Earth X
Par

Gros plan sur la longue saga Earth X/Universe X/ParadiseX.

Earth X, Universe X et Paradise X forment une trilogie écrite par Alex Ross et Jim Krueger. Pour les dessins, l'on peut citer principalement Dougie Braithwaite (et Alex Ross pour les covers).
Alors, de quoi est-il question ?
En gros (parce que vous allez voir, même "en gros", ce n'est déjà pas simple), dans un univers parallèle (il ne s'agit donc pas de l'univers 616 classique), l'humanité entière a muté suite à la décision prise par Black Bolt de propager les brumes tératogènes (qui étaient jusque-là réservées aux seuls Inhumains). En fait, on se rend vite compte que les mutations ne sont pas dues au hasard mais servent un projet cosmique de grande ampleur. Les Célestes, de sympathiques extraterrestres aux allures de buildings décorés façon seventies, ont en effet implanté un embryon au cœur de la planète. Les héros et mutants sont en quelque sorte les anticorps de cet organisme géant dont les Célestes ont besoin pour se reproduire (ça va, ça suit toujours dans le fond ?).

Galactus, le dévoreur de planètes, a un rôle important à jouer là-dedans puisqu'en fait, en détruisant les embryons célestes disséminés dans l'univers, il permet de conserver un certain équilibre cosmique. C'est donc grâce à lui que la Terre X est débarrassée de l'embryon qu'elle contenait. Malheureusement, la mort de l'embryon a d'énormes conséquences écologiques (à cause notamment du changement de répartition du vibranium), dont l'inversion des pôles. De plus, alors que Reed Richards tente d'inverser l'effet des brumes tératogènes à l'aide de torches géantes censées les consumer, une grande partie de la population, souhaitant conserver ses nouveaux pouvoirs, s'y oppose.
S'ensuit un terrible conflit où l'on voit en fait que Mephisto manipule un peu tout le monde pour pouvoir créer des réalités alternatives afin d'échapper au Jugement Dernier (on avait prévenu que c'était hard à suivre !). Au final, Mar-Vell, aidé par une armée de héros, parvient à la fois à réunir certains objets magiques sur Terre (l'anti-métal, le cube cosmique et autres bidules dans le genre) et parallèlement, réussit à vaincre la Mort dans son royaume (il tue la mort donc). Dans la foulée, et se sentant en forme, il crée également un Paradis qui permettra d'accueillir les âmes des défunts. Des anges (d'anciens héros ayant évolués) assureront sa protection (Cap, Fatalis, Black Bolt...).


La mort ayant passé l'arme à gauche, plus personne ne meurt, ce qui condamne en fait l'humanité à des souffrances sans fin, d'où l'idée que Mar-Vell n'a peut-être pas tant la science infuse que ça malgré sa conscience cosmique.
Bon. C'est compliqué, on s'en rend bien compte, mais est-ce que c'est bien ?
Ben... disons que c'est spécial.
Déjà, une épopée cosmique, ça ne plait pas forcément à tout le monde. Ici, non seulement c'est très (très) long mais en plus, d'un point de vue narratif, ce n'est pas toujours très clair. Soyons francs, parfois même, on n'y comprend absolument rien ! M'enfin, heureusement, un dialogue (parfois intéressant, parfois ahurissant de répétitions ou de logique tirée par les cheveux) entre Uatu, le Gardien, et X-51 permet d'expliquer un peu les choses au lecteur. On retrouve d'ailleurs divers appendices permettant, là encore, de faire un point sur la situation ou de présenter les personnages (incroyablement nombreux) de l'aventure.

Mis à part ça, c'est tout de même une histoire intéressante. Elle a notamment le mérite d'offrir une explication globale à l'univers (au multivers même) Marvel. Pour s'y retrouver un peu, il est préférable d'être familier avec les personnages habituels de l'univers classique (Spider-Man, les FF, le Punisher, Daredevil mais également leurs ennemis, Fatalis, Belasco, Thanos, etc.). Bref, si vous voulez vous plonger dans les comics en commençant par cette saga, ce n'est pas une très bonne idée.
Point important : un peu d'humour vient alléger l'atmosphère dans Paradise X, avec notamment les fameux Hérauts ou la rencontre Venom (Mayday Parker dans ce cas)/Spider-Girl, deux filles de Peter Parker, issues de deux réalités différentes. Dommage qu'il n'y ait pas eu ce genre de clins d'œil sympathiques tout du long.

Si vous êtes prêts à passer sur les (gros) défauts narratifs, que vous n'avez rien contre le genre cosmique et que vous savez à peu près de qui l'on parle, cette trilogie vous comblera de joie. Dans le cas contraire, c'est le genre de truc à vous dégouter des comics pour un bon moment.
Vous voilà prévenu.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une explication assez exhaustive de l'univers Marvel.
  • De belles planches.
  • Un maximum de personnages.

  • Très complexe.
  • Une narration parfois déroutante.
Du Dialogue et de sa Retranscription
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Petite réflexion sur l'une des difficultés rencontrées en BD (ou dans un roman) : faire cohabiter les particularités du langage parlé tout en respectant les impératifs de l'écrit.

L'essentiel du texte d'une bande dessinée, la plupart du temps, est composé de dialogues, élégamment placés dans ces si pratiques bulles, aussi appelées phylactères. Or, mine de rien, ces textes posent un problème relativement complexe puisqu'ils sont censés retranscrire un langage parlé alors que, bien évidemment, par nature, ils appartiennent tout de même au monde de l'écrit.

Comme la narration, les dessins ou même la colorisation, les dialogues, ou du moins la manière de les retranscrire, ont évolué dans le temps, s'adaptant aux mœurs, à l'évolution de la société et aux nouvelles habitudes linguistiques.
Ainsi, par exemple, bien que le style ait son charme, il est rare de nos jours de trouver encore des dialogues "à la Hergé". Des choses du style "Allons Capitaine, nous ne pouvons agir ainsi." ou "Eh bien mon vieux Milou, nous l'avons échappé belle !" ont un côté trop lisse, trop policé pour faire jeu égal avec les formes modernes les plus couramment rencontrées.

La tendance est en effet à un réalisme cru, ne cherchant plus à masquer les imperfections de l'échange oral. Les méthodes pour parvenir au résultat souhaité peuvent cependant être discutées. L'une d'entre elles, souvent employée chez certains éditeurs, consiste en fait à se débarrasser de l'adverbe de négation "ne".
"Je ne sais pas" devient ainsi "je sais pas".
Une autre technique, là encore courante, s'appuie sur une forme d'élision "sauvage", non nécessaire.
Le "je sais pas" précédent se transformant alors en "j'sais pas" (ou pire encore, "chais pas", que l'on rencontre assez souvent).
L'on peut également éliminer carrément un mot ("Faut que j'y aille", le "il" disparaît) ou le charcuter ("m'man" à la place de "maman").

Comme on peut le constater, la tentation ultra-réaliste dans la retranscription conduit toujours à une dégradation volontaire du texte. Et c'est à ce moment que surviennent les effets pernicieux.
Tout d'abord, il ne faut pas confondre vraisemblance et réalisme. Un récit doit toujours être vraisemblable, mais le réalisme est une autre exigence, souvent superflue, voire néfaste lorsqu'elle va se nicher dans des détails très secondaires.
Ensuite, la nature même de l'écrit, même sous forme de dialogue, impose des règles. Celles-ci ne sont pas faites uniquement pour emmerder les enfants à l'école et remplir les poches des correcteurs. Elles permettent notamment de conserver un certain confort au niveau de la lecture. En effet, il n'est rien de plus désagréable que de lire, voire de déchiffrer, un texte exagérément dégradé. Tout simplement parce que nous sommes habitués à lire une forme codifiée et "propre". Dans les romans par exemple, domaine résistant où un dialogue est encore rarement dégradé inutilement. Pire encore, sans l'adverbe de négation, le sens des phrases peut changer. Ainsi, "il a plus qu'une idée en tête" signifie qu'il a plusieurs idées, alors que "il n'a plus qu'une idée en tête" veut dire exactement le contraire (il ne lui en reste plus qu'une). 


L'erreur qui peut être faite est de confondre ce que l'on entend à l'oral et ce que l'on s'attend à lire à l'écrit. Même si certaines personnes optent oralement pour un "j'sais pas" (c'est loin d'être une généralité), elles ont l'habitude de lire "je ne sais pas". Et la première idée qui vient à la lecture d'un texte exagérément dégradé, ce n'est pas que le personnage parle d'une manière réaliste, mais que le texte est mal écrit.
Prenons tout de même l'hypothèse du réalisme recherché à tout prix. Toute règle ayant ses exceptions, la grammaire peut en accepter également. Il est évident par exemple que les hillbillies arriérés de Deliverance, vivant en cercle fermé dans leur trou paumé, ne vont pas s'exprimer comme un avocat new-yorkais. Mais justement, c'est bien parce qu'il existe des exceptions, d'ailleurs utiles et efficaces, qu'elles ne peuvent devenir la règle.
Car, si l'on impose à l'avocat un langage déjà dégradé, que nous restera-t-il comme option pour notre brave joueur de banjo amateur de cris de cochon ?

Un autre effet pervers d'une généralisation de la dégradation tient dans ce que j'appelle la "dégradation par association". Comme dit précédemment, l'on perçoit souvent une dégradation du texte comme ce qu'elle est (un texte mal écrit) et non un dialogue réaliste, parfaitement retranscrit. Mais, inconsciemment, cela a tout de même un effet sur la perception que l'on a du personnage concerné. Plus le texte sera dégradé, plus le personnage apparaîtra comme peu cultivé, grossier, gauche, bref, des sensations que l'auteur était loin de vouloir faire passer. Si pour un jeune enfant, un "j'sais pas" passera fort bien, pour un adulte censé être instruit, cela n'apporte rien, au contraire, cela contribue à le crétiniser.
Et l'on en vient au meilleur : la capacité du cerveau à adapter ce qu'on lit.

Rgerazde, vuos aellz ters bein cmoenprde cttee prhsae.
Vous n'avez pas mis deux heures, ni deux minutes, pour déchiffrer la phrase ci-dessus. En réalité, vous l'avez lue correctement instantanément. Cela vient du fait que votre cerveau (et ses nombreuses routines inconscientes) est habitué à remettre de l'ordre dans l'anarchie ambiante, en se basant sur les formes précédemment rencontrées.
Il n'y a aucun risque à "sur-écrire" un dialogue, tout simplement parce que "je ne sais pas" n'est pas perçu par le cerveau comme une forme soutenue du langage oral mais comme une forme normale du langage écrit (si normale qu'il est tenté de la reconstituer). Le cerveau remettra toujours de l'ordre dans une phrase triturée inutilement, parce qu'il s'attend à trouver une forme compréhensible, correcte et déjà rencontrée.


Il vaudra donc toujours mieux, dans un dialogue, privilégier la forme correcte de la phrase plutôt que l'éventuel respect d'une très aléatoire habitude orale. À plus forte raison si l'on ne souhaite rien faire passer de particulier en dégradant la forme, car celle-ci va avoir un impact énorme sur la perception du personnage.
Imaginez que vous lisiez cet extrait de dialogue :
"Je ne sais pas où tu as été pécher cette idée, mais je t'assure que tu te plantes complètement."
Cette phrase est-elle facile à lire ? Je serais tenté de répondre oui. Vous renseigne-t-elle sur le personnage ? Aucunement. Impossible de dire s'il s'agit d'un psychopathe, d'un professeur de tennis neurasthénique ou d'un gentil grand-père.
Voyons maintenant celle-ci :
"J'sais pas où t'as été pécher c't'idée, mais j't'assure que tu t'plantes complètement."
La phrase n'est déjà plus si agréable à lire, mais surtout, elle induit une dégradation de l'image du personnage, quel qu'il soit. L'on ne se dit pas que c'est la manière correcte de retranscrire l'oral, mais simplement que le personnage parle bizarrement. Ici, le procédé est volontairement exagéré, mais la simple disparition répétée de l'adverbe de négation peut, à terme, générer la même impression.

Bien entendu, rien de tout cela n'est gravé dans le marbre. Il s'agit d'une réflexion menée en tant que lecteur, auteur et correcteur et, de toute façon, la licence poétique permet presque tout. Cependant, un récit se doit d'être cohérent et, pour cela, il est nécessaire de comprendre et maîtriser certaines techniques (cf. ce dossier). Le dialogue est l'une d'entre-elles.
Dégrader un texte est une possibilité, qui convient parfaitement à de nombreuses situations (personnage inculte, très jeune, ivre, soumis à un stress intense, ayant un accent particulier, etc.), il n'est pas interdit de faire preuve d'audace syntaxique, mais il n'est pas possible, pour des raisons de confort de lecture et de "faux" message envoyé au lecteur, de faire de ces exceptions une pratique constante.
Un bon dialogue écrit n'est pas une bonne retranscription phonétique (se concentrer sur le son n'a aucun intérêt, le lecteur n'entend pas le dialogue, il le lit) mais... simplement un bon dialogue. Et, sans verser dans l'emphase ou la rigidité, il se doit de servir le propos au mieux, sans paraître daté ou excessivement grossier.

Lorsque l'on souhaite donner du cachet à une maison, l'on n'endommage pas ses murs à coups de masse. Les gens n'y verraient que des murs abîmés et non l'allusion à une époque, même lointaine et agitée.
La langue est identique. Elle peut exprimer bien des nuances, mais les nuances s'obtiennent rarement à coups de marteau ou de hache. Elles proviennent des recherches, de l'expérience, d'un certain savoir-faire et, parfois aussi un peu, du talent qui consiste à faire croire qu'entre les mots, il se passe réellement quelque chose.

Le bistrot est utile à un dialoguiste, mais il y a un risque : l'alcoolisme.
Michel Audiard

Babyteeth
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Gros plan sur une nouveauté qui débarque en librairie dans quelques jours : Babyteeth.

Tomber enceinte à 16 ans, ce n'est pas forcément facile. Mais pour Sadie, malgré un accouchement plutôt mouvementé, tout va bien grâce à sa famille. Sa sœur, adepte des méthodes musclées, et son père, compréhensif et aimant, font de leur mieux pour que l'arrivée de Clark, le petit bébé, se passe bien.
Seulement, voilà, Clark est spécial. Très spécial. D'abord, il boit du sang à la place du lait. Il a de petites dents pointues rétractables. Et il provoque des tremblements de terre. Le genre de gamin à faire tomber en dépression fulgurante toute une armée de baby-sitters !
Et ce n'est pas tout. Ce bébé est soupçonné, par une mystérieuse organisation appelée La Silhouette, d'être l'antéchrist. Carrément.
Pour Sadie et sa famille, les véritables ennuis commencent lorsqu'une tueuse débarque chez eux, bien décidée à supprimer le rejeton démoniaque. Mais que ne ferait pas une maman pour protéger son enfant ? Même si celui-ci est le diable en personne...

Les jeunes éditions Snorgleux Comics, basées à Marseilles, préparent la rentrée avec quelques titres sympathiques (dont le tome #2 d'Animosity ou encore Unholy Grail) issus du catalogue US d'AfterShock Comics, mais c'est clairement ce Babyteeth que nous vous recommandons vivement.
Le scénariste texan Donny Cates fait preuve ici d'une grande maîtrise narrative en parvenant à créer une véritable tension dès les premières planches tout en développant habilement des personnages crédibles, mis en valeur par des dialogues efficaces, avec parfois une pointe d'humour.
Tout est fait pour que le lecteur rentre aisément dans ce récit rythmé reprenant une thématique certes bien connue mais traitée avec suffisamment d'originalité et d'intelligence pour la renouveler.


La narration fait appel à des flashbacks, Sadie racontant en fait les évènements pour laisser à son fils un témoignage des péripéties dramatiques qu'elle a dû affronter. Cates parvient à rendre son héroïne sympathique mais aussi vraisemblable, ce qui n'était pas forcément facile étant donné le contexte surnaturel pour le moins étonnant.
L'on ressent pleinement l'humanité de cette jeune fille, ses doutes, ses craintes, son amour évident pour son fils, ce qui permet au récit d'avoir un "point d'ancrage" réaliste autour duquel vont s'articuler des alliés ou ennemis plus folkloriques, comme Heather, la grande sœur baroudeuse qui n'hésite pas à jouer des poings, ou Dancy Cherrywood, un sorcier volubile au service du Seigneur du Néant.

L'ambiance graphique, due à l'écossais Garry Brown (Catwoman, Batman, Iron Patriot), est plutôt sombre, le style brut de l'artiste convenant parfaitement à l'atmosphère glauque du titre.
Entre quelques scènes violentes, l'on découvre aussi des protagonistes pour le moins originaux, dont une sorte de démon raton laveur, particulièrement réussi sur le plan esthétique.
Seul bémol, l'adaptation française contient quelques erreurs et maladresses qui viennent un peu parasiter la lecture. Dommage, avec un texte plus soigné, l'on obtenait un sans faute.

L'ouvrage sort le 31 août, il dispose d'une hardcover et coûte 16,50€ pour 120 pages. Signalons également quelques pages de bonus regroupant les variant covers.

À découvrir !


Sadie et son père, sous la plume de Donny Cates.

— J'ai connu bien pire qu'un bébé capricieux, ton vieux père peut gérer ça.
— Je ne pense pas qu'on puisse comparer ce cas de figure avec la guerre du Golfe, Papa.
— Je parlais d'élever ta sœur. 






+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une narration astucieuse et percutante.
  • Des personnages bien écrits.
  • Un style graphique sombre, adapté au propos.
  • Mention spéciale pour le raton laveur !

  • Une VF perfectible.
Labyrinthe, de Kate Mosse
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Au mois de juillet 2005, le docteur Alice Tanner, jeune Anglaise diplômée en littérature médiévale, se trouve dans la région de Carcassonne pour y participer à titre bénévole à des fouilles archéologiques dans le secteur du pic de Soularac à la demande d’une vieille amie. Un hasard extraordinaire lui fait découvrir l’entrée d’une grotte dans laquelle elle tombe sur les squelettes de deux corps enlacés, au pied d’une paroi comportant des signes inconnus qu’il lui semble pourtant pouvoir déchiffrer. 
Immédiatement, une enquête se met en place et Alice se rend compte qu’elle vient de mettre un pied dans un engrenage terrifiant : les morts et les disparitions se multiplient autour d’elle et elle ne sait plus à qui se fier. D’autant qu’on l’attend à Carcassonne même afin d'y discuter d’un étrange héritage et que ses rêves sont de plus en plus peuplés d’étranges mais précises visions d’un passé où elle suit l’histoire d’Alaïs, jeune occitane de 17 ans vivant dans la cité en juillet 1209 (au tout début de la croisade contre les Cathares), et à qui son père remet un manuscrit qui mènerait au secret du Graal. A huit siècles d’intervalle, les deux femmes se retrouvent inextricablement liées à la préservation de ce mystère convoité par des puissances obscures et sans scrupules, contenu dans trois livres, un anneau et un trésor inestimable.

Voici un roman qui, s'il n'est pas toujours aisé à lire, saura accrocher les plus acharnés, désireux d'aller au bout de cette quête littéraire. La structure de ce récit est aujourd’hui assez classique : on suit, comme dans un montage alterné au cinéma, les aventures parallèles de ces deux femmes au prénom si proche et unies par bien davantage que le goût pour l'étrange. Alice est décidée, fière et plutôt indépendante, ce qui la rapproche de son double, cette jeune Alaïs, fille de l’intendant du vicomte Trencavel, avide de savoir et riche d’une foi et d’une fidélité inébranlables.
Alors qu’Alice se retrouve, malgré elle, embourbée dans une affaire qui la dépasse, dans laquelle les officiers de police semblent étonnamment soucieux de sa sécurité et où de nombreux personnages s’intéressent de trop près au fruit de ses découvertes tandis que les filatures et les surveillances ne lui laissent aucun répit, Alaïs vit de l’intérieur la montée des tensions dans les cités du Pays d’Oc qui, en raison de leur tolérance envers le catharisme, s’apprêtent à subir de plein fouet la hargne et la soif de conquête des seigneurs du Nord ; ces derniers, sous couvert de la Croix, sont sur le point de prendre possession des riches terres du Sud, soutenus par l’Église et la Couronne de France. Les pourparlers se multiplient, les alliances se font et se défont : Trencavel se verra débouter par son oncle, le comte de Toulouse, et même par son suzerain, le roi d’Aragon, mais il demeurera solide dans sa volonté de défendre sa cité bien-aimée contre l’host français. Ce dont il ne se doute point, c’est que certains seigneurs du Nord se rendent en ses terres pour s’emparer des livres détenus par les gardiens d’un secret millénaire, remontant à la lointaine Égypte et dont le savoir scellé parmi les symboles cabalistiques permet d’entretenir l’espoir d’une vie éternelle… La Connaissance, le Pouvoir dont les puissants ne sont jamais rassasiés.

Image tirée de la mini-série produite par Ridley Scott (2014).

Alaïs, instruite de ce secret par son père, l’un des Gardiens, deviendra ainsi une personne trop importante aux yeux des traîtres qui cherchent à mettre la main sur le Graal : ces dits traîtres sont partout, dans sa cité, dans sa maison, et dans sa famille même. Elle préférera recourir aux services de Sajhë, un gamin des rues qui s’est entiché d’elle, et d’Esclarmonde, une vieille guérisseuse qui l’a vue grandir, plutôt que de s’attarder auprès de sa sœur, trop belle et trop ambitieuse, voire de son jeune mari, Guilhem du Mas, valeureux guerrier prêt à en découdre avec l’ennemi.
Alors que la chute de la fière cité de Carcassonne semble inéluctable, Alaïs échafaudera les plans les plus ingénieux et désespérés pour s’enfuir, afin que la promesse faite à son père de préserver le secret millénaire soit tenue. Des contreforts de Pyrénées aux forteresses cathares, jusqu’à Montségur, elle partagera le sort de ces milliers de malheureux qui n’avaient d’autre tort que celui de chercher le bonheur dans une conception plus humaniste que chrétienne de leur religion.
Car le catharisme, sans être véritablement au centre de l’ouvrage, est largement abordé : les Bons homes, comme ils aimaient à s’appeler, ou les Parfaits, sont décrits au travers de leurs habitudes, leurs prières et leur attitude aussi résignée que respectable. Martyrs de la foi, ils paieront cher leur attachement à des valeurs rejetées par l’Église de Rome : il ne fait pas bon s’en prendre aux dogmes en place alors que les Croisades battent leur plein. Pour autant, ainsi que le souligne l’auteur dans un rappel historique en préambule, c’était la première d'entre elles organisée sur un sol européen. Et elle devait mener, assez vite, à la création de la Très Sainte Inquisition.

Alaïs n’est point une Cathare, pourtant, pour les avoir côtoyés, elle les comprend, les défend et partage nombre de leurs points de vue. Par son biais, leur hérésie apparaît transfigurée, sorte de manichéisme bon enfant s’inspirant des Bogomiles et des Zoroastriens. Peut-être y a-t-il un peu de complaisance dans les phrases de Kate Mosse, romancière britannique tombée amoureuse (comme tant d’autres !) de cette région où l’esprit des Parfaits imprègne encore chaque pierre, chaque brin d’herbe, chaque cours d’eau. L’auteur a d’ailleurs – quelle chance elle a ! – une maison à Carcassonne dont elle sait décrire, avec un plaisir évident, chaque coin de rue, chaque façade, avec un soin méticuleux doublé d’une sorte de vénération. Les visites et courses-poursuites d’Alice Tanner n’en paraissent que plus réalistes, d’autant qu’elles éveillent en chaque touriste, chaque explorateur amateur, l’écho de visions similaires : Carcassonne est si belle, savez-vous ? Certes, la cité surplombant fièrement la vallée où s'étend la ville moderne n’apparaît aujourd’hui que comme une maquette grandeur nature relativement fidèle (en tout cas conforme aux visées de Viollet-le-Duc) mais elle rayonne d’une histoire pleine de rebondissements, entre alliances et mésalliances, dans une région tiraillée entre l’Aragon, le comté de Toulouse et la Provence, où les secrets pullulèrent (Rennes-le-Château n’est pas loin, à peine une heure de route, ainsi que le donjon d’Arques et le paysage des Bergers d'Arcadie, fameux tableau "à clef" de Nicolas Poussin – les connaisseurs apprécieront – alors que le spectre morbide des châteaux cathares se profile à l’horizon) et au sein de laquelle les chasseurs de trésors n’hésitent pas à retourner la terre, explorer les tombes et interroger, d’un regard empli de fols espoirs, les pierres gravées, les chemins de croix codés, les ruines silencieuses et les doyens de chaque village. Tant qu’ils cessent de faire sauter, çà et là, des pans de muraille ou de rochers, laissons-les rêver : après tout, une rumeur persistante nous rappelle que Marie et Joseph d’Arimathie auraient abordé ces côtes après avoir quitté une Galilée vouée aux gémonies après la Crucifixion du Messie : l’une aurait été porteuse d’un enfant pouvant changer la face du monde ; l’autre aurait eu sur lui la coupe ayant recueilli quelques gouttes du précieux sang du Christ. La Coupe de l’Alliance Éternelle. La Coupe du Graal. Si on y rajoute les commanderies templières établies dans le secteur, le trésor des Wisigoths, les mines d’or (à présent épuisées) des Romains et les millions de francs dénichés par le curé Béranger Saunière, il y a de quoi faire tourner la tête aux chercheurs de tous poils.

Vue de Carcassonne à destination des lecteurs britanniques qui ont aimé le livre.

Toutefois, et très sagement, Mosse s’en tient à son récit : sur fond de catharisme, explorant le destin tragique de ceux qu’on nommait également les Albigeois, elle délivre ce qui s’avère être une belle histoire d’amour ; amour d’une jeune femme un peu trop idéaliste pour un mari qui la trahira, amour d’un garçon pour celle qui ne le verra jamais que comme son ami, amour d’une dame pour un pays auquel elle se sent confusément appartenir. Alice, cherchant à échapper à la machination dont elle est le centre, voudra également connaître le sort de sa double du passé : leur destin se nouera, là, au pic de Soularac, à 800 ans de distance, sous l’influence de ceux qui cherchent à s’ancrer dans l’Histoire jusqu’à en devenir immortels. Néanmoins, le Graal est-il fait pour eux ?

Gérard Marcantonio a su à l’évidence traduire agréablement ce texte où l’auteur s’est volontairement embarrassé de tournures anciennes (« Votre jambe vous douloit-elle encore ? ») et de termes occitans (un glossaire nous le rappelle en fin d’ouvrage). Cela nuit parfois au rythme, qui se délite à la fin du premier tiers, d’autant que les deux héroïnes sont un peu dans l’expectative, Alice ne sachant pas du tout quoi faire et Alaïs se retrouvant quelque peu éclipsée par les considérations politiques. On aimerait parfois les pousser, les aiguillonner dans leurs recherches. Cependant, assez habilement, Kate Mosse entretient un certain suspense par l’intervention de personnages œuvrant dans l’ombre et qui en savent bien davantage que les protagonistes. Ainsi, la quête d’Alice nous apparaît-elle plus confuse que celle d’Alaïs, au point qu’il faille l’intervention d’un tiers pour nous en narrer une partie. Alice est ainsi un peu le point faible du livre, on a du mal à s’identifier à elle, à ses relations un peu floues, d’autant que son passé semble la lier à celle qu’elle voit en rêve. Sa relation avec Will apparaît du coup d’autant plus artificielle.
Pourtant, l’intérêt demeure grâce à l’Histoire et, même si les pérégrinations d’Alaïs vont de pair avec des descriptions un peu lourdes, elles se trouvent au contraire enrichies par l’emploi intelligent (car parcimonieux) de l’occitan.

Fruit d’un important travail historique, best-seller européen en 2005, traduit en trente-six langues, Labyrinthe manque de cette sapience inégalable et de ces trop nombreuses références qui ressortent des écrits d’Umberto Eco, mais ravira les amateurs d’histoire mystérieuse qui ont apprécié le Da Vinci Code, même si l'on peut regretter son manque de fondement scientifique.
Une autre vision du Graal, qui peut décevoir et frustrer, mais qui permet surtout de recevoir l’illumination : on n’a qu’une hâte, retourner en pays d’Aude, en terre cathare, et y goûter en toute quiétude à des matins ensoleillés au pied de remparts millénaires.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une quête évidemment stimulante : le Graal !
  • Une description amoureuse de la région de Carcassonne, qui saura vous persuader d'y aller, ou d'y retourner.
  • Un style agréable rehaussé par une utilisation intelligente d'expressions en occitan.

  • Un personnage (Alice) manquant de tonus et de caractère.
  • Un rythme inégal et parfois mou.
  • Un sujet passionnant mais une conclusion (forcément) décevante.
Mystic Arcana
Par

Les forces magiques sont à l'œuvre dans Mystic Arcana ! On jette un sort, dès maintenant, pour en savoir plus.

L'Eau pour Namor, empereur des Mers. Le Feu pour cet être de flammes de l'âge d'or. La Terre, défendue avec courage, pour le soldat au bouclier. Et l'Air pour cet autre surhumain qui courait plus vite que le vent. Les premiers héros de l'âge d'argent étaient également issus de ces éléments : un homme qui s'étire et coule comme un liquide, un monstre de pierre, une femme transparente comme l'air et une nouvelle Torche.
Quatre éléments.
Quatre types de magie.
Et tout un monde qui pourrait disparaître si Ian McNee ne réussit pas sa quête. Le Tarot a parlé, Ian devra retrouver une épée, une rose, une couronne et un miroir. Quatre artefacts qui, une fois réunis, pourront sauver les Royaumes Mystiques. Ou précipiter leur perte.

Après cette petite et énigmatique introduction, rentrons tout de suite dans le vif du sujet. Cette mini-série, rééditée en 2007 aux États-Unis dans un superbe TPB, est divisée en quatre parties. Chaque chapitre comprend une sorte de one-shot centré sur l'un des fameux objets magiques, lui-même lié à un héros, et un court épisode évoquant la quête de McNee.
L'histoire principale est donc diluée, à petites doses, dans ces épisodes apparemment sans lien entre eux. Ces derniers nous promènent de l'ancienne Égypte à la mythique Avalon, en passant par l'Europe de l'Est. Les personnages mis en avant lors de ces petits voyages sont Magik (Illyana Raspoutine), Black Knight, Wanda Maximoff (alias la Sorcière Rouge, à l'origine des évènements de House of M) et la jeune Nico Minoru (des Runaways).


Tout cela est écrit par David Sexton, Louise Simonson, Roy Thomas, Jeff Parker et C.B. Cebulski. Les dessins sont de Eric Nguyen, Steve Scott, Tom Grummett, Juan Santacruz et Phil Noto. Vous l'aurez compris, chaque partie possède donc sa propre équipe créative.
Pour être honnête, cette saga n'est pas spécialement bouleversante ou originale. Mais si l'on prend le temps de vous en parler, c'est qu'il y a une bonne raison. L'ouvrage dont il est question ici contient également The Marvel Tarot et The Book of Marvel Magic, des éléments qui vont apporter, mine de rien, une énorme valeur ajoutée à l'ensemble.

The Marvel Tarot tout d'abord. Voilà quelque chose de magistralement réalisé (par Sexton) et de particulièrement beau à regarder. Sexton dévoile les principales cartes de son tarot (les arcanes majeures) en en expliquant le sens et en évoquant les personnages auxquels elles sont liées. Mieux encore, le tout est présenté avec des illustrations, d'une rare richesse, basées sur de vieux grimoires ou des fragments de notes, le tout accompagné par un tas de bricoles disparates, comme de vieilles pièces, des plantes séchées, des papillons et toute une mosaïque de petites choses, parfois difficilement identifiables, qui donnent l'impression de jeter un œil sur le bureau désordonné d'un vieux mage.

Bien que ce soit très joli, il ne s'agit pas d'un artbook et des éléments très intéressants accompagnent les cartes, comme une Table de Correspondances qui permet de voir ce qui découle des fameux éléments. Le lecteur pourra donc découvrir à quoi s'associent l'eau, le feu, l'air et la terre, non seulement à travers les couleurs correspondantes, les points cardinaux, les saisons, les animaux, les signes astraux, mais aussi par rapport aux forces de la nature, aux races mystiques et extraterrestres ou même... aux différentes formes de Adam Warlock ou aux héros faisant partie des Defenders ! On a droit également à une planche représentant les différents plans d'existence, à un topo sur les différentes magies, à une petite recherche sur la signification de "Agamotto", bref, un tas d'infos magiques et marvelliennes.


La plus grosse partie des "bonus" de cette édition librairie concerne Mystic Arcana : The Book of Marvel Magic, une sorte de mini encyclopédie comme l'on a déjà pu en voir dans d'autres ouvrages (le Civil War Companion par exemple) mais qui est ici focalisée sur les personnages et objets magiques.
C'est moins joli à regarder que le Tarot mais le contenu informatif est très dense. On retrouve pour chaque perso ses caractéristiques principales (force, intelligence, rapidité...), son vrai nom, sa première apparition, son affiliation, un tas d'autres précisions et, forcément, un historique de ses faits d'armes marquants.
En plus des personnes, un appendice répertorie les épées, talismans et livres magiques ayant déjà été utilisés dans l'univers Marvel. Un pur bonheur pour un Maître de Jeu en panne d'inspiration. La série et la date d'apparition de l'objet sont à chaque fois précisées. Autrement dit, voilà largement de quoi faire le tour de la question !

Ce livre (uniquement disponible en VO) est pratiquement identique aux Marvel Deluxe français (jaquette sur hardcover, papier glacé) et coûte une trentaine de dollars. Un prix largement justifié au regard de la richesse de l'ouvrage qui, s'il ne contient pas une histoire époustouflante en soi, s'érige au rang d'indispensable de par un contenu additionnel travaillé, inspiré et très complet.

Une belle curiosité pour magiciens amateurs.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Graphiquement très beau.
  • Un énorme contenu informatif.
  • Le Tarot et ses correspondances.

  • Pas de VF.
  • L'histoire en elle-même, simple prétexte.
L'Affaire de l'esclave Furcy
Par

Un travail remarquable, une œuvre de mémoire nécessaire dans laquelle la fiction ravive puis supporte le souvenir, l'enveloppe et l'illumine. Prix Renaudot Essais en 2010.

Le journaliste Mohammed Aïssaoui nous explique comment, après avoir appris la mise aux enchères des archives sur "l'Affaire de l'esclave Furcy", il s'est penché sur cette histoire magnifiquement tragique et a décidé de nous la faire revivre, complétant les rares témoignages sur cette époque transitoire (la Restauration) par quelques passages imaginés, afin que la fiction vînt enrichir les faits. Mais quels sont-ils ? Un jour de l'an 1817, un jeune esclave nommé Furcy, employé comme majordome dans une riche exploitation de l'île Bourbon (ancien nom de la Réunion), se présente au Tribunal d'Instance de Saint-Denis pour y demander qu'on rétablisse ses droits à la liberté. Grâce à des papiers qu'il a retrouvés, il peut démontrer sa condition d'homme libre maintenu en esclavage. Il est débouté, et même mis en prison sous une accusation fallacieuse. Mais il n'en démord pas et, soutenu par sa famille ainsi que par des juristes intègres touchés par sa situation, il s'acharnera pendant 26 ans jusqu'à la conclusion du procès, à Paris, par la Cour de Cassation et la Cour royale.

De cette investigation patiente et méthodique, soutenue par une passion visible, naît un ouvrage stimulant et parfois émouvant, un peu maladroit dans son écriture avec cette alternance inhabituelle entre le récit circonstancié et le témoignage du rédacteur, entre ce passé qui nous a été caché et dont on sait peu et le présent de la recherche dans les archives. L'esclavage est dûment présenté à l'époque (les lendemains douloureux d'une Révolution étouffée par l'Empire) comme une convention, un mal nécessaire, voire un rouage indispensable à l'équilibre économique des colonies : l'auteur insiste pour qu'il soit perçu davantage en tant que système économique bien rodé et terriblement rentable que comme idéologie immorale millénaire. Si Napoléon avait finalement - et assez logiquement - fait abroger son abolition issue de la Révolution (les rédacteurs de la Déclaration des Droits de l'Homme ne pouvaient omettre aucun ressortissant de l'espèce), les mentalités avaient permis tout de même une avancée majeure dans le droit hexagonal : "Nul n'est esclave en France" est l'un des principes solennels scandés par les défenseurs de la cause de Furcy. D'ailleurs, dès la fin du XVIIIe siècle, les Anglais affranchissaient déjà sur leurs terres des esclaves par milliers : le monde civilisé était prêt pour la suppression de cet odieux asservissement des hommes par d'autres hommes. Cependant, c'était sans compter sur le pouvoir de l'argent, balayant tous les principes moraux, les étouffant sous son talon doré et faisant taire jusqu'à l'éthique des puissants.
L'esclavage (qui ne fut nullement l'apanage des États européens) était, sur les colonies du début du XIXe siècle, un système incontestablement fonctionnel, qui dépassait les cadres déjà discutables de la religion et de la justice : il en allait de la pérennité d'un mode de vie entièrement fondé sur cette main-d'œuvre inespérée issue d'un commerce pourtant nauséeux à propos duquel commerçants et exploitants préféraient se voiler la face. L'abolition était ainsi dans l'air du temps et la mentalité métropolitaine prête à s'en saisir, mais c'était compter sans les notables colons, incapables d'envisager l'avenir sans leur armée de manutentionnaires noirs qui, s'ils n'étaient pas payés pour leurs tâches, leur coûtaient déjà bien assez. Mieux : la plupart des Noirs nés chez leurs maîtres étaient sinon réticents, du moins fort hésitants quant à leur affranchissement possible : on ne naît pas esclave, nous serine l'auteur avec raison, on le devient. Et l'apprentissage de la liberté ne se fait pas aisément, ni sans douleur.

Et de suivre l'extraordinaire histoire de ce jeune homme patient, posé, placide et étonnamment cultivé qui décida un jour de revendiquer sa liberté, laquelle lui revenait de droit, sa mère étant née libre et ayant voyagé sur les terres de France, ce qui lui conférait légitimement ce statut. Une liberté qui lui avait été cachée et qui lui sera encore niée. Maintes fois. Cependant Furcy attendra que l'heure vienne, son heure, celle où enfin la Justice lui rendra éventuellement ses droits.

"Abolition de l'esclavage dans les colonies françaises" - François-Auguste Biard

Une véritable aventure judiciaire dépassant le cadre de l'existence d'un seul homme pour toucher à des vérités fondamentales et des drames ethniques. Facile et rapide à lire, on regrettera parfois la tendance de l'auteur à se justifier ou à expliquer, en se répétant, combien son investigation fut ardue tant les archives sur les populations asservies sont lacunaires (après tout, on ne confère pas d'identité à une marchandise et la généalogie des descendants d'esclaves reste, encore aujourd'hui, presque impossible à retracer du fait de l'absence de traces écrites). Les passages fictionnels sur le mode du récit sont bien plus passionnants et engendrent un véritable suspense envers le destin de cet individu admirable qui a enduré de nombreuses déceptions en s'accrochant, littéralement, à la Déclaration des Droits de l'Homme
On a bien porté 20 years a slave à l'écran, d'une façon souvent ostentatoire, on pourrait faire un film magnifique à partir de l'histoire de Furcy.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une œuvre remarquable par sa portée.
  • Un texte aisé à lire, empli d'anecdotes savoureuses et/ou consternantes.
  • Un travail de fourmi exemplaire qui nous fait comprendre à quel point il est difficile de trouver les éléments factuels concernant cette période trouble.

  • Un aller-retour constant entre les circonstances de rédaction (ou le journaliste évoque ses difficultés à dénicher les archives) et le récit de l'époque, enrichi de passages fictifs et honnêtement plus captivants.
  • De nombreuses répétitions illustrant naïvement la passion de l'auteur pour ce sujet.
La Guerre Krees/Skrulls
Par


On se penche aujourd'hui sur les Avengers avec les mythiques épisodes contant La Guerre Krees/Skrulls.

Mar-Vell, QuicksilverWanda Maximoff et la Vision sont opposés à Ronan et à une Sentinelle Kree particulièrement puissante. La routine pour des Vengeurs habitués aux situations de crise. Cette fois cependant, la menace est de niveau galactique... dans l'immensité de l'espace, deux peuples ennemis se livrent une guerre sans merci. Et la terre se trouve par hasard au milieu de l'affrontement entre Krees et Skrulls.
Pire encore, Mar-Vell étant d'origine Kree, les Vengeurs sont la cible d'une enquête officielle et, rapidement, de la colère d'une foule terrifiée à l'idée d'une invasion. Captain America, Iron Man et Thor, les membres historiques du légendaire groupe de héros, vont être amené à prononcer sa dissolution. Bientôt, même les Inhumains seront pris dans la tourmente. La terre peut-elle vraiment se protéger de ces peuples de guerriers qui l'ont érigée en champ de bataille ?

Panini a profité en 2009 de l'évènement Secret Invasion pour rééditer ces épisodes en Marvel Best Of. Initialement, ceux-ci avaient été publiés en France, par Aredit, dans Thor Pocket (une revue petit format en noir & blanc).
Cette saga, qui date tout de même de 1971, est scénarisée par Roy Thomas (Conan, Mystic Arcana). Aux crayons l'on retrouve Neal Adams, Sal Buscema et John Buscema. Tout cela a presque 40 ans et cela se voit malgré le joli emballage et le papier glacé, c'est donc plus une récréation nostalgique qu'un récit exceptionnel. Cela débute d'ailleurs par un combat (contre Ronan et la Sentinelle) assez long, saupoudré d'un bavardage guère inspiré. Heureusement, on passe à la vitesse supérieure après quelques épisodes.


Car tout n'est pas à jeter dans cette histoire, loin de là. On assiste à la chute des Vengeurs qui perdent la confiance du public et subissent un interrogatoire officiel de la part du Comité des Affaires Aliens (qui n'est pas sans rappeler la plus récente Commission des Affaires Surhumaines), on a droit à une "aventure intérieure" de l'Homme-Fourmi explorant le corps synthétique de Vision, on peut même assister à la réflexion de quelques personnages s'interrogeant sur la nature moderne et non-manichéenne des conflits. Tout cela est plutôt sympa pour l'époque mais est bien entendu relaté dans un style narratif aujourd'hui complètement dépassé. C'est donc avec un œil indulgent qu'il convient de parcourir ces planches.

Les personnages sont assez nombreux, outre les Vengeurs déjà cités, l'on peut noter la présence de Nick Fury, Carol Danvers (qui n'était pas encore Ms. Marvel), Black Bolt et même de quelques guests ne faisant qu'une courte apparition comme Namor ou la Torche originelle (qui a donné son nom au Camp Hammond de l'Initiative).
Au niveau du contenu éditorial, vous aurez droit aux traditionnelles covers ainsi qu'à une intro de Roy Thomas qui explique un peu la genèse de cette saga. Il avoue à cette occasion que lui et Neal Adams avaient un tel niveau de collaboration qu'ils sont persuadés, tous les deux à 100%, d'être à l'origine de certaines idées, comme de redonner aux "vaches skrulls" (un coup de Richards) l'apparence des Fantastic Four.

Le temps n'épargne rien. Si ces épisodes ont un réel potentiel "historique", ils ne peuvent prétendre supporter les standards actuels. On regrettera notamment une action tonitruante - et parfois ennuyeuse - mise en avant au détriment des relations entre les protagonistes, trop peu développées.
Collectionneurs et curieux se jetteront sur l'ouvrage, le lecteur occasionnel a, lui, tout intérêt à se rabattre sur des productions plus récentes (comme les New Avengers par exemple).

Dispensable.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un conflit rassemblant un maximum de têtes connues.
  • Quelques bonnes idées.

  • Une narration datée.
  • De l'action soporifique.
  • Des relations entre les personnages trop peu développées.
Wild Cards, une anthologie initiée par George R.R. Martin
Par


Un univers partagé sur le thème super-héroïque, présenté dans une anthologie impulsée par George R.R. Martin avait tout pour séduire.
Outre les partenaires de jeu (de rôles, car ce sont bien plusieurs campagnes sur un jeu de rôles qui sont à l'origine des personnages peuplant ces récits) de l'auteur de Game of Thrones, on trouvait quelques grands noms de la SF américaine qui avaient accepté de s'embarquer dans le projet, tel Roger Zelazny, le père de la saga des Princes d'Ambre. Et les éditions J'Ai Lu avaient mis les petits plats dans les grands avec cet élégant ouvrage, un peu massif mais au format encore pratique, issu de leur collection "Nouveaux Millénaires" et doté d'une très belle couverture au look vintage, laissant entrevoir d'innombrables potentiels.

Le résumé de quatrième de couverture est en effet plus qu'alléchant : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un accident permet à un virus extraterrestre d'affecter une partie de la population, lui conférant des pouvoirs incroyables, tandis que d'autres succombent en masse. Parmi les "affectés" survivants, quelques-uns conservent une apparence humaine mais disposent de capacités exceptionnelles : ce sont les As (l'on considère qu'ils ont tiré les bonnes cartes dans la redistribution génétique issue de l'épidémie) qui s'apparentent donc aux super-héros de comics. Mais la grande majorité préfèrent vivre dans l'ombre, le virus les ayant transformés en quelque chose d'horrible, déviant, malsain qui les place immédiatement au ban de la société : on les nomme Jokers.

Le fait est que, si le profane peut s'estimer comblé, l'amateur de lectures super-héroïques (voire l'ancien fan de jeux de rôles) va tomber de haut. Enfin, peut-être pas tant que cela, mais un peu quand même, suffisamment en tout cas pour être déçu par la manière dont cet univers pseudo-réaliste est présenté. Car, bien qu'il s'en défende avec la plus grande véhémence dans sa postface, le père George ne nous a pas proposé quelque chose de foncièrement original, ni dans l'écriture ni dans les thèmes abordés. Tant depuis les années 80 que tout récemment (le roman Le Sang des Héros, par exemple, pourrait facilement s'intégrer dans l'anthologie sans trop de modifications), de nombreux auteurs ont tenté de présenter un univers cohérent dans lequel les super-héros naîtraient et évolueraient d'une façon foncièrement plus crédible que dans les textes de l'Age d'Or du genre. Ainsi, cela fait belle lurette qu'on ne parle plus de relique mystique, d'artefact extraterrestre, d'accident cosmique ou d'araignée radioactive pour tenter d'expliquer l'apparition de pouvoirs chez les individus "augmentés" du monde Marvel, DC ou chez la concurrence. Les mutants sont passés par là, notamment, ainsi que des auteurs issus de la littérature de science-fiction ou même de la télévision - ce qui explique les nombreuses réécritures des origines de chaque héros.

Une fois digérée la déception, reste au moins l'attrait purement littéraire de l'ouvrage (on n'évoque ici que le tome 1 français, la série en comportant aujourd'hui 27). Or, il a les qualités et défauts inhérents au principe même d'anthologie : certains textes s'avèrent fascinants, captivants même, ou dotés d'un style alerte et dynamique, d'autres le sont beaucoup moins, parfois soporifiques, ringards ou simplement plats. Le tout est heureusement rehaussé par de malicieux interludes, imaginés par George Martin lui-même, qui montre sa capacité à écrire sous différents points de vue (cela va du récit circonstancié au rapport d'investigation, en passant par l'article de journal ou le colloque scientifique) ; ses annexes de fin, prétendument rédigées par des experts, sont ainsi particulièrement savoureuses et donnent à la fois plus de sel et plus de consistance à l'œuvre.
On obtient ainsi une vision relativement fluide sur cinq décennies (entre 1945 - et l'épopée de Jetboy qui, malgré sa bravoure, ne parviendra pas à empêcher que le virus extraterrestre soit répandu sur la Terre - et les années 1980, où les As ont fini par s'intégrer à la société américaine, travaillant pour le gouvernement, tandis que les Jokers fomentent des révoltes pour réclamer des droits civiques supérieurs) pendant lesquelles les grands événements historiques ont été plus ou moins impactés par "l'incident" initial : la montée du communisme, le maccarthysme, les Guerres du Viêt-Nam et de Corée comme les élections présidentielles américaines ou la tension politique Est-Ouest. Ce qui donne une uchronie sympathique, conçue intelligemment à partir de personnages épars issus de parties échevelées de jeu de rôles et auxquels a été conférée une origine commune (les effets incontrôlés d'un xénovirus) ainsi que des destins et une temporalité divergents.
Rien de révolutionnaire ou de grandiose, mais une édition française relativement agréable à lire grâce à une alternance de styles et de personnages stimulante.


À noter que des pointures de la scène comics comme Chris Claremont ont rédigé des textes parus dans des tomes ultérieurs (J'Ai Lu en a traduit et édité sept, comportant souvent du matériel supplémentaire par rapport à l'édition originale datant de la fin des années 1980).



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un projet stimulant pour les amateurs d'uchronies et/ou de super-héros.
  • Quelques grands noms de la SF ou de la Fantasy.
  • Quelques personnages réussis (le Dormeur, la Grande et Puissante Tortue).
  • Des interludes et des annexes bien pensés qui donnent plus de densité à l'ensemble.
  • Une édition française riche et bien présentée, souffrant de fort peu de coquilles.

  • Un manque d'originalité flagrant pour tout lecteur de comics.
  • Quelques textes au style lourd ou à l'intérêt minime.