
  • Une ambiance "horreur fantaisiste" plutôt sympa.
  • Un univers qui joue habilement avec les codes du slasher.
  • Un fantastique un peu secondaire mais bien traité.
  • Une héroïne que l'on ne peut qu'aimer.
  • Le dessin et la mise en couleurs rétro, quoique de bon goût, ancrent un peu trop ce comic dans le passé ; paradoxal pour le fer de lance d'une toute nouvelle collection...


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Analyse polémique en "bonus caché"... mais vachement mal caché 
avec double trigger warning pour les plus sensibles
(même si j’ignore ce qu’ils feraient ici) parce que ça va polémiquer et spoiler !


Comme vous devez l’avoir déjà constaté, quand on aborde une œuvre quelle qu’elle soit selon un certain angle et qu’il nous semble pertinent, il est ensuite difficile d’en démordre. On finit par ne plus voir que ce qui nous conforte dans nos idées et souffrir d’un méchant biais de confirmation. Peut-être suis-je victime de cela mais… je ne crois pas !

L’angle en question m’est venu de deux observations au sujet de ce comic :
- le fait que nombre de sites internet le prétendent féministe juste parce qu’il met en scène une jeune femme qui tue des hommes (vision on ne peut plus idiote et contestable du féminisme) ;
- ces deux cases insistant sur les études de la jeune June sans grande raison apparente…

Quel intérêt de parler ici de ses études si c'est pour ne jamais y revenir ? Pourquoi certains critiques (à mon sens peu perspicaces) voient-ils une valorisation de June en tant que féministe ?
À force de spoilers et de pieds dans le plat, je voudrais défendre ici l'idée qu'ils le font par facilité, fainéantise ou bêtise et que, au contraire, Basketful of heads est une charge sans pitié contre le néoféminisme, le fameux et fâcheux féminisme 2.0 motivé par lesdites études sur le genre. Sortez vos boucliers, j'encoche les flèches !

Première chose à savoir. Dans cette case, la dame qui donne la réplique à June se nomme Roberta. C'est l'épouse du shérif local. Et voici ce que dit son mari à propos de sa femme :

Très clairement, Roberta est ici la femme forte, la meneuse. June, elle, est la jolie, la gentille, la mignonne. Oh certes, elle va bien sûr être amenée à commettre quelques actes montrant qu’elle est capable d'une grande force de caractère ; certes, elle va même être amenée à "trancher dans le vif" au propre comme au figuré… Mais il n'empêche que celle dont on pense qu'elle peut se montrer extrêmement dangereuse pour les quatre fuyards n'est autre que Roberta.

Que dit Roberta à cette jeune étudiante ? Simplement que beaucoup de professeurs ont déterré la hache de guerre contre les hommes mais devraient peut-être s'étudier eux-mêmes. Elle invalide les théories que soutient la jeune June.

Étant donné que l'auteur est de la même génération que Roberta, je suis tenté de penser qu'il parle peut-être à travers elle et cela offre alors à l'histoire une saveur toute particulière

À mes yeux, Roberta pourrait éventuellement être cette féministe 1.0, la féministe historique, celle qui effectivement revendique une place d'égale à égal avec l'homme. Là ou June incarnerait la féministe 2. 0, celle qui prétend que les hommes sont moins que ce qu'ils sont, celle qui prétend que "la honte façonne la masculinité", celle qui n'a pas envie d'être l'égal des hommes, celle qui leur trouve bien des maux.

Entre les mains de Roberta, il y a de fortes chances qu'une arme telle qu'une hache tranche et ne fasse que trancher : elle mettrait à mort. C’est d’ailleurs pourquoi elle n’en use pas, trop consciente qu’elle n’en a pas le droit. Entre les mains de June une hache a un tout autre effet : elle rend sa victime inapte à agir mais continue à lui laisser la possibilité de penser et de se révolter seule dans son coin, mais sans pour autant pouvoir vraiment changer quoi que ce soit à son sort. Entre les mains de June, la hache viking pourrait être (et oui je sais que je vais chercher un peu loin) pourrait être, donc, une métaphore de la cancel culture, cette censure moderne qui ne saurait vous ôter votre faculté de réflexion mais qui est tout à fait apte à vous priver de toute faculté d'action.

De nombreux indices parsemés ici et là dans le volume permettent d'illustrer cette hypothèse mais peut-être n'est ce effectivement qu’un effet de mes biais de confirmation.

Par exemple, sur la plupart des sites spécialisés, nous pouvons trouver une analyse selon laquelle les codes habituels seraient ici inversés étant donné que la jeune fille va partir en croisade pour délivrer son jeune amant et non l'inverse.
Mais si l'on y regarde bien, elle va, chemin faisant, éliminer ou plutôt empêcher d'agir quantité d'hommes. Aucune femme. Jusqu’à ce qu'elle finisse même par retrouver son petit copain qu’elle décapitera lui aussi sans autre forme de procès pour l'unique raison qu'il a volé de l'argent sur un cadavre de jeune fille.
En effet, dans une affaire de suicide sur laquelle Liam enquêtait, l'on a retrouvé une grande quantité d'argent auprès du corps de la victime. En réalité, la jeune fille était une ancienne droguée recrutée par la famille du shérif local en tant que femme à tout faire. Le fils du shérif eut avec elle une relation dont il retira énormément de plaisir, elle retira quant à elle énormément de confort matériel. Afin de sceller cette liaison très rentable, la jeune fille tenta de jouer sur la corde sensible en annonçant qu'elle était enceinte, mais la famille du shérif ne pouvait accepter cela. Ils la chassèrent donc après lui avoir donné une confortable somme d'argent et lui avoir interdit de jamais revenir. Acculée, la jeune fille désemparée a choisi de se suicider du haut d’un pont, avec à son dos le sac contenant les 10 000 $ offert par la famille de son jeune amant.

Quand elle découvrira tout cela, June ira même jusqu’à mettre le feu au bateau abritant le corps de son fiancé…  Non seulement elle le censure, mais en plus elle le bannit !

Ça me semble être une bonne illustration de ce féminisme 2.0 qui, à coup de slogans, tente à tout prix au-delà de toute forme de raison et au-delà de toute forme de logique, de censurer voire d'exclure au seul nom de la morale, d'une morale uniquement féminine bien entendu. Qu'importe, d'ailleurs, si l'acte répréhensible a été commis pour le bien d'une femme (en l'occurrence, ici, de June elle-même puisque l’argent a servi à lui acheter sa bague de fiançailles) ; ce qui compte, c'est qu'il a été commis et qu'il doit être puni non pas par la loi, mais par les personnes qui se considèrent moralement plus aptes que la moyenne à juger du bien et du mal.

Là ou ça devient rigolo, c'est que comme l'histoire est bien écrite, toutes ces tueries, toutes ces décapitations incapacitantes, ont en réalité été faites pour une raison absolument absurde.
En effet, le jeune Liam a été kidnappé pour être torturé car il était soupçonné d'avoir enregistré des conversations compromettantes sur cassette suite à la découverte d'un boîtier en sa possession où était inscrit "Police : preuve cruciale" (ce qui est supposé être une traduction du titre bien connu du groupe Police : "Murder by numbers"). Nous avons donc l’incarnation du féminisme 2.0 qui, fort de sa morale personnelle, nourri aux théories sur le genre, se permet de réduire au silence plusieurs hommes (certes pas des enfants de chœur mais, au final, tel n'était quand même pas son rôle) et d'assassiner froidement son fiancé et le chef de la police locale (qui, tout corrompu qu'il était, aurait quand même bien mérité un procès)… tout cela, donc, pour une simple confusion entre une cassette audio qui aurait pu contenir des révélations scandaleuses au sujet des personnes que June a assassinées et une cassette audio prouvant la grande passion de son fiancé (maintes fois rappelée dans l'ouvrage) pour le groupe Police et le chanteur Sting…

Or, nous connaissons tous nombre de cas où les nouvelles idéologies en provenance des États-Unis d'Amérique se sont permis de censurer, d'accuser, de condamner et de briser les vies de personnes innocentes de ce qu'on leur reprochait, et parfois simplement coupables de ne pas avoir été comprises par les détenteurs de la nouvelle moralité.
Ici, pour un sujet aussi bénin, pour une bête chanson, plusieurs vies furent gâchées et deux anéanties. Suis-je vraiment le seul à qui ça rappelle des faits réels ? Des vies sociales détruites en raison de deux pauvres mots malheureux, des familles brisées en raison d’une accusation mensongère basée sur un malentendu…

À noter qu'une fois tout le massacre perpétré, une fois que June a enfin réalisé toute l'horreur de la situation, une fois qu'elle a enfin compris qu'elle vient de tuer plusieurs hommes pour un simple quiproquo à propos d'une cassette audio, une fois qu'elle a réalisé que sa colère venait de lui faire commettre l'irréparable alors qu'elle n'avait pour cela aucune légitimité, elle croisera enfin une deuxième femme forte en la personne de la servante de Roberta. C'est cette dernière qui, en réalité, était depuis toujours l'indicateur des fédéraux (et non Liam avec son innocente cassette), c'est d'elle dont ces messieurs auraient dû se méfier.
Si June était à côté de la plaque en ce qui concerne le paternalisme qui serait forcément toxique, le livre n'oublie pas de dénoncer le sentiment de supériorité qui aveugle trop d'hommes : cette simple domestique, révoltée par le peu de cas que tous ces hommes ont fait de la vie de sa jeune apprentie, a décidé de tous les faire tomber en collaborant avec les autorités. C'est de ce genre de femme, ce genre de femme égale aux hommes, cette féministe 1.0, que ces messieurs auraient dû se méfier car elle avait bel et bien le monde droit de son côté. Mais sans aucune finesse, son aucun discernement, c'est pourtant June qui les a punis de façon expéditive, définitive et totalement illégitime.

Au final, nous avons donc l'histoire d'une jeune bécasse à peine capable de se projeter dans le futur, oscillant entre fragilité et violence, entre douceur et jalousie, qui va se permettre sans aucune preuve de faire régner la terreur et la justice au nom de sa seule et unique morale personnelle dans un patelin où certes tout le monde n'est pas blanc-bleu mais où ses méthodes radicales feront au final bien plus de mal que de bien.

Voilà maintenant le point dont il me fallait parler. Est-ce que je crois en cette explication ? À vrai dire, pas vraiment. Est-ce qu'elle tient la route ? À la lecture du comic, oui, de toute évidence. L'auteur avait-il pensé à cette façon de voir les choses ? Peut- être. Comment le saurais-je ? Mais mon explication vaut tout autant que celles (trop faciles, à mon sens) présentant June comme étant l'incarnation parfaite d'un féminisme conquérant. C'est juste un avis, une interprétation. Alors quand je lis de-ci de-là cet avis prémâché, cette interprétation, présentée comme une absolue évidence… je ne peux m'empêcher de sourire et me sentir bien ici, sur UMAC. Non, nous ne savons pas ce que l'auteur pouvait bien avoir en tête. Et oui, ce comic peut tout à fait vouloir dire autre chose. Il peut même, à vrai dire, comme je viens de vous le démontrer, vouloir dire exactement le contraire.

Et c'est là finalement tout l'intérêt de l'exercice auquel nous nous livrons ici. Non seulement nous vous présentons les biens culturels. Non seulement nous les analysons pour vous, les décrivons, les critiquons… Mais en plus de cela, dans une totale liberté, nous y apportons un éclairage qui nous est tout personnel. Une opinion. Un avis.

C'est cela que vous trouverez sur ce site. De vraies personnes qui ont vraiment lu les livres, vraiment regardé les films ou les séries... De vraies personnes ayant un avis sur l'œuvre et qui le partagent avec vous, en argumentant et en illustrant leurs propos par des exemples concrets et vérifiables. Bien entendu, comme tous les avis, le nôtre peut aussi être biaisé. Bien entendu, comme tous les avis, il peut vous séduire où vous déplaire.
Et s'il y a bien une chose qui nous distingue de ce que d'autres peuvent faire, c'est que nos avis, nous les présenterons toujours comme des avis. Et rien d'autre. Je reste persuadé que l'échange d'opinions et le débat sont les caractéristiques des plus intéressantes conversations. Et je suis convaincu que chaque fois que l'un de nous écrit ici, en ces pages, il ne le fait pas pour lui-même : il le fait pour converser avec vous.

N'oubliez jamais qu'une œuvre, quelle qu'elle soit, se nourrit tout autant de ce que vous lui apportez que vous vous nourrissez de ce qu’elle vous donne. L’art est doublement subjectif, dans les yeux de son auteur et ceux de son récepteur.