Texas Blood
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Un néo-western dans un bled poussiéreux du Texas, ça vous tente ?


Le Texas, en dehors de Austin, c'est un peu l'enfant honteux qu'aurait eu un État américain normal avec une prostituée chauve syphilitique... c'est en tout cas comme ça qu'il nous est présenté dans le comic Texas blood dont le tome 1 est édité par Delcourt. Bon, ce n'est pas littéralement présenté comme ça mais c'est l'effet que ça m'a fait et, ma foi, ce n'est pas fait pour me déplaire. C'est un Texas de sueur et de sable, de sang et d'argent ; un État dont la campagne ne compte plus le nombre de gosses traumatisés par des parents ravagés, le nombre d'épouses déglinguées par celui qu'elles aimaient, le nombre de coup bas, de vengeances, de trahisons et de coups de pute.

À mi-chemin entre le western moderne et le roman noir, Texas blood nous présente Joe Bob Coates, shérif de 70 piges du comté d'Ambrose dont la journée d'anniversaire est, dès le début de l'histoire, endeuillée par deux morts violentes de proches. Ce genre de morts qu'on voit venir, ce genre de morts qu'on appelle pudiquement des drames familiaux ; ce genre de morts qui couvent et se préparent pendant des années derrière les portes fermées et les volets clos. Ce genre de morts qu'un shérif ne saurait empêcher mais qui lui plombent immanquablement le moral et pèsent sur sa conscience.

Quand s'ajoute à cela le décès sans doute mérité mais toujours regrettable d'une petite frappe locale, Joe Bob sent bien qu'il va passer une semaine merdique comme Ambrose sait lui en réserver de temps à autre. Et quand débarque en ville le frère écrivain du voyou qui s'est fait refroidir, de retour chez lui après plusieurs années d'exil, le radar à emmerdes de Joe Bob s'affole. Avec lui, nous assisterons à la réactualisation d'une histoire vieille comme le monde et que le western a entretenue à travers des kilomètres de pellicule : une histoire de vengeance aveugle et violente dans un décor de désert... reste à y ajouter quelques touches de polar, pour que tout ne soit pas ce qu'il semble être !


Texas blood n'est pas la première œuvre de fiction aspirant mettre la moiteur texane au profit de l'atmosphère du polar mais il nous faut constater que ce comic le fait fort bien. 
Scénaristiquement, Chris Condon coche pas mal de caractéristiques du genre en évitant toutefois de céder à toutes, histoire de fournir un récit un rien personnel et original. 

Joe Bob est un vieux flic fatigué, tenté par la retraite et sans doute "trop vieux pour ce genre de conneries". Il est ballotté dans cette histoire d'un événement à l'autre, sans vraiment pouvoir éviter les catastrophes mais en s'en faisant le témoin impuissant Son expérience de vieux flic lui permet de pressentir la façon dont les choses vont tourner (et, bien entendu, elles tourneront rarement pour le mieux) mais le traitement réaliste et volontairement pessimiste hérité du polar l'empêchent d'être l'adjuvant qui sauvera la situation : quand il comprend ce qui va arriver, ça arrive et il est trop tard... Le polar a ça de particulier que l'ambiance l'emporte sur les faits et les faits l'emportent sur la volonté des personnages.
L'ambiance, ici, troque l'obscurité menaçante et humide des ruelles mal famées d'une métropole américaine pour les routes asséchées et les déserts.
Les faits sont on ne peut plus classiques pour du roman noir, avec leur lot de crimes et de cicatrices du passé qui refont surface.
Les personnages, eux, sont archétypaux, comme souvent, mais le shérif a cet atout intéressant d'être un homme bien et pour lequel on se prend d'emblée de sympathie. Un peu désabusé, très fatigué, mais intrinsèquement bon et serviable. Cela nous change de ces sempiternels détectives (privés ou non) alcooliques et dépressifs, cyniques et brutaux, qui peuplent les romans policiers noirs. L'énorme avantage de ce choix étant évidemment que l'on s'engage avec plaisir à suivre les journées compliquées de ce brave gars ; ce qui est un avantage, quand on bâtit les prémices d'une série.


Visuellement, Jacob Phillips nous livre une copie au trait réaliste et à la colorisation hachurée verticalement qui confère aux dessins un aspect "écrasé par la lumière accablante du soleil" qui s'avère être parfaitement de circonstance. Le genre d'illustrations dont je ne suis pas client de prime abord mais qui, après la lecture du comic, me semble être la seule approche qu'il eut été possible d'en faire pour transmettre précisément les émotions et le message que l'auteur ambitionnait de faire passer. Bon boulot, donc !

D'ailleurs, en dehors du classicisme assumé de l'intrigue, il n'y a aucun souci majeur à reprocher à ce tome  : le héros donne envie de le suivre, les méchants ont leurs raisons de l'être, les victimes tentent de se rebeller mais, dans la plupart des cas, quels que soient leurs choix ou leurs décisions, le sort s'acharne et le destin les rattrape. 

Le comic interroge précisément cette fatalité qui ramène l'enfant du pays dans cette bourgade qu'il avait fuie et qui lui rappelle qui il est, sous les multiples couches de faux-semblants et de vernis civilisationnel. Peut-on indéfiniment fuir son passé ? Est-il possible de faire la paix avec lui ? Peut-on l'affronter et en sortir victorieux ?
Le deuxième thème de réflexion questionne notre animalité à tous. Ne serions-nous pas que des bêtes dissimilées sous nos aspects soignés, nos cheveux coiffés, nos frusques et nos lunettes ? Ne sommes-nous pas tous animés par une viscérale pulsion de meurtre qui ne serait qu'à grand peine jugulée par notre éducation et nos lois ?


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un polar moderne dans une ambiance de western moderne.
  • Un scénario soigné.
  • Un dessin parfaitement approprié à l'ambiance.
  • Un questionnement actuel et pertinent sur notre violence et son lien avec notre passé.
  • Un scénario sans doute un rien trop convenu.
PUB (on vous prend pas en traître là, hein ?)
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Tu as commandé la version collector de The Gutter ?


Pas encore, j'étais occupé à lire l'excellent roman Le Sang des Héros, du même auteur !


T'es complètement cinglé ou quoi ? Il n'en reste presque plus ! Hardcover, cahier de croquis bonus,
goodies et frais de port gratos, tu veux quoi de plus ?!


C'est bon, je vais en commander une dès demain... hé !! Gaffe !!


Pas demain, tout de suite ! Et prends-en 5 ! Pour chaque BD achetée, c'est un repas chaud
pour les auteurs, et l'assurance d'avoir un toit pour la nuit ! Tu crois que s'ils roulaient sur l'or, 
ils seraient obligés de corriger des webtoons de gay porn coréens ? [1] Commandes-en même 10, tiens !











Ne les abandonnez pas sur la route des vacances...
ils ont besoin de vous pour payer leurs antidépresseurs [2].




[1] Et il n'y a pas de sots métiers soi-disant...
[2] L'ensemble de cette "pub" parodique est composé de second degré, d'ironie et d'une pointe de réalisme. Si vous ne supportez ni l'un ni l'autre, ne la lisez pas. Si c'est trop tard, on s'excuse. 
Panic
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On se penche aujourd'hui sur une série disponible sur Amazon Prime : Panic.

Beaucoup de choses à dire sur cette série TV qui était prometteuse sur le papier mais regorge de maladresses. Le scénario, confondant de bêtise, est écrit par Lauren Oliver, à partir de son propre roman.
Ce récit est censé être, à la base, classé dans la catégorie "young adult". Rien que ça, c'est stupéfiant de connerie. Soit c'est bien écrit, et ça devrait intéresser tout le monde, soit ce n'est pas terrible, et pourquoi infliger ça à des adolescents ou de "jeunes" adultes ? Peut-être que c'est simplement le (supposé) jeune âge des protagonistes qui fait tomber le roman et la série dans ce classement peu enviable, mais là encore ça n'a aucun sens. On ne cible pas le public par rapport à l'âge des protagonistes, cela réduirait d'une manière épouvantable l'horizon des lecteurs. Bref, on part sur du bancal.

Niveau intrigue, l'on suit de jeunes gens (censés avoir terminé l'équivalent du lycée) participant à un jeu (intitulé "panic"). Ledit jeu est franchement dangereux (il a d'ailleurs déjà causé des morts), ce qui ne dissuade nullement les "jeunes adultes" d'y participer. Ce qui en dit long sur leur niveau intellectuel. Car en fait, ce qui les motive, ce sont les 50 000 dollars que remporte le vainqueur. Certes, c'est une somme non négligeable, mais ridicule en comparaison des risques qu'ils prennent. Rien ne justifie qu'ils mettent leur vie en jeu aussi stupidement, ce qui déjà en fait des benêts peu sympathiques.

Mais les problèmes de fond ne s'arrêtent pas là. Tous ces jeunes gens sont censés habiter dans ce qu'ils décrivent comme un trou paumé. Bon, déjà, ils peuvent suivre toute leur scolarité avant l'université dans ce bled, preuve que ce n'est pas tant que ça un "trou". Mieux, dans ce genre de "petit village", normalement, le shérif est secondé par deux ou trois adjoints. Ici, le poste de police regorge d'agents (facile une vingtaine), ce qui ne correspond en rien à la description du "village".
S'il ne s'agissait que d'une réplique balancée à la va-vite, on s'en foutrait un peu, le problème, c'est que l'état supposé de ce "trou perdu" est la base de la motivation des personnages principaux, qui veulent à tout prix le quitter.

Problème, il y a tout ce qu'il faut : belles demeures, restaurants, une bibliothèque, etc. Et, contrairement aux trous véritables que l'on peut voir parfois dans les films ou séries américaines, ici, tout est neuf, bien entretenu, moderne et joli. Le cadre est même magnifique. Les rues sont agréables et verdoyantes, la campagne environnante idyllique. En fait, ce soi-disant trou dispose des infrastructures d'une ville moyenne (et bien gérée) mais de la fréquentation et de la circulation d'une minuscule bourgade ! Tous les avantages sans les inconvénients. Même quand Heather perd son boulot et quitte le domicile de sa mère, elle trouve immédiatement un job de rêve et reçoit une proposition d'hébergement dans une magnifique propriété.
Ouais, ça vaut vraiment le coup de risquer sa vie pour quitter cet horrible endroit...

Les jeunes, traumatisés par le "trou" dans lequel ils vivent. On en a les larmes aux yeux...


Du coup, la motivation des personnages (pas seulement Heather mais Natalie par exemple) devient grotesque et en fait de désagréables nantis insatisfaits. Car, à moins d'être un drogué du sur-urbanisme, style Manhattan ou... heurk... Paris, qui se plaindrait d'un tel lieu frisant la perfection ? Ils ont accès à la culture, dans un cadre agréable, ils bénéficient de la modernité et de la nature, mais non, ce n'est pas suffisant. Ahurissant.
Il aurait donc fallu présenter un véritable trou paumé au lieu de cette bourgade paradisiaque, mais cela aurait sans doute donné un ton un peu trop glauque à la série. Rappelons que c'est destiné à des "adultes pas terminés" (je suppose que c'est ce que signifie le terme "young adult"), américains de surcroit (ils ne vivent pas pour rien dans le pays qui a inventé la peur de la fiction et le traumatisme imaginaire).

Et ce n'est pas fini... le jeu en lui-même, qui est quand même au centre de l'histoire, se révèle aussi invraisemblable que décevant. Un groupe d'amateurs n'a clairement pas les moyens d'organiser quelque chose d'aussi complexe, pendant aussi longtemps. Je veux bien faire un effort, mais la suspension de l'incrédulité ne peut pas se substituer aux incohérences crasses du scénario.
En ce qui concerne le côté spectaculaire, si ça commence bien avec deux premières épreuves un peu tendues et générant un certain suspense, on en vient vite à des défis trop longs, fades et sans intérêt.

Ça fait déjà beaucoup de défauts, non ? Passons maintenant aux protagonistes. Outre un jeu d'acteur parfois peu convaincant et un casting malhabile (on n'avait plus vu de "jeunes" aussi vieux depuis Les Sous-doués et un Daniel Auteuil de 30 balais incarnant un lycéen), l'on est encore une fois face à des réactions incompréhensibles et des psychologies de personnages à géométrie variable. Prenons un exemple concret avec Heather et Ray. Ray, au moins au départ, est le prototype pur du connard de service. Arrogant, menaçant, agressif, il maltraite même le meilleur ami d'Heather. Or, qu'est-ce qu'elle fait, alors qu'elle dit le détester ? Elle lui tombe dans les bras. 
Ce n'est pas une mauvaise idée en soi, notamment parce que le fameux Ray se révèle plus complexe et sympathique qu'on pouvait le penser (ce qui est la seule bonne idée de la série). Mais, le problème, c'est que le mec s'humanise seulement une fois qu'Heather s'est intéressée (c'est un euphémisme) à lui. Du coup, elle craque pour un connard et découvre par hasard qu'il ne peut être jugé sur ses seuls et nombreux défauts. Putain que c'est maladroit ! Pourquoi la protagoniste principale, censée avoir un peu de jugeotte, irait fondre pour un mec brutal, qui se tape en plus des poignées de gonzesses devant elle ? C'est évidemment l'inverse qu'il fallait faire : elle découvre qu'il n'est pas juste un gros bully décérébré, ce qui montre sa perspicacité, puis sort avec, ce qui montre son refus de céder à la pression sociale et aux apparences. L'héroïne en sortait grandie au lieu de passer pour une idiote (je ne comprends pas ce que je fais) doublée d'une connasse (je me moque que ce type maltraite mon meilleur pote). 

Vous l'avez sans doute compris, on pourrait passer des heures sur tout ce qui ne va pas dans cette histoire écrite sans doute avec passion mais sans aucune once de réflexion ou de savoir-faire. Ne pensez pas pour autant que ce soit représentatif du "young adult" qui, pour autant que soit ridicule cette appellation, renferme parfois quelques ouvrages intéressants (du style Re-Made ou Gone par exemple), écrits par des auteurs qui respectent l'intelligence du public.
Un exemple parfait de la fiction de seconde zone lorsqu'elle est aux mains d'incapables. 




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Ça s'avale sans trop de grimaces si on laisse son cerveau sur "off".


  • Des invraisemblances insupportables.
  • Des protagonistes involontairement crétinisés.
  • Des épreuves finalement décevantes.
Collector #14 : Spécial Lantern Corps
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Bienvenue dans ce nouveau Collector consacré entièrement à l'univers des Lantern Corps (cf. notre dossier sur le sujet) !

Si le personnage de Green Lantern est bien entendu très connu des fans de DC Comics, vous ignorez peut-être qu'il existe en fait de nombreux Green Lantern et même plusieurs Lantern Corps. Tout cela a été (plus ou moins bien) développé dans la saga Blackest Night et sa suite Brightest Day.
Outre un concept plutôt cool, tout cela permet d'obtenir un tas de personnages bénéficiant de nouveaux costumes, et donc, forcément, un tas de produits dérivés.

Ce qui suit n'a rien d'exhaustif, mais nous allons tout de même essayer de vous proposer quelques objets variés et intéressants (et si possible encore trouvables à des prix raisonnables).

Commençons par la base, la batterie des Green Lantern (il en existe plusieurs versions, celle-ci fait une trentaine de centimètres pour environ 30 euros). Un modèle très cartoony et plutôt esthétique, qui est en fait une tirelire
Évidemment, cela peut être sympa d'accompagner cet élément des différents anneaux : Red Lantern, Agent Orange, Sinestro Corps, Green Lantern, Blue Lantern, Indigo Tribe, Star Sapphire, Black Lantern et White Lantern. Là encore, il en existe plusieurs modèles. Ici, l'on a choisi des anneaux en plastique, entièrement colorés, dont le style s'accorde bien avec celui de la batterie. Ils sont malheureusement aujourd'hui assez chers et difficilement trouvables.



Passons ensuite aux incontournables figurines Funko Pop (cf. cet article). Ci-dessous, vous pouvez voir Batman, Firestorm et Kyle Rayner dans leur version White Lantern. Il existe également, dans la même gamme "white", une Wonder Woman pas très réussie (surtout au niveau du visage, enfin, si on peut appeler ça un visage en ce qui concerne les Pop) et un Flash qui, inexplicablement, est vendu à des prix absurdes.



Il existe bien entendu des figurines classiques (dans le genre des Marvel Legends) qui sont consacrées à la thématique des Lantern Corps. Ici, par exemple, un magnifique Flash White Lantern (beaucoup plus accessible que sa version Pop) ou encore un Green Lantern version "rétro". De nombreux packs sont également sortis, comme souvent, ils deviennent difficilement trouvables en neuf, mais restent parfois tout à fait abordables d'occasion.









Dans une gamme proche de Hero Squad, dont on a déjà parlé longuement dans cet article, l'on retrouve également différents personnages. Sans doute ce qu'il y a de moins onéreux. 



Il existe également des versions Lego de ces personnages, certains héros, comme Batman, étant déclinés dans toutes les couleurs.


Enfin, comment ne pas évoquer les fameux Heroclix, qui proposent de très nombreux personnages des Lantern Corps, ainsi qu'une gamme permettant même de mettre en jeu de redoutables batteries (ci-dessous les versions Sinestro Corps et Blue Lantern) et différentes formes pouvant être générées.












Vous l'aurez compris, il existe de très nombreuses déclinaisons de ce pan de l'univers DC Comics, et nous sommes loin d'avoir fait le tour du sujet. Il faut dire que les Corps et leurs costumes colorés ont un fort potentiel, ce qui n'a pas échappé aux fabricants de produits dérivés. Comme toujours, faites-vous plaisir, mais n'entretenez pas la spéculation des margoulins en achetant n'importe quoi à n'importe quel prix !

Crusaders 3/5 : Spectre
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Nous sommes insignifiants. Non, ce n'est pas un chapeau d'article, c'est un résumé... quasiment une exégèse !


On va commencer par un erratum : la série Crusaders doit tenir en cinq tomes. Et dans cet article sur le tome 1, j'en annonçais trois. Je dirais bien "mea culpa" mais c'était ce qu'annonçait le dossier de presse de l'époque. Mais bon, au vu des très nombreux détails et des multiples références scientifiques et philosophiques, on se doutait bien que ça ne tiendrait en trois tomes que si le troisième faisait 220 pages.

Dans le tome 1, nous faisions connaissance avec une humanité manipulée génétiquement qui recevait un message de l'espace l'invitant à suivre des plans afin de construire des vaisseaux intersidéraux destinés à rallier une lointaine galaxie.
Une fois arrivés à destination, les voyageurs furent invités au sein d'une gigantesque structure extraterrestre tendue entre deux astres abritant l'Assemblée de toutes les espèces intelligentes du multivers. On est sur de la démesure absolue, là, hein... on parle de multivers contenant des univers en contenant d'autres et tout et tout... laissez tomber les conseils de Star Wars où les créatures ont la même taille et respirent de l'air, par exemple. Ici, ça va de la bestiole microscopique à la planète doté d'intelligence. Autant dire qu'il y a du beau monde et que les auteurs se sont gentiment lâchés : l'imagination est au pouvoir en termes graphiques comme au niveau des caractéristiques biologiques décrites. 
Très vite, il est expliqué aux pauvres humains que, bien que très en retard technologiquement, ils sont admis parmi cette assemblée d'espèces intelligentes au moment où une énorme menace pèse sur toutes les formes de vie que comptent les univers (rien que ça!). Ah oui, c'est le genre de briefing qui peut refroidir un chouïa l'ambiance, hein, c'est certain.
Dans ce troisième tome, les quelques équipages humains isolés à des centaines d'années-lumière de la Terre et de Titan, leur colonie natale, vont découvrir que les puissants et très anciens initiateurs de cette Assemblée d'extraterrestres (les Émanants) pourraient bien ne pas être aussi sincères et transparents qu'ils le prétendent ; on entre dans la partie complots et manipulations extraterrestres.

Voilà. Je n'en dirai pas plus de l'histoire... parce que parler plus amplement du tome 3 dévoilerait trop les deux premiers déjà riches en surprises : je ne suis pas là pour vous gâcher votre plaisir.
Par contre, il me faut vous parler de tout le reste parce que, si le scénario de Crusaders parvient à m'accrocher, c'est loin de constituer le seul intérêt de cette série ! Et je me dois aussi de mettre en garde certains d'entre vous contre ce qui pourrait les rebuter (mais qui, moi, me fascine).


Crusaders, c'est de la SF et donc, ça cause de science... bien plus que dans la majorité des BD de science-fiction, d'ailleurs. Bec ne craint nullement de faire référence à des notions compliquées et use en général d'une astuce toute simple pour nous l'expliquer : un flashback vulgarisateur invoquant l'enfance du personnage central où son père lui explique lesdites notions ; simple, efficace. 

On pourrait toutefois avancer que le procédé, au bout de trois tomes, devienne quelque peu redondant, et c'est ma foi vrai... ça se sent d'autant plus quand la même astuce est également utilisée pour définir certains concepts philosophiques utiles au récit, comme le solipsisme... C'est donc à la fois un défaut et une qualité : si la répétition de cette technique pourrait suggérer une certaine paresse d'écriture dans la forme, c'est néanmoins au service d'une vraie ambition pédagogique à l'attention des lecteurs sur le fond. Et l'ambition pédagogique, ça me parle ! On en accepte relativement facilement que la forme se laisse aller à cette petite facilité.

Si la série Crusaders se distingue par son niveau d'exigence en raison des thèmes abordés et des notions développées, elle restera aussi dans les mémoires comme une bande dessinée ambitieuse et humble à la fois !
Ambitieuse car tout y est démesuré : l'Assemblée est constituée de quantité d'espèces intelligentes originales et impressionnantes, l'utilisation de l'hypothèse des univers-bulles suggère un multivers dans lequel chaque univers peut donner naissance en son sein à d'autres univers... de quoi donner le vertige au vu des espèces déjà présentes dans les albums !
Mais néanmoins humble car s'il est bien un message que les auteurs, de mille façons, nous lancent à la face depuis le tome 1, c'est celui qui est retranscrit en chapeau de cet article (et qui fut aussi le leitmotiv d'un très bon documentaire d'Arte intitulé Une espèce à part) : nous sommes insignifiants. Que ce soit au regard de l'immensité des univers ou de la puissance potentielle de l'infiniment petit, nous ne sommes globalement, nous humains, qu'un grain de sable perdu dans plusieurs milliards de déserts.
D'ailleurs, les héros humains sont loin, très loin d'être épargnés. Quand ils ne meurent pas par équipages entiers, balayés en une fraction de seconde par une arme dont ils sont incapables ne serait-ce que d'appréhender la puissance, ils sont baladés par le récit et ses autres protagonistes comme des spectateurs impuissants simplement inaptes à agir face à l'ampleur du réel auquel ils sont confrontés.


Comme pour les tomes précédents, le dessin de Carvalho fait exactement ce qu'on attend de lui. Le moins réussi reste peut-être, d'ailleurs, les expressions humaines... Les décors grandiloquents, les vues de l'espace, les races extraterrestres... tout en met plein la vue dans des cases chargées, serrées et écrasantes ou, parfois, sur des pleines pages restituant l'immensité du théâtre spatial. Le trait est d'un classicisme franco-belge absolu mais ça permet une parfaite lecture de ces décors et de ces anatomies totalement inédites : tant de fantaisie dans le fond nécessite forcément un peu de rigueur dans la forme, histoire d'offrir un tout lisible et compréhensible... comme c'est déjà le cas au niveau de l'écriture.


Si la bande dessinée doit, à vos yeux, n'être qu'un divertissement, passez votre chemin.

Si, comme moi, vous considérez que toute occasion d'apprendre est bonne à prendre, ne boudez pas votre plaisir et goûtez à Crusaders
Et puis j'aime bien la façon qu'a cette série de répondre directement aux questions que l'on se pose immanquablement à la lecture :
- oui, des êtres non carbonés intelligents existent dans mon lore ;
- oui, j'ai une explication au fait que le langage soit commun à des milliers de races extraterrestres et aux humains ;
- non, je ne ferai aucune concession à l'anthropomorphisme et oui, je te ponds donc des formes de vie allant de la raie manta géante ou autre méduse de la taille de plusieurs immeubles à des... choses... indescriptibles sans user d'un vocabulaire lovecraftien...
C'est de la SF : à mon sens, ça a l'obligation me mettre des coups de pieds dans les clôtures du champ des possibles ! Je ne supporte plus la SF qui s'en tient au respect psychorigide d'une imagination sclérosée autour de notre science actuelle. Avec Crusaders, on a chez Soleil une série se permettant de divaguer, d'extrapoler, d'imaginer autour de concepts scientifiques qui ne sont encore que des théories pour nous offrir de l'inédit. C'est ça, ma SF préférée ! Et cette série le fait ma foi plutôt bien. De façon généreuse et assez érudite. Alors je continue à apprécier et j'attends les deux derniers tomes avec impatience... s'ils s'en tiennent bien à cinq, cette fois.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Privilégiant la richesse du fond à la complexité de la forme, cette BD a la grande qualité de ne pas nous prendre pour des imbéciles en restant néanmoins jolie à regarder et intéressante à lire.
  • Le scénario est intrigant et cruellement réaliste pour les êtres insignifiants que nous sommes à l'échelle de l'univers.
  • Défaut inhérent à toute œuvre ayant une certaine ambition, cette BD pourrait sembler longue, lente, voire indigeste à ceux qui n'y chercheraient que du divertissement... 
  • Le dessin, très classique, l'est parfois un rien trop à mon goût pour les personnages humains souvent un peu rigides.