Blankets : ce que la neige recouvre...
Publié le
18.2.18
Par
Nolt
S'il est un comic qui peut convaincre les plus réticents que la BD américaine peut proposer des œuvres magnifiques, bien éloignées des affrontements de super-slips, c'est assurément Blankets...
Craig habite une petite ferme du Wisconsin, avec son frère Phil et ses parents. Issu d'une famille pauvre et très pieuse, il est rejeté à l'école et subit les brimades des autres gamins. Entre un père fort sévère, des professeurs qui ne le comprennent pas et un baby-sitter pervers, Craig en vient à penser que le monde réel n'est qu'une longue suite d'horreurs. Alors il s'isole et s'évade en rêvant.
Et il attend les vacances d'hiver. La délivrance. Trois semaines sans école et, contrairement à l'été, sans travaux à effectuer aux champs. Dans cette région du Nord des États-Unis, la neige tombe tôt et recouvre tout d'une blancheur apaisante. Elle cache la boue, les ronces et la saleté. Elle modifie le paysage en profondeur et s'offre comme une feuille vierge sur laquelle projeter un monde meilleur, presque le paradis que l'on promet au camp paroissial.
Craig grandit, de gamin mal dans sa peau il devient un original, puis un artiste. Un jour, il rencontre Raina. Ce sera son premier amour. Un amour idéal, tendre, pur... mais qui ne dure qu'un temps. Comme la neige.
Craig Thompson, qui signe scénario et dessins, touche dans ce récit autobiographique à la fois au drame, à la romance légère et à la comédie de mœurs sans jamais vraiment forcer le trait ou tomber dans la facilité. L'auteur, pendant près de 580 planches, dépeint le monde de l'enfance ou les interrogations adolescentes avec une rare subtilité.
Les scènes dans lesquelles Craig partage son lit avec son petit frère sont d'une grande tendresse, à l'inverse celles qui prennent place dans leur école sont d'une cruauté impitoyable. C'est d'ailleurs l'époque la plus touchante tant Thompson parvient à atteindre ici quelque chose d'universel qui dépasse complètement les frontières de l'état nord-américain dont il est originaire. Les conséquences psychologiques d'un comportement qui pourrait paraître innocent sont notamment parfaitement dépeintes, avec par exemple une scène dans les toilettes qui se passe de mots et reflète la solitude et le désespoir de l'auteur, gamin à l'époque.
Si l'enfance est très contrastée, les moments de l'adolescence sont, eux, déjà plus doux-amers. Là encore la quête d'absolu et de sens du personnage nous renvoie à nos propres expériences. Les passages concernant la religion chrétienne - et notamment la communauté assez rigide de cette campagne un peu perdue - ont parfois été perçus comme une condamnation de la religion alors qu'ils sont plutôt prétexte à remettre en cause les dogmes, quels qu'ils soient, et à faire l'éloge de l'individualité (que l'on soit croyant ou non d'ailleurs).
Tous ces thèmes sont astucieusement mélangés et imbriqués les uns dans les autres. Thompson parle même de son art à plusieurs reprises et de nombreux éléments, comme la couverture (au sens "plaid") qui donne son titre au livre, évoquent la bande dessinée en général.
La force de Blankets ne réside toutefois pas essentiellement dans l'intelligence de son propos mais bien dans la force émotionnelle brute qui se dégage des planches. La réaction du père de Raina, lorsqu'il va jeter un œil à une photo, sans dire un mot, après l'avoir surprise dans une situation inhabituelle... ou celle des deux frangins, tout heureux d'avoir enfin des chambres séparées mais finalement pressés de se retrouver au cœur de la nuit... sont simplement magnifiques : tout est juste, délicat et parfaitement dosé. Quant au si intense premier amour, celui qui enivre et peut vous sauver comme vous perdre, rarement un artiste en aura donné une description plus exacte.
Surtout, l'immense Craig parvient à nous faire croire qu'il nous raconte sa vie alors qu'en fait, il nous parle de LA vie. Sans prétention et avec un véritable talent de conteur, il farfouille au fond de nos esprits et parvient à nous attendrir ou, peut-être même, nous rendre meilleurs pour un temps.
Reste à aborder le dessin. Bien que maîtrisé, chaleureux, plein de détails ou de trouvailles excellentes, il n'en demeure pas moins en noir et blanc. Donc tout de même un peu austère. C'est probablement lié, à la base, à un manque de moyens, mais l'on ne peut s'empêcher de penser que de légers pastels auraient permis de faire encore plus ressortir la blancheur de la neige (et donc de la séparer des autres éléments de décor).
Mais bon, on ne va pas en chier une luge non plus, donc on fait avec.
La version française est éditée par Casterman.
Un Grand Livre, de ceux dont on peut se servir comme d'un baume sur d'anciennes blessures.
Parfois, au réveil, les souvenirs laissés par un rêve sont plus beaux que la réalité, et on n'a pas envie de les oublier.
Craig Thompson
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
|
|
|