Publié le
8.11.25
Par
Nolt
S'attaquer à un classique de la littérature tel que le roman de Mary Shelley, publié en 1818, est toujours relativement complexe. Outre les multiples références à la créature de Victor Frankenstein dont notre culture est aujourd'hui parsemée, ce qui a contribué à flouter quelque peu la profondeur du récit originel et fausser notre idée du monstre qui y est mis en scène, le réalisateur doit également s'attaquer à un roman à la fois précurseur et émouvant, bien plus humaniste que véritablement horrifique. Autant dire un véritable défi qui est pourtant relevé de belle manière.
Del Toro reprend dans son adaptation le principe, employé par Shelley, des récits multiples, imbriqués les uns dans les autres. L'on découvre tout d'abord une expédition polaire dont les membres vont porter secours à un inconnu, très mal en point. C'est alors l'occasion pour Victor Frankenstein de livrer son terrible récit, débutant par une enfance difficile, assombrie par la présence d'un père tyrannique et par la disparition de sa mère. Puis, c'est la créature elle-même qui pourra, après divers accès de rage, délivrer son histoire. Si des changements mineurs et bien compréhensibles sont apportés au contenu du roman, son essence par contre en est très largement respectée.
C'est bien une tragédie poignante que le réalisateur met en scène, en montrant une créature innocente, perdue, malmenée, qui va peu à peu prendre conscience de son peu enviable état et éprouver une sombre colère. S'il y a bien quelques menus défauts dans ce film, que ce soit une ou deux longueurs ou un casting pas toujours pertinent (Mia Goth, par exemple, qui n'a nullement le charisme et la qualité de jeu pour incarner cet idéal féminin dont tout le monde s'éprend), il faut reconnaître qu'il possède également d'immenses qualités, à commencer par la photographie somptueuse et des décors très réussis, bien qu'un peu artificiels. C'est beau, c'est vaste, c'est détaillé, l'immersion est totale.
Cette adaptation parvient également à rendre compte de la richesse du récit originel, avec une approche dans un premier temps très gothique et flirtant avec l'épouvante pure, puis un basculement vers le conte philosophique. Les scènes intenses et bouleversantes sont nombreuses, essentiellement lorsque la créature découvre la nature et ses animaux, un début d'amitié avec un gentil vieillard, ou la cruauté des humains. Le propos peut paraître quelque peu naïf (c'est après tout celui d'une jeune fille de 19 ans vivant au début du XIXe siècle) mais sa sincérité et la beauté de la mise en scène lui permettent d'échapper à la mièvrerie.
Un conte tragique, à la noire poésie, qui rend honneur au mythe fondé par Shelley.
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Publié le
3.11.25
Par
Nolt
L'intégrale Henri Vaillant est disponible depuis début octobre, une bonne occasion de revenir sur cette préquelle magistrale !
On ne présente plus Michel Vaillant, célèbre pilote héros d'une première série de 70 albums, puis d'une saison 2 toujours en cours et comprenant 14 tomes à ce jour. Mais Michel Vaillant, c'est aussi une saga familiale avec à sa tête le patriarche, Henri Vaillant, passionné de courses, constructeur automobile et fondateur de l'écurie Vaillante. C'est à ses débuts que Marc Bourgne, au scénario, et Claudio Stassi, au dessin, ont choisi de s'intéresser dans Une Vie de Défis. Ce long récit de 168 pages avait déjà été publié en trois albums qui sont ici regroupés. Plutôt une bonne idée vu qu'il s'agit d'une seule et même histoire, découpée en trois chapitres.
Nous découvrons donc dans ces planches la jeunesse de Henri Vaillant, son premier job chez Bugatti, sa rencontre avec la jeune Elisabeth, ses premières courses, au volant de bolides plutôt dangereux, mais aussi les remous de la Deuxième Guerre mondiale ou encore la naissance de ses deux enfants, Jean-Pierre et Michel. Et ce n'est pas sans une certaine émotion que l'on peut admirer, par exemple, les plans de la première Vaillante Le Mans (que l'on retrouve en grand format à la fin de l'album, accompagnés de quelques photos de famille), sortie tout droit de l'imagination de cet Henri encore vert et porté par son rêve. Tout s'enchaîne avec fluidité et l'on est bien vite transporté dans ce passé pourtant pas si lointain, où la course automobile avait un visage bien différent.
Première constatation : les planches sont superbes et immersives. Tout commence en niveaux de gris, nuancés par d'élégants lavis. Puis, pour simuler le temps qui passe et le changement d'époque, le dessinateur va basculer sur une colorisation très douce, tout en légers pastel, pour terminer par une mise en couleurs plus classique. C'est aussi joli qu'intelligemment fait. Mais c'est surtout le scénario qui est ici d'une rare finesse (on est loin du poussif tome 1 de la série Légendes, chroniqué en 2023). En s'inspirant de nombreux récits courts écrits par Jean Graton, ainsi que de quelques albums, dont Le Grand Défi, Bourgne parvient à développer avec brio un Henri Vaillant familier qui prend subitement une tout autre ampleur.
Événements historiques ou familiaux, courses et complots, impairs et rencontres, tout s'entremêle habilement pour tisser un destin hors du commun avec comme toile de fond la naissance de l'empire Vaillant. L'histoire est prenante, les personnages crédibles, les effets bien amenés, bref, une pure réussite sur le plan de l'écriture (ce qui n'est pas si courant dans le domaine des reprises de grandes licences franco-belges). Notons que Michel a le temps de grandir dans cet album, et qu'il prendra une part active, vers la fin, au succès de l'entreprise Vaillante. Signalons enfin juste de menus problèmes de lettrage, comme dans cette case, où le texte vient percuter la limite de la bulle, ou encore celle-ci, où des i ont été laissés en majuscule. Rien de bien dramatique, on en convient, mais un peu dommage pour une réédition.
Au final, voilà une belle BD, certes pleine de nostalgie, mais également passionnante et très bien réalisée. Un pur moment de jubilation pour cette plongée au cœur de la naissance du mythe Vaillant.
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Publié le
2.11.25
Par
Vance
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Poursuivons notre exploration du monde glorieux de la science-fiction. Aujourd'hui, nous allons évoquer un auteur rare, peu traduit en France, mais dont le premier roman avait fait sensation : Ian Watson. Avec L'Enchâssement, sorti en 1973, cet ancien enseignant a lâché une petite bombe dans le monde de la SF anglo-saxonne. Déroutant par son approche, moderne dans son développement, percutant par ses idées et novateur, cet ouvrage s'avère une œuvre hybride, entre hard-science et traité philologique, dont la portée dépasse le cadre de son histoire et de ses personnages.
Watson s'est intéressé à un thème relativement peu abordé dans le genre, généralement traité par dessus la jambe par les auteurs de l'Âge d'or, voire simplement négligé : le langage. On pourra citer Jack Vance tout de même (Les Langages de Pao, 1958) et surtout Samuel Delany avec son implacable Babel 17 (1966), et encore Robert Silverberg dans une moindre mesure (avec L'Homme dans le labyrinthe, 1968) mais les auteurs qui se sont penchés sur la communication entre les peuples ne sont pas légion avant le XXIe siècle.
Toutefois, force est de reconnaître que L'Enchâssement demande nettement plus d'effort pour entrer dans l'histoire : sa narration éclatée, son contexte géopolitique instable et ses constantes références scientifiques ou littéraires peuvent éventuellement nuire au simple plaisir de suivre les pérégrinations des héros, qui en outre se montrent systématiquement désenchantés, écrasés par des révélations, le poids des responsabilités ou un avenir des plus sombres auquel ils ne voient aucune issue.
Au départ, deux lignes d'intrigue se déroulent en parallèle, sur deux continents séparés, avant qu'un événement planétaire vienne créer les points d'intersection qui les feront se rejoindre.
Tout d'abord, nous suivons un linguiste anglais, Chris, engagé dans un projet aussi secret qu'ambitieux dans un centre d'études confidentiel : il travaille sur le développement d'un langage artificiel entre des enfants internés issus de l'immigration, en éliminant toute possibilité de contextualisation ou autres interférences culturelles. Il s'appuie sur des conclusions de travaux menés par une de ses connaissances, l'ethnologue français Pierre Darriand, lequel s'est inspiré du livre de Raymond Roussel, Nouvelles Impressions d'Afrique, rédigé d'une manière si révolutionnaire qu'il suscite encore des théories de nos jours [je vous laisse le soin de faire les recherches adéquates], notamment par son principe de vers qui s'enchâssent les uns dans les autres jusqu'à engendrer un méta-langage.
Justement, ce bon Pierre, qui a en outre été l'amant de la femme de Chris, se trouve en Amérique du Sud, sur le site d'un barrage en construction sur l'Amazone, lequel menace la survie de tout un écosystème dont le territoire des Xemahoa. Or ces derniers, lorsqu'ils sont sous l'emprise d'un puissant champignon hallucinogène, communiquent entre eux suivant un langage enchâssé qui est digne de toutes ses attentions, au point qu'il se met à sympathiser avec les révolutionnaires tentant de faire sauter le barrage, tout en cherchant à participer à l'une des cérémonies rituelles dans le but de pouvoir expérimenter ce fameux langage. Entre-temps, il envoie une lettre à Chris, espérant trouver en lui un appui pour sauver la civilisation xemahoa.
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C'est alors que des officiels américains débarquent : ils ont un besoin urgent des compétences de Chris. En effet, ils viennent de découvrir que des extraterrestres tentent d'entrer en contact avec eux...
Je n'irai pas plus loin dans la description des prémisses. La quatrième de couverture ou les résumés chez l'éditeur sont un peu plus généreux, mais privent du coup le lecteur de certaines surprises dans le déroulement des opérations. L'on se doute bien que Chris et Pierre seront impliqués d'une manière ou d'une autre dans cette affaire d'une ampleur inégalée.
C'est dans cette partie que l'auteur laisse libre cours à une certaine forme d'ironie presque absente des deux premières : l'intervention salvatrice de Chris entouré d'officiels de la NASA et de militaires US rappellera le ton mordant d'un Tim Burton dans Mars Attacks ! Et c'est tant mieux car auparavant l'on commençait un peu à se perdre dans les explications sur son projet de langage, nanties de nombreuses références assez abstruses. En outre, la situation volatile au Brésil souligne les préoccupations de l'époque, et l'auteur se montre assez habile pour renvoyer dos à dos les politiciens bornés, les militaires obtus et les révolutionnaires illuminés, tandis que les indigènes attendent leur sort avec une philosophie totalement détachée, se livrant à leurs rites sans se préoccuper le moins du monde de leur avenir.
Le ton grinçant envahit ensuite le roman pour ne plus le lâcher jusqu'à une fin qui vous prendra au dépourvu, aussi cruelle que malsaine, de laquelle l'humanité ne ressortira pas grandie. Mais le mérite-t-elle seulement ? Cynique et désabusée, la conclusion laisse un goût amer : aucun des personnages ne suscite la sympathie, malgré les efforts des deux scientifiques pour la raison et la vérité (oubliant au passage certains droits humains fondamentaux, tout de même). Le livre laisse dans l'esprit des traces tourbillonnantes où les interprétations s'entrechoquent : on n'est jamais loin des révélations d'un Altered States de Ken Russell, la métaphysique en moins, la politique en plus. Néanmoins, les spectateurs de Premier Contact de Denis Villeneuve y trouveront des points de convergence assez troublants.
Sans aucun doute une œuvre majeure, mais difficile d'accès, ardue à apprécier, volontairement confuse mais sachant faire mal et questionner bon nombre de principes. La frustration consécutive à la chute finale peut engendrer une certaine colère, cela dit. Mais si vous êtes parvenus jusqu'à la fin, vous saurez relativiser.
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