Sandman
Par


Une série mythique. Le destin d'un être étrange qui règne sur le monde des rêves. Une épopée à la fois horrible et féerique. Sandman, c'est tout cela. Et un peu plus...

C'est en 1916 que Roderick Burgess, à la tête de l'Ordre des Anciens Mystères, va tenter de convoquer Death, l'entité représentant la Mort elle-même. Il échoue à moitié et se retrouve avec un singulier invité : Dream, le maître des rêves et des cauchemars. L'étrange marchand de sable va rester prisonnier des hommes pendant 70 ans. Et alors que son royaume tombe en déliquescence, sur terre, certains sont frappés par la maladie du sommeil et entrent en léthargie.
Lorsque Morphée échappera à la tyrannie des mortels, il devra commencer une longue quête, jusqu'en Enfer, pour retrouver ses pouvoirs. Quant aux dormeurs, ils continuent à faire des songes. Parfois magnifiques, parfois horribles.

Il y a une mode qui consiste à affubler une œuvre des plus improbables superlatifs, en quatrième de couverture ou à longueur de préface, afin de convaincre le potentiel lecteur qu'il se trouve devant un achat sinon inéluctable, du moins conseillé. C'est parfois vrai, parfois... moins. Sandman n'échappe pas à la règle des compliments enflammés mais la série a ceci d'original qu'elle en mérite la plus grande partie.
Il n'est pas inutile de présenter d'abord un peu l'auteur, Neil Gaiman. Si vous gravitez, d'une manière ou d'une autre, dans le milieu des comics, vous avez probablement entendu parler de lui. Chez Marvel, il est l'auteur de la version moderne des Éternels ou encore des premiers tomes de l'excellente série 1602. Mais le bougre ne se contente pas de scénariser et écrit aussi des nouvelles (citons sa participation au recueil Matrix, avec justement un texte illustré et non un one-shot traditionnel) ou encore des romans, parfois adaptés en comics comme Neverwhere. À force de faire du bon boulot comme ça, on finit par avoir un prix qui porte son nom ! 
Mais en attendant, les prix, c'est lui qui les remporte, et la série Sandman en a décroché plus d'un. Tentons de voir pourquoi.




Sandman est un peu une série multigenre. Elle flirte avec la fantasy, l'horreur ou le, déjà plus classique, genre super-héroïque. Mais ce qui pourrait n'être qu'un vulgaire fourre-tout devient vite, sous la direction de Gaiman, une sorte de voyage initiatique, bourré de références, qui sort des sentiers battus et vous plonge dans un fabuleux monde baroque et étourdissant. Dans les premiers épisodes, Gaiman va nous balader aux côtés de Constantine, évoquer la JLA (et même mettre en scène Martian Manhunter) ou encore nous expédier aux Enfers et nous faire découvrir ses démons, grotesques plus qu'effrayants. Mais, comme pour nous déboussoler un peu plus ou, mieux encore, intégrer l'ensemble de nos connaissances à son œuvre, il va puiser dans les références bibliques ou la mythologie, dans un désir fiévreux de tout relier à Dream et à ceux de son espèce.

Le procédé est si habile et si complet qu'il est presque impossible pour le lecteur de ne pas être touché par un thème ou une évocation. Cependant, au lieu de se contenter de "ratisser large", Gaiman réalise la performance de surprendre ou de mettre mal à l'aise, selon l'envie du moment. Que dire notamment de l'épisode 24 heures où, dans le cadre familier d'un petit restaurant américain sans prétention, Gaiman parvient à nous torturer, avec les pires scènes qui soient, mais aussi à se permettre une réflexion sur le processus créatif ?
Bref, vous l'aurez compris, c'est dense, "pensé" et bien construit.

En ce qui concerne les dessinateurs, citons Sam Kieth, Mike Dringenberg et Malcolm Jones III. Le graphisme est comme la colorisation, c'est à dire typique des années 90 (les premiers épisodes remontant même à la fin des années 80). Ce n'est pas ce qu'il y a de plus beau mais, à la limite, le style permet de donner une touche bien spécifique et presque dérangeante aux lieux et personnages. 
On ne peut parler de l'aspect visuel sans citer Dave McKean, auteur des magnifiques covers de la série. L'artiste parvient, par l'utilisation de collages, photographies et procédés numériques, à générer des sentiments évoquant puissamment les songes. Une fleur, un papillon, un sablier, un visage flou, un regard inquiétant, un chiffre, une forme atypique... toutes ces compositions évoquent autant le mouvant terrain du rêve que les émotions insufflées par Gaiman dans son récit, comme un vibrant hommage au mystère, à la terreur et à l'inconnu. Tout comme un nom, un thème, une référence vous seront familiers au niveau du texte, les compositions de McKean ont également cette propriété presque impudique qui consiste à vous rappeler une sorte de texture déjà effleurée, un parfum diffus et onirique, plutôt que de camper des paysages et visages communs.

Après Delcourt et Panini, c'est aujourd'hui Urban Comics qui détient les droits du titre et propose une belle intégrale. 
Une œuvre à part, aussi peu prétentieuse qu'elle est envoûtante. À savourer sans retenue.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un univers riche et profond.
  • Le mélange de fantasy, épouvante et héroïsme.
  • Percutant.
  • Des références bien employées.


  • Un style graphique qui peut parfois rebuter.
Écho #45 : 1984 - Édition Collector et traduction maladroite
Par


Nous revenons sur le chef-d'œuvre de George Orwell avec cette nouvelle réédition de 1984, publiée par Larousse.

Ce roman exceptionnel (pour une analyse plus poussée de ses nombreuses qualités, cf. cette Chronique des Classiques) méritait bien une édition collector. Celle-ci (sortie en 2021) lui fait largement honneur avec un grand format, une hardcover, quelques illustrations et un texte parfaitement mis en page, avec des éléments mis en avant par la couleur ou un changement de typo.

La couverture à elle seule, avec son aspect satiné et son format (25 x 18,5 cm), rend compte du soin apporté à cette édition.
Petit bémol cependant, les illustrations, si elles ne sont pas laides, ne sont vraiment pas appropriées. À part un ou deux dessins, stylisés et froids, l'essentiel du travail de Lionel Darian, par son côté cartoony et enfantin, échoue complètement à rendre l'atmosphère sinistre et oppressante de l'univers décrit par Orwell.
Clairement dommage.

Penchons-nous un peu sur la nouvelle traduction, par Étienne Leyris. Elle n'est pas forcément catastrophique, mais semble clairement inutile la plupart du temps, voire même maladroite. Pire, pour ceux qui connaissent bien l'œuvre, elle peut même franchement dérouter. Ainsi, le célèbre "ancipenseurs nesentventre angsoc" devient "les obsopenseurs non-tripent le socioc". Non seulement cette nouvelle version semble superflue mais si l'on se penche un peu dessus, elle viole les principes même de la novlangue. Pourquoi dire en cinq mots ce que l'on pouvait dire en trois ? La novlangue élague, elle n'enrichit pas. De plus, conserver un terme aussi soutenu que "obso(lète)" à la place de "anci(en)" est un non-sens. Enfin, pourquoi dénaturer le terme "angsoc" (socialisme anglais) au profit du très fade "socioc" ? Là la traduction trahit carrément la volonté de l'auteur et perd en précision.
Bref, les puristes préfèreront l'ancienne traduction, bien plus pertinente.

Reste une très belle édition, luxueuse et abordable (25 euros), mais pas sans défauts.







Mission Antarctique
Par


On retrouve Lefranc dans une aventure uchronique et glacée : Mission Antarctique.

Guy Lefranc, célèbre reporter, vient d'être contacté pour une mission aussi dangereuse qu'inattendue. Il doit en effet se rendre en Tchécoslovaquie afin de prendre la place d'un pilote dont il est le sosie pour ensuite rejoindre... une base nazie en Nouvelle Souabe ! 
En effet, les Allemands aurait établi une base ultra-secrète dans cette région polaire bien avant le début de la guerre. Après la défaite du IIIe Reich, ingénieurs et soldats seraient restés sur place et, disposant de matériels divers, ils auraient continué à développer l'une des armes secrètes du Führer : le Haunebu, une sorte de soucoupe volante, ultra-rapide et puissamment armée.
Évidemment, en pleine guerre froide, Occidentaux et Russes souhaiteraient mettre la main sur une telle arme. Lefranc va donc devoir affronter nazis, communistes et peut-être même décider du sort de l'humanité...

Voilà donc un album auquel n'a évidemment pas participé le regretté Jacques Martin, papa d'Alix et Lefranc (cf. ce First Look consacré à La Grande Menace), puisqu'il est sorti en 2015 chez Casterman. Le scénario est signé François Corteggiani, les dessins sont de Christophe Alvès et la colorisation de Bonaventure (ah bon, il n'a pas de prénom ?). 
Niveau graphisme, aucun souci, Lefranc a une bonne tête (il ne paraît pas trop jeune comme ça a pu être le cas parfois), les décors sont superbes, tout comme les différents aéronefs. En ce qui concerne l'essentiel, c'est-à-dire l'histoire, nous allons voir qu'il y a du bon et du moins bon.




Tout d'abord, l'idée de départ est assez intrigante et basée sur de véritables rumeurs. L'introduction est efficace et la présentation de la mission fait habilement référence à des éléments historiques mais aussi par exemple aux Montagnes Hallucinées de Lovecraft. Cette entrée en matière permet d'installer une atmosphère mystérieuse et un brin de réalisme.
Par contre, le développement du récit est bien moins efficace, notamment toute la partie se déroulant sur la base. Les différentes péripéties s'enchaînent sans beaucoup de suspense ou d'effets. Tout reste assez convenu, jusqu'à la participation (encore !) de l'incontournable Axel Borg. La conclusion, avec fusillade, fin ouverte permettant une éventuelle suite et une petite pirouette du héros, manque là aussi d'originalité ou d'efficacité dans la mise en scène.

Ainsi, malgré le format 54 planches (on n'est tout de même encore loin du bien plus confortable format 70 planches adopté sur certains Jérôme K. Jérôme Bloche), on ne peut s'empêcher de trouver cette aventure bien terne et étriquée. Ce n'est pas désagréable à suivre, certes, mais ça manque cruellement de rebondissements percutants et de véritable tension. D'autant qu'il y avait là de quoi faire avec un décor impressionnant, un dilemme moral intéressant et un engin volant fascinant. 

Bref, un album plutôt moyen qui illustre bien la qualité très variable de la série.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une intro efficace et bien fichue.
  • La partie graphique, parfaitement réussie.


  • Un développement de l'intrigue insuffisamment maîtrisé.
  • Une conclusion un peu faible et trop attendue.
Comics Matrix : L'Intégrale
Par


Gros plan sur Matrix - L'Intégrale des Comics, un épais recueil publié par Huginn & Muninn.

À l'époque publiés en deux tomes par Panini, les comics Matrix ont été réédités en 2021 et ont bénéficié d'une toute nouvelle traduction. 
Au cas où certains ne connaîtraient pas la trilogie originelle, petit rappel des faits : le monde n'est qu'une vaste supercherie, une chimère superposée à l'horreur du réel. Tandis que les machines nous cultivent, nous rêvons nos vies, prisonniers de la Matrice. Pourtant, certains sont libres, certains voient à travers les programmes et tentent d'agir pour reconquérir la liberté perdue. Une mission peu aisée étant donné que la plupart des prisonniers n'ont même pas conscience de vivre dans une prison et que certains préfèrent la beauté du virtuel au cauchemar de la réalité.

Les bases étant posées, il faut savoir que les frères Wachowski (l'éditeur a cru bon de les bombarder "éditrices en chef" dans le sommaire, c'est ridicule... ce ne sont ni des femmes, ni des écureuils, ni des putains de nénuphars, ce sont des hommes... avec une bonne grosse maladie mentale, certes, mais des hommes tout de même) ont décidé de raconter leur histoire à travers divers supports. Ainsi, les Animatrix couvraient des pans de l'univers Matrix qui n'étaient pas abordés dans les films (les événements ayant abouti à la révolte des machines par exemple). Pour ces comics, il s'agit également d'histoires originales et non d'une adaptation de ce que l'on a pu voir au cinéma.

En ce qui concerne les auteurs ayant travaillé sur ce projet, ils sont nombreux et certains très connus. Les frères Wachowski ont eux-mêmes scénarisé la première histoire, secondés au dessin par Geof Darrow (Hard Boiled), génial concepteur de bon nombre d'éléments de la trilogie. On peut citer aussi Bill Sienkiewicz (Daredevil) et Neil Gaiman (Neverwhere), qui a carrément écrit une nouvelle illustrée plutôt qu'un comic. Dave Gibbons (Watchmen) et Ted McKeever font également partie de l'aventure, tout comme Jim Krueger (Earth X), Tim Sale (Black & White), Michael Oeming (Powers) ou encore Kaare Andrews (Spider-Man : Reign)... et même l'un des frères Luna (Girls) pour la colorisation d'un épisode. Beaucoup de noms prestigieux donc pour ce projet ambitieux. 





Les 28 histoires courtes rassemblées ici sont très différentes les unes des autres, ne serait-ce que par l'ambiance graphique. L'on passe du noir & blanc aux couleurs les plus vives, d'un style réaliste à des personnages cartoony et grotesques, voire à des travaux plus inspirés et presque expérimentaux, bref, ce n'est pas l'homogénéité qui a été recherchée. Ce n'est d'ailleurs pas déplaisant tant l'on assiste à un défilement d'instants particuliers, de tranches de vie presque, évoquant à chaque fois un aspect de Matrix, chaque personnage réagissant différemment aux atrocités auxquelles il est confronté. Le résultat est une suite de violence et de paranoïa, de poésie et de tristesse, d'espoir et de ténèbres.

Cette compilation semble cependant réservée aux fans ou, au moins, aux lecteurs ayant vu le premier Matrix sur grand écran. Dernière précision : pas de Neo ou de Trinity ici (ou vraiment en apparition), on parle uniquement de parfaits inconnus, seul B1-66ER ou le Kid rappelleront quelque chose à ceux qui ont vu les Animatrix.
Si l'on devait trouver un défaut à ces récits, c'est sans doute leur briéveté, ce qui ne laisse pas le temps de camper des personnages auxquels s'attacher, ni de développer une réelle intrigue. Ce choix éditorial donne la priorité aux évocations, aux ambiances construites par petites touches, plutôt qu'à une réelle saga parallèle. Un peu dommage d'autant que certains épisodes ont un fort potentiel, comme par exemple Le Roi Sans Retour, montrant des fugitifs cherchant à échapper autant à la Matrice qu'à Zion et s'amusant à s'offrir des poussées d'adrénaline dans des mondes recréés pour l'occasion.

Le recueil se termine par une petite galerie de dessins et covers. 
En conclusion, si vous n'êtes pas très fan de Matrix, choisissez la pilule bleue et vous oublierez tout et vivrez dans une parfaite ignorance, si vous appréciez et connaissez déjà cet univers, foncez, prenez la pilule rouge et plus rien ne sera jamais comme avant... 

Toujours disponible en neuf, 35 euros, hardcover, papier glacé, 400 pages.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un excellent complément aux films et aux animatrix.
  • Des styles graphiques variés, souvent inspirés.
  • Un casting d'auteurs et dessinateurs prestigieux.
  • Quelques récits "coups de poing".


  • Un format qui interdit le développement des personnages ou les intrigues complexes.
Superman : Lost
Par


Superman : Lost est une maxi-série éditée en France chez Urban dans la collection DC Deluxe.

Mais c'est d'abord l'histoire d'une confusion, que je n'ai réparée que très récemment, dans l'optique de rédiger cette chronique (qui nécessite tout de même un minimum de recherches et de préparation) : contrairement à ce que je croyais (ce qui m'a poussé d'ailleurs à acheter l'album en question), le scénariste de cette maxi-série n'est point l'auteur de l'excellent Le Monde inverti. En effet, Christopher James Priest est le nom de plume de l'Américain James Christopher Owsley : qu'il ait choisi une homonymie parfaite est pour le moins troublant, mais je n'ai pas d'explication à ce sujet, d'autant que le Britannique écrivain de SF est décédé. Cela dit, cet autre Christopher Priest n'est pas un manchot et s'est fait un nom dans le domaine du comic book de super-héros, principalement chez Marvel d'ailleurs en travaillant sur des personnages comme Luke Cage ou Black Panther ; chez DC, il a déjà œuvré sur des titres comme Deathstroke, ainsi que Nolt l'évoquait ici.

Et voilà donc notre mystérieux homonyme à nouveau associé avec le très bon Carlo Pagulayan (rappelez-vous Planet Hulk) pour une série d'épisodes centrés sur l'Homme d'acier. Loin d'être une sinécure : comme pour Batman, tout ou presque semble avoir été écrit sur ce déjà très vieux personnage qui, au contraire du sombre Caped Crusader, manque d'atouts intrinsèques pour intéresser un lectorat moderne. Le boy-scout venu de Krypton est en effet trop propre, trop lisse, mû par des principes trop rigides et vêtu d'un costume bien désuet désormais. Pourtant l'on continue à produire des films à grand spectacle autour de son mythe, quitte à l'égratigner un peu au risque de faire fuir les puristes et les nostalgiques. Et le récent et magnifique Supergirl : Woman of Tomorrow a prouvé qu'on peut encore faire du neuf avec de l'ancien, à condition de jongler habilement entre création et respect des codes. Il n'est pas question ici de rebooter (encore...) la franchise, mais de rédiger un one-shot explorant certains coins d'ombre, certaines failles d'un demi-dieu orphelin de sa planète natale - et qui n'a peut-être pas su en faire correctement le deuil.

Tout commence dans l'appartement de Loïs et Clark, qui filent le parfait amour. Tandis qu'elle se penche sur les circonstances d'un accident ayant entraîné la démission d'un sénateur (son instinct de reporter lui susurre qu'il y anguille sous roche), lui répond à un appel de la Ligue de Justice pour régler un problème sensible pouvant dégénérer en casus belli. Le temps qu'elle s'assoupisse sur l'ébauche de son article, voilà l'homme de sa vie de retour. Cela aurait pu être un jour comme les autres dans ce couple pas comme les autres, sauf que, cette fois, Superman n'est pas lui-même : immobile et mutique, debout dans le salon, les yeux dans le vide. Quelque chose ne va manifestement pas chez lui. Et c'est alors qu'il sort de sa torpeur et déclare qu'il est parti... vingt ans ! Stupéfaction et inquiétude chez Lois qui voit aussitôt débarquer un Bruce Wayne atterré : l'histoire se complique, d'autant que Clark ne parvient pas à s'extirper de l'état de choc qui le tétanise. Commence alors un long et douloureux travail sur lui-même, au travers du souvenir flou de ces années perdues, loin de la Terre et de son épouse. Comment ? Pourquoi s'est-il perdu ? Et qu'a-t-il fait de tout ce temps ? Il faudra toute l'aide des compagnons d'armes de Superman, tout le soutien moral et la ténacité d'une extraordinaire Loïs (qui ira jusqu'à se compromettre pour tenter de guérir l'homme de sa vie empêtré dans un syndrome post-traumatique implacable) pour tenter de comprendre l'incompréhensible.




L'auteur nous plonge dès lors dans le tourbillon vertigineux du vide spatial, des voyages dans le temps, des trous noirs et des ondes gravitationnelles tout en articulant son récit sur des thèmes puissants : le deuil, bien entendu, mais également l'héroïsme, la responsabilité et le sens du devoir voire du sacrifice, thèmes qui ont toujours sous-tendu l'existence du Fils de Krypton. Ici, les curseurs sont poussés au maximum par le biais de réflexions profondes, d'introspections, de dialogues pernicieux nimbés de psychologie, au point que l'action proprement dite ne vient qu'illustrer de loin en loin cette histoire qui intrigue et déroule lentement ses chapitres avec un Homme d'acier totalement à la dérive, incapable de retrouver le fil des événements, presque apathique, qui pousse ses amis et sa chère Loïs à le secouer, parfois sans ménagement. L'on découvre alors un être qu'on croyait invincible, invulnérable, complètement anéanti par un sentiment qu'on avait oublié : celui de la perte. Pour des raisons que nous  vous laisserons découvrir, Superman s'est retrouvé perdu dans l'espace, loin de ses proches, de sa patrie d'adoption, incapable de retrouver le chemin du retour, soumis aux impondérables et au bon vouloir des voyageurs cosmiques, atteignant les limites de ses capacités surhumaines. Une souffrance indicible qui le conduira de monde en monde et lui donnera l'occasion de prouver à nouveau sa valeur, en repartant de zéro.




Il faut bien l'avouer, la lecture peut s'avérer ardue. Les doutes, les interrogations qui émaillent le récit, entrecoupés d'intertitres littéraires (dont certains en français dans le texte), nous plongent dans un environnement désagréable, malcommode : notre héros, à nouveau orphelin, est à la dérive, en perte de repères, et l'on s'identifie alors à ceux qui se battent pour qu'il remonte en selle. Et là où les potes surpuissants de la JLA font chou blanc, c'est l'incroyable persévérance de Loïs Lane qui fait écho à notre envie d'aiguillonner un Superman qui n'est plus que l'ombre de lui-même. Alors, de fastidieux et lourd, le script va finir par surprendre, insérant des coups de théâtre, des retournements de situation retors, des secrets inavouables sur ce qu'a entrepris le Kryptonien pendant ces vingt années loin de la Terre et, surtout, sur comment il a réussi à revenir - et à quel prix...

Un album parfois éprouvant, qui se mérite, mais qui finit par révéler une histoire profonde, sincère et lumineuse mettant en exergue ce qu'il y a de plus précieux chez un héros. Remarquablement écrit, avec un sens aigu des relations intimes et une très habile construction parallèle intriquant les quêtes de plusieurs personnages et les différents continuums spatio-temporels. Il faut également reconnaître au scénariste d'avoir parfaitement su intégrer bon nombre des personnages qui naviguent dans le sillage de Superman, lequel, après avoir chu de son piédestal, s'en retrouvera irrémédiablement transfiguré. Comme quoi, avec un peu de talent, même avec un matériau aussi éculé et galvaudé que ce super-héros légendaire, on parvient à écrire une magnifique histoire qui saura encore surprendre.




  

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un script très dense qui donne un coup de jeune à ce bon vieux Supes.
  • Des bonds dans le passé, le futur et d'autres réalités ainsi que des retournements de situation qui donnent le tournis.
  • Une écriture aiguisée, percutante, qui s'attache à développer les relations entre les personnages.
  • 248 pages... et on en a pour son argent.
  • Une fin d'une grande élégance pleine de poésie et d'émotion.


  • Peut paraître confus, voire obscur au début.
  • Une quête qui met du temps à démarrer.
WhiteOut
Par


On s'embarque dans un polar ayant pour cadre le trou du cul du monde, autrement dit l'Antarctique, avec WhiteOut.

Carrie Stetko est un US Marshal qui fait régner l'ordre... sur la banquise ! L'endroit est hostile, immense. La température peut descendre jusqu'à - 90 degrés en hiver. Plus bas encore lorsque les vents violents sont de la partie. Ils charrient la poussière de neige, effacent la limite entre ciel et terre. C'est alors que survient le "whiteout". Un Grand Blanc. Un phénomène qui peut vous faire mourir de froid alors que vous êtes à trois mètres à peine d'un refuge.
C'est dans ce contexte difficile, et presque exclusivement masculin, que Carrie va mener une enquête sur un scientifique retrouvé mort, seul, abandonné là où il aurait dû y avoir un camp. Une fois le cadavre décongelé, l'autopsie va révéler qu'il s'agit d'un meurtre.
Entre un supérieur qui lui met la pression, une espionne anglaise dont elle ignore la raison de la présence et ses propres souvenirs douloureux, Carrie va se débattre dans ce qui ressemble à un cauchemar. Un long, froid et douloureux cauchemar blanc.

Akileos avait profité de la sortie de l'adaptation ciné pour rééditer ce "polar blanc" en 2009. Plutôt une bonne idée de la part de l'éditeur puisque la première version, qui datait de 2003, était difficilement trouvable ou à des prix absurdes (certains margoulins allant jusqu'à demander plus de 70 euros pour des exemplaires d'occasion).

Le scénario est écrit par Greg Rucka (Batwoman, Queen & Country, Gotham Central),  les dessins sont de Steve Lieber. Graphiquement, l'artiste emploie un style réaliste plutôt agréable si l'on excepte une ou deux erreurs de proportion flagrantes (un détail en comparaison du nombre de planches). Pas de colorisation puisque l'on est face à du noir et blanc brut de décoffrage. Admettons que cela se justifie un peu vu le cadre, m'enfin, ça reste dommage. On connaît bien des œuvres qui ont très largement gagné à passer à la couleur (Bone, par exemple). Ici, forcément, ce n'est pas possible puisque le dessinateur utilise des aplats de noir ou des hachurages. C'est donc pensé pour demeurer ainsi, même si cela amène un côté austère et parfois un manque de lisibilité.

Niveau histoire, Rucka parvient à mettre en scène des personnages crédibles et fouillés. Le récit est également soutenu par de bons dialogues, autant d'éléments qui laissent à penser que le côté fade et lourdingue de son Elektra & Wolverine provenait bien essentiellement de l'épouvantable traduction (le fameux effet Coulomb, cf. cet article).
Tout n'est cependant pas totalement abouti. Le décor si particulier du pôle est finalement sous-employé et les tensions qui découlent d'un mode de vie aussi étrange et confiné ne sont guère mises en avant, ce qui est tout de même dommage. On peut noter également quelques facilités lors de la résolution de certaines scènes. Malgré tout, l'héroïne se révèle attachante et suffisamment ancrée dans la réalité (elle va notamment payer un assez lourd tribut physique pendant cette aventure) pour que l'on ait envie de s'intéresser à la suite (un autre tome étant sorti).

À lire chaudement habillé, avec un thé chaud ou un petit whisky à portée de main.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Des personnages crédibles et intéressants.
  • De bons dialogues.


  • Un aspect graphique parfois un peu terne.
  • Quelques facilités au niveau de l'intrigue.

X-Men, format XXL
Par



X-men, les personnages et leur univers
, c'est le titre du volumineux ouvrage de Michael Mallory, entièrement consacré aux mutants et sortit en version française aux éditions White Star en 2006.

Le prix était quelque peu élevé (47 €) mais justifié : couverture luxueuse, grand format (36 x 28 cm), nombreuses illustrations souvent magnifiques et textes denses. N'hésitez pas, près de 20 ans après sa sortie, il est trouvable en occasion à des prix tout à fait raisonnables... pour une fois !

Tout l'univers X-Men est passé en revue, non seulement les comics bien sûr, avec notamment des infos sur la création de certains personnages ou encore la description de diverses réalités alternatives, mais d'autres domaines sont aussi abordés, comme le cinéma, les séries TV, les dessins-animés et même les figurines.

À mi-chemin entre l'encyclopédie et l'artbook, ce livre offre un tour d'horizon assez complet de l'impact qu'ont pu avoir les mutants à travers les différents médias ou les produits dérivés. 

Intéressant à lire et beau à regarder.
Ci-dessous, une galerie vous permettant de découvrir un peu plus l'ouvrage.











Écho #44 : la Renaissance de Thanos
Par


Déjà près d'une vingtaine d'albums agrémentent la collection "Thanos" chez Panini comics, de beaux objets reliés aux pages glacées développant jusqu'à plus soif les intrigues cosmiques liées à l'un des personnages les plus emblématiques du panthéon Marvel. Outre les trois volets de la Saga de l'Infini et son excellent prélude sur la quête des précieux joyaux tout-puissants, on y trouve des mini-séries issues de l'imagination enfiévrée de Jim Starlin, certaines fascinantes, d'autres assez fumeuses : tous les albums ne sont pas indispensables, même pour un aficionado des scripts métaphysiques narrant la rencontre souvent explosive d'êtres quasi-divins.

Édité en 2021, La Renaissance de Thanos s'appuie sur 5 épisodes de la première série du Silver Surfer et retrace la résurrection du Titan fou, à une époque où notre infatigable héraut de Galactus ne le connaissait pas encore (au point d'avoir besoin d'explorer les fichiers des Avengers, belle occasion pour retracer le parcours de celui qui avait décidé de sacrifier la moitié des êtres vivants en hommage à la Mort et qui fut mis en échec par Captain Marvel - le premier du nom - et Adam Warlock). Ainsi, il se situe juste avant que Thanos n'entreprenne de rassembler les Gemmes de l'Infini dont il avait eu une vision en contemplant le Puits... de l'Infini (bien entendu), source d'un savoir incommensurable située dans le palais de sa létale maîtresse.

Malheureusement, l'intérêt de l'ouvrage s'avère bien faible : tout au plus permet-il de montrer quelques brèves confrontations entre le Surfer et un Thanos ressuscité, déjà nanti d'un pouvoir bien supérieur à celui de notre héros argenté. Ce dernier, toujours aussi idéaliste - et passablement niais, il faut l'avouer - se laisse berner par un adversaire mille fois plus retors qui lui démontre, par le biais de ces dialogues empesés dont Starlin a le secret, le bienfondé de sa quête. Un album très bavard, donc, comme bon nombre d'ouvrages de cette collection ["déroutant et parfois chiant" avouait notre cher Virgul dans un digest], et qui s'achève en eau de boudin (on ne va même pas jusqu'à ce dernier duel entre le Surfer et Thanos, sur la Lune, juste avant que débute Infinity Gauntlet). Mais le pire est qu'il comporte deux épisodes totalement loufoques, marqués du sceau de la plaisanterie (voire de la farce), l'un avec l'Homme Impossible (qui va essayer d'enseigner au Surfer le pouvoir de l'humour...), l'autre avec un autre héros ressuscité, Drax, sauf qu'il a cette fois une case en moins. Gags éculés et vannes douteuses viennent donc agrémenter la mission désespérée du Surfer. Certains aimeront peut-être.

Il n'en reste pas moins un album totalement dispensable qui ne ravira que les complétistes et les fans des dessins dynamiques de Ron Lim.


Écho #43 : Metal Hurlant Spécial Lovecraft
Par


Il vient de sortir, il est tout chaud, c'est le Métal Hurlant spécial Lovecraft !

C'est devenu un rendez-vous incontournable, à chaque numéro de Métal Hurlant, nouvelle version, le rituel est le même : on délivre le précieux ouvrage de son encombrant paquet, on caresse fébrilement sa couverture, on soupèse la bestiole (qui fait son poids, plus de 270 pages grand format, ça pèse !), puis, enfin, on feuillète rapidement pour savoir à quel style graphique on va être mangés, où plutôt emportés.

Métal Hurlant, c'est aujourd'hui un mag à part, à mi-chemin entre le parfum capiteux de l'institution et l'effluve piquant de l'underground. C'est parfois d'une inspiration folle, souvent inattendu, de temps en temps décevant, toujours excitant. L'on retrouve le plaisir ancien du périodique blindé de contenu, varié, sublime, dérangeant, drôle, rugueux, bref, un média BD essentiel qui apporte une bouffée d'air frais au milieu de sorties parfois (trop) attendues. Et quand en plus, la thématique, c'est l'immense Lovecraft et son bestiaire de Grands Anciens énervés, franchement, on décapsule une bière, on s'installe sur la terrasse (s'il pleut, vous pouvez vous installer dans le salon, ça n'a pas grande importance), et on s'embarque pour une aventure trépidante dans les tréfonds du mythe !

Comme toujours, il y en a pour tous les goûts, du réalisme inquiétant et sombre à l'humour baroque et barré, en passant par du gore métaphysique et des références nombreuses et folles.
Le tout est complété par des articles consacrés au Maître de Providence, au célèbre jeu vidéo Alone in the Dark ou encore à Metallica ! Tu rajoutais Tabatha Cash et tu avais toute l'adolescence de Nolt...

Bref, c'est du lourd. 
On conseille.