Publié le
29.4.17
Par
Nolt
Un dessinateur obligé de bosser dans un sex-shop pour gagner sa vie, voilà qui n'est pas banal. Et ça l'est encore moins lorsque l'on sait qu'il s'agit d'une histoire vraie dont l'auteur a tiré une BD : Sex Shop Wonderland.
L'auteur, Boris Tchechovitch, est à la base illustrateur, spécialisé dans les publications pour enfants. Comme beaucoup d'artistes, il a du mal à joindre les deux bouts et, devant les factures qui s'accumulent, se voit obligé de trouver rapidement un job alimentaire. Il se retrouve alors à postuler pour une place de vendeur dans un "magasin de DVD pour adultes" (qu'il pense naïvement être des films d'horreur) et débarque ainsi dans le merveilleux monde du sexe et de son commerce.
Commence alors le défilé des pervers, des curieux, des gens bizarres ou juste seuls. Et la découverte également des gadgets, multiples, et de certaines spécialités pour le moins... étonnantes.
Ce premier tome de Sex Shop Wonderland (un second est prévu) est une véritable curiosité, au sujet original et au traitement habile. L'auteur parvient en effet à prendre énormément de recul sur un domaine qui pourrait paraître a priori assez scabreux, mais en plus, il retourne la situation et parvient à faire en sorte que la galère dans laquelle il est tombé puisse alimenter son art.
Graphiquement tout d'abord, le style très enfantin et les couleurs pastel ou acidulées permettent de garder une certaine distance avec les sujets les plus glauques. Ce contraste apporte déjà un décalage qui désamorce les pires situations (le nettoyage des cabines de peep-show par exemple). Mais c'est l'écriture, très second degré, qui rend l'ensemble suffisamment drôle et décalé pour ne jamais tomber dans le vulgaire.
Entre les anecdotes assez incroyables, la longue liste des pratiques exotiques (naines, poilues, massage, fat, uro, scato, enceinte, trans, bi, lesbo, éjac, squirt, zoo, teen, fist, exhib, géronto, spank, sodo, voyeur...) et la faune plus ou moins sympathique qui est décrite, l'auteur nous fait pénétrer (ouais non mais, j'ai cherché, il n'y a pas de terme qui n'ait pas de double sens...) un monde méconnu qu'il parvient à dédramatiser tout en conservant un regard aiguisé sur ses travers. Les sujets les plus divers sont abordés (souvent en une ou deux planches), que ce soit les propositions étranges faites par certains clients, le regard extérieur de ceux qui jugent - forcément mal - les employés de ce genre d'établissements, ou même la pédophilie, évoquée avec tact et une grisaille appropriée.
Et bien entendu, une fois passé le temps de la découverte, l'innocent employé de sex-shop se rend compte qu'il fait partie d'une entreprise, avec son chef d'équipe bien
La balade de 46 planches est plutôt
À réserver à un public adulte, curieux et pas obligatoirement branché cul.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
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Publié le
26.4.17
Par
Nolt
Idealo, un comparateur de prix en ligne, a sorti ce mois un communiqué de presse révélant les tendances mesurées sur son site, sur une année, lors d'une étude portant sur les produits dérivés Marvel et DC Comics.
Nous vous en livrons les conclusions.
Tout d'abord, gardons à l'esprit qu'il s'agit d'une étude basée sur les clicks (ou "demandes") des visiteurs du site Idealo. Cela donne donc une tendance significative mais qui n'est pas forcément représentative de l'ensemble des sites commerciaux. De plus, il ne s'agit pas de ventes à proprement parler, bien qu'il y ait forcément un lien entre les clicks sur les pages des produits et leur achat éventuel.
Batman Number One
En ce qui concerne le match des franchises, c'est DC Comics qui l'emporte d'une courte tête face à Marvel (53% des demandes en faveur de la Distinguée Concurrence, contre 47% pour les produits de la Maison des Idées).
L'étude met en avant le rôle moteur de Batman dans cette victoire. Le Dark Knight comptabilise à lui seul 7200 demandes alors que le plus populaire des héros Marvel, Spider-Man, n'en engrange que 3700 sur la même période.
Batman se hisse donc facilement au rang de super-héros le plus populaire (et rentable).
Pour ce qui est de la popularité des personnages, elle est sans surprise chez DC, où l'on retrouve les grosses têtes d'affiche derrière Batman : Superman, Wonder Woman, Flash et le Joker.
Chez Marvel, si l'on a bien Captain America ou Iron Man dans le top 5, l'on constate l'absence de Thor et la présence surprenante de... Groot.
Lego rules !
En ce qui concerne les produits dérivés, ce sont les produits Lego (37,4% des demandes) qui arrivent en tête devant les jeux vidéo (28,9%), les déguisements pour enfants arrivant en troisième position (15,4%). Les figurines ne représentent, elles, que 8% des demandes.
Chez Marvel, le coffret Lego le plus prisé est La mission spatiale dans l'Avenjet. Chez DC, Il s'agit du Cambriolage de la Batcave (un produit à plus de 90 euros tout de même...).
Niveau jeux vidéo, C'est The Amazing Spider-Man 2 qui arrive en tête chez Marvel, alors que DC obtient les meilleurs résultats avec le pack démarrage de Lego Dimensions.
Bien sûr, tout cela ne nous dit rien sur l'essentiel : la vente des comics en France.
Batman semble en tout cas s'imposer comme personnage phare, toutes licences confondues, et donne l'avantage à un DC qui bénéficie aussi, depuis quelques années, de l'excellente politique éditoriale d'Urban Comics, un plus non négligeable après les années de disette Panini.
Publié le
24.4.17
Par
Nolt
La sortie du deuxième tome de L'Équipe Z nous permet de faire le point sur cet excellent manga.
Les clubs de football de Bordeaux viennent d'être rachetés par un milliardaire afin de créer une seule équipe, à l'ambition affichée : le Metropolis Bordeaux Football Club. Deux philosophies s'affrontent déjà au sein de l'organisation. Alors que l'entraîneur principal ne jure que par les résultats, son assistant, le coach Adrien, prône un football "total", plus humain et fondé sur des valeurs communes et un collectif soudé.
La fille du propriétaire du club a alors une idée : laisser Adrien former sa propre sélection de u15 qui affrontera l'équipe A. Les recalés et laissés-pour-compte commencent alors un entraînement intensif. Parmi eux, Hugo, un garçon timide et extrêmement doué, Majid, adolescent turbulent et sûr de lui, Johnny, jeune SDF ayant fui la violence familiale, ou encore l'androgyne Charles-Henry.
Ensemble, ils vont tout tenter pour aller au bout de leur passion...
À la base, je n'aime pas beaucoup le foot et je déteste les livres en français imprimés dans le sens de lecture japonais (je ne reviens pas sur le hold-up intellectuel des éditeurs de manga, cf. l'article Sens interdit pour plus de détails), autant dire que je ne dois clairement pas être dans le public cible. Et pourtant, j'ai passé un bon moment, car non seulement ces deux tomes, bourrés de qualités, sont très agréables à lire mais ils donnent également une vision (certes idéalisée mais fort belle) du football qui rehausse clairement l'image (assez désastreuse) de ce sport.
Le scénario est l'œuvre d'Edmond Tourriol et Daniel Fernandes, les dessins sont signés Albert Carreres.
Commençons par l'aspect graphique. L'ensemble est de grande qualité, les personnages sont tous facilement identifiables, les scènes d'action sont dynamiques et inventives et le découpage clair et efficace. Bien que les auteurs soient européens, les habitués des manga ne se sentiront pas dépaysés et retrouveront notamment les expressions nippones si particulières et exagérées dans certaines scènes. Les bordelais devraient, eux, reconnaître quelques décors.
Si la partie visuelle est impeccable, l'écriture est, elle aussi, très habile. Les personnages ont tous un parcours qui leur est propre et que l'on découvre peu à peu. D'une manière très ludique, les auteurs abordent le traitement de la différence dans la difficile période adolescente. Sans jamais en faire trop, ils évoquent le handicap, la misère sociale ou encore l'ambivalence sexuelle, ainsi que la mise à l'écart qu'ils peuvent engendrer.
Même si l'on a bien entendu droit à des phases de jeu, le football fait plus office de liant et sert à faire passer un message universel résolument optimiste sur l'entraide et le dépassement de soi et de ses conditions.
La lecture est rythmée par des révélations (parfois vraiment surprenantes, notamment dans le tome #2), des confrontations (pas uniquement sur le terrain), des histoires de cœur naissantes et des... éliminations. Car l'intrigue tourne pour le moment autour de la formation de l'équipe. Petit à petit, le groupe se soude alors qu'il se réduit et l'on finit par s'attacher à la petite bande qui gagne en cohésion et en empathie.
Ajoutons à cela un texte d'une qualité exemplaire (pas une seule coquille en vue !) et l'on se retrouve avec une bonne BD, fun et intelligente, qui s'adresse à un lectorat qui va bien au-delà des seuls fans du ballon rond.
Une très bonne série qui, si l'on en juge par sa qualité, devrait compter à l'avenir de nombreux autres opus.
Nouveau : retrouvez maintenant cette série en webtoon sous le nom Z United !
Publié le
24.4.17
Par
Virgul
Les sélections UMAC dans l'actu de la pop culture
-- I, CYBORG --
#bonnesurprise
-- MS ROBOT --
Dans la même thématique, classique et éternelle du rapport de l'homme à la machine, l'adaptation de Ghost in the Shell s'avère assez réussie malgré des écarts monstres (dans la seconde partie notamment) liés à l'obligation d'un long-métrage (côté Hollywoodien oblige). Des interrogations psychologiques parfois bavardes, parfois complexes, du manga originel et des deux films de Mamoru Oshii, il ne reste qu'un enchaînement (prévisible) d'un récit très (trop ?) simplifié. Mais en piochant dans ces sources ainsi que les différentes séries et nombreux OAV, Rupert Sanders s'en sort plutôt bien et Scarlett Johansson est très convaincante. Reste un cast secondaire nettement moins charismatique mais la photographie extrêmement soignée de l'ensemble du film et ses effets spéciaux permettent de passer un agréable moment, n'en déplaisent aux haters puristes. Le public convaincu ne pourra qu'avoir envie de découvrir les animes et les livres, c'est toujours ça de pris.
#LaVeuveNoireModeCoquillage
-- NOSTALGIE FACILE --
La « vraie » suite de Dragon Ball est enfin disponible en manga papier. Dragon Ball Super se déroule juste après la fin du quarante-deuxième tome publié il y a des années. Rappelons que Dragon Ball en livre, c'est « juste » 42 volumes. L'adaptation en dessin animé les a transformés en Dragon Ball (Goku enfant) puis Dragon Ball Z (Goku adulte) avant d'enchaîner sur du gros n'importe quoi (Dragon Ball GT et tout plein d'OAV divers) et rien de finalement vraiment canonique ou adoubé par Akira Toriyama, le créateur du titre.
Dragon Ball Super - Les Guerriers de l'Univers 6 sent bon la nostalgie, reprend les ingrédients qui ont fait le sel de la série : les personnages emblématiques, l'humour léger (et la naïveté de Goku), un tournoi pour savoir qui est le plus fort, etc. Même schéma transposé avec cette fois des Dieux de la Destruction et du multivers (piochant dans l'anime éponyme, qui en est déjà à 86 épisodes). Rien de très original, aucune prise de risque (un peu comme pour l'épisode VII de Star Wars) mais un moment divertissant et agréable. Notons que Toriyama est au scénario et que Toyotaro reprend fidèlement les traits de son mentor. Le dessinateur est le digne héritier du mangaka mais il gagnerait à ajouter un peu plus de détails ou de fonds dans ses cases.
#semi-deception/semi-réussite
-- BATTLE ROYALE SAUCE MARVEL --
Boss de fin, le second et dernier tome de la mini-série Avengers Arena (cf. cet article) achève le concept de Sa Majesté des Mouches pour jeunes super-héros. Au programme : des élèves enlevés dans des écoles pour surdoués, mutants, avengers et tout le tralala sont piégés sur une île et doivent s'entretuer pour survivre. Ce Battle Royale séduit par ses surprises d'écriture mais déçoit d'un simple constat : les super-héros ne sont pas très connus (certains créés exprès pour l'évènement) et génèrent peu d'empathie, à l'exception d'X-23, trônant fièrement en couverture, et de Nico Minoru (cf. Runaways).
Le scénario de Dennis Hopeless est divertissant et non-prévisible à défaut d'être épique et transcendant, les dessins de Kev Walker sont pas des masses réussis. L'ensemble se lit bien mais sans plus, impression mitigée donc. Difficile de comprendre la politique de Panini Comics qui avait publié le premier tome (l'excellent Alliés Mortels) en compilant douze chapitres alors que ce deuxième n'en a que six ! Moitié moins grand, moitié moins cher, mais nettement moins classe dans une bibliothèque là où deux volumes reprenant neuf chapitres auraient été plus logiques, d'autant plus que la composition générale était connue depuis trois ans…
#mieuxqueHungerGamesquandmême
-- HANNIBAL SAUCE FRANCO-BELGE --
Une jeune végétarienne intègre une école vétérinaire et mange de la viande pour la première fois. Obsédé par ce nouveau mets, elle devient peu à peu cannibale. Tel est le résumé, très sommaire, de Grave, réalisé par la française Julia Ducournau. Loin d'un long-métrage d'horreur classique, le film est un étrange mélange des genres : drame touchant sur le passage à l'âge adulte et le bizutage en milieu scolaire, avec de l'humour noir et des scènes gore particulièrement réussies. Grave a été primé et a reçu un accueil critique et public favorable, largement mérité. C'est aussi la révélation d'une actrice, Garance Marillier, lunaire et perdue dans ces multiples mondes.
Tragique et bizarre, ce premier long prometteur inaugure un boulevard des possibles pour la réalisatrice française, qui renouvelle avec brio un genre souvent mésestimé (et raté) dans l'Hexagone.
#NePasOublierLeSacÀVomi
-- LA MUSIQUE NE PREND PAS --
Glénat Comics propose le premier tome (sur trois) de Phonogram, première œuvre commune de Kieron Gillen et Jamie McKelvie, duo à l'origine de The Wicked + The Divine, qu'on avait beaucoup aimé. Usant des mêmes thématiques (récit mi-urbain, mi-fantastique, où des divinités côtoient le monde musical), l'alchimie n'opère hélas pas du tout ici. On n'a même rien compris à l'histoire, ce qui est assez embêtant. Certains diront que le propos est moins accessible, sauf que bien des récits complexes stimulent et donnent envie de relire l'ouvrage une fois terminé pour bien tout comprendre, mais ce n'est pas le cas pour Phonogram. Les tribulations de David Kohl n'émeuvent pas, cet anti-héros est antipathique au possible, un protagoniste le qualifie même de personne la plus agaçante qu'il connaisse, ce qui est bien vrai. C'est le problème principal : on ne s'intéresse pas du tout à cette espèce de sorcier qui navigue maladroitement entre le passé et le présent, sur les cendres de la déesse de la pop Britannia, morte dix ans plus tôt. On ne saisit pas les relations entre les protagonistes et les différents enjeux. L'auteur cite constamment des tonnes de références musicales (période Britpop) mais l'ensemble sonne creux : parsemer un texte de références n'a aucun intérêt si elles ne servent pas le récit. Les leviers narratifs sont artificiels à cause de cela et quelques autres aspects (aucune empathie pour qui que ce soit, incompréhension totale du sujet, zéro fluidité, etc.). Les dessins minimalistes et les tons pastels, ainsi que le bon travail de Glénat niveau bonus, ne sauvent pas cette bande dessinée, qu'on déconseille fortement.
#remboursez
-- DE LA VIE SUR ENCELADE ? --
L'une des lunes de Saturne, Encelade, pourrait bien abriter la vie. C'est ce que la NASA a annoncé il y a peu, rendant ainsi publiques les dernières données issues de la sonde Cassini. Nous savions déjà que le sixième satellite de Saturne (qui en compte... 67) possédait de l'eau à l'état liquide (sous une couche de glace de surface), ce qui a été détecté ici est en fait un panache de vapeur - sorte de geyser provenant d'une fissure dans la couche de glace évoquée plus haut - contenant hydrogène et dioxyde de carbone. La présence de ces éléments est capitale car il s'agit d'une source d'énergie essentielle pour que la vie microbienne puisse se développer dans les profondeurs d'un océan dépourvu d'énergie solaire. Il ne s'agit donc pas encore d'une preuve d'une vie extraterrestre (la sonde n'est pas équipée pour aller farfouiller dans les eaux d'Encelade), mais de la découverte d'une source d'alimentation de la vie. Pour caricaturer et simplifier un peu, après avoir découvert un bon gros fauteuil moelleux (présence d'eau liquide), la NASA vient de mettre la main sur un joli paquet de cacahuètes juste à côté. Reste à savoir si de proches voisins (des organismes probablement très simples tout de même) utilisent ou non l'ensemble.
Si le sujet vous intéresse, voici un lien vous permettant de voir, sous forme graphique, les différents mondes océaniques de notre système solaire, et donc les potentiels candidats à la vie extraterrestre.
Publié le
22.4.17
Par
Nolt
— Si tu avais un anneau de
Green Lantern, tu ferais apparaître quoi ?
— Un Big Mac.
— Quoi ??
— Ben… j’ai faim.
— Mais, tu réalises l’énormité
de l’ânerie que tu viens de proférer ? Je te propose d’utiliser l’un des
artefacts les plus puissants de l’univers, et toi, tu t’en sers pour
matérialiser un sandwich ? Que l’on ne pourra même pas manger en
plus !
— Bah, c’est bon, j’ai pas
réfléchi… tu matérialiserais quoi toi ?
— Samantha Fox.
— En quoi c’est mieux que mon
sandwich ? Elle n’est pas réelle
non plus.
— Réfléchis.
— Ben je vois pas…
— Réfléchis mieux.
— Les machins que l’on fait
apparaitre ne sont pas réels, consistants, OK, mais pas réels, donc on ne peut
pas les manger ni les… ah putain…
— Voilà, tu les bouffes pas,
mais c’est consistant quand même. Tu peux les…
— Oui, oui, j’ai compris.
Alors je choisis Heidi Klum. Et un Boxmaster, parce que je te jure, j’ai la
dalle…
Résolution #20 – concilier
créativité et poésie : failed
Publié le
20.4.17
Par
Nolt
Parfois, le politiquement correct menace l'imaginaire. Voyons pourquoi.
Je crois que les âneries et
pratiques douteuses surgissent à un tel rythme que je n’aurai bientôt plus le
temps de faire un billet pour chacune d’entre elles. Celle d’aujourd’hui me
paraît quand même si dangereuse que je ne pouvais guère la laisser passer en faisant semblant de ne pas la voir.
Par contre, je sens que je
pourrais dire beaucoup de gros mots tellement le sujet m’irrite. Du coup, pour
ne pas verser dans le vulgaire et rester dans le Très Saint Politiquement
Correct, je vais remplacer chaque invective par un élément du tableau
périodique (de manière invariable).
Enfin, s’il y a assez d’éléments. Sinon, on
improvisera.
Je m’excuse auparavant envers
tous les membres de la communauté scientifique qui se sentiront insultés par l’utilisation
que je fais des travaux de Mendeleïev. Je présente également mes excuses à la
famille et aux descendants du célèbre chimiste. Ainsi qu’au peuple russe. Et
aux argon qui ne comprendront rien à ce qui va suivre.
Tout provient d’un article de
Slate.fr sur les détecteurs de « faux
pas » littéraires aux États-Unis. Je vous invite à lire l’ensemble du
texte, assez nuancé tout de même, mais en gros, il s’agit de lecteurs
spécialisés dans un domaine (enfin, un « domaine »… ça peut être un
handicap, une religion, une nationalité, une orientation sexuelle… le domaine d’expertise
peut même être la pauvreté), qui vont lire les manuscrits avant publication
pour indiquer ce qui les choque afin que l’auteur puisse « corriger »
son tir lorsqu’il écrit « hors de son champ d’expérience ».
Wow… mais tungstène de baryum !
Qu’est-ce que c’est que cette manganèse ?!
En gros, cela veut dire que si
vous êtes hétérosexuel, vous n’êtes pas capable en tant qu’auteur de décrire correctement
un personnage gay. Ou si vous êtes athée, ou catholique, vous ne pouvez pas décrire
un personnage juif ou musulman. Ou scientologue.
Prenons un exemple cité dans l’article.
Becky Albertalli a fait relire
son premier jet par 12 experts ! (avec parmi eux, entre autres, des
experts LGBTQ [1], Noirs, coréens-américains, juifs, ainsi que des experts de l’anxiété
et de l’obésité). Et effectivement, cette cadmium a réécrit ses personnages en
conséquence. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de l’énormité et de la
gravité de cette pratique (qui débarquera en France tôt ou tard, surtout vu l’ampleur
que le culte du politiquement correct a pris chez nous [2]).
Cela veut dire qu’il n’est
plus possible, si l’on en croit ces experts et les éditeurs qui les
encouragent, d’écrire hors de son « champ d’expérimentation direct ».
Ou alors, ce sera une écriture sous tutelle. Donc si vous êtes Blanc, athée,
électricien et boulimique, vous pouvez manipuler sans problème des personnages Blancs, athées, électriciens et boulimiques. Pour le reste, ça passe par le
comité de censure. Enfin, les « experts ».
Je n’ai jamais rien entendu d’aussi
flérovium de toute ma vie. Et d’aussi désespérant. Car cela nie le savoir-faire
de l’auteur, réduit sa liberté et condamne les livres à l’uniformisation.
Et tout cela part de deux
idées totalement molybdène, qui supposent que :
1. le lecteur ne doit pas être
blessé/choqué par ce qu’il lit,
2. l’auteur doit refléter non
pas la réalité ou ce qu’il pense, mais uniquement la réalité vue par le prisme
des représentants de certaines communautés, voire de certains marginaux pensant
être les porte-paroles d’une particularité qu’ils confisquent.
Oui, on se rend bien compte
que c’est complètement bismuth.
Tout d’abord, pourquoi diable
le lecteur devrait-il être artificiellement protégé ou conforté dans sa propre
perception ? D’où sort une idée pareille ? On ne lit pas pour se
faire passer de la pommade mais pour expérimenter justement. Pour ressentir. Être
bousculé.
Mais surtout, depuis quand
est-on blessé par une fiction ?
Sommes-nous devenus fragiles à ce point qu’il faille nous protéger des agressions imaginaires ? Oh, les mecs, c’est du lanthane d’imaginaire ! Pas un strontium de documentaire !
Sommes-nous devenus fragiles à ce point qu’il faille nous protéger des agressions imaginaires ? Oh, les mecs, c’est du lanthane d’imaginaire ! Pas un strontium de documentaire !
Ensuite, dans les libertés de
l’auteur, figurent aussi celles de manipuler des clichés, de se tromper, d’écrire
contre le sens des vents dominants, de créer comme il l’entend, cobalt !
Ce diktat des minorités (si tant est que les obèses, les pauvres ou les
victimes de mauvais traitements se sentent proches au point de former une « communauté »)
ne peut être que contre-productif et aboutir à l’inverse de l’effet désiré. Si
un auteur Blanc ne peut plus faire d’un personnage Noir un personnage négatif
sous prétexte qu’il est Blanc (l’auteur), il s’agit donc de… racisme. Et d’apartheid
littéraire. Concept complètement technétium imposé par ceux qui pensent lutter
contre la ségrégation. À force de manipuler des haches trop aiguisées pour élaguer des mots bien innocents, l'on finit souvent par se blesser soi-même.
Les seules limites qui
devraient retenir les plumes des auteurs ne sont pas les minorités, les
frontières, les sujets supposés tabous ou les couleurs, mais le contexte. Et le
contexte se mesure à l’aune de deux éléments : le public visé et la
manière de délivrer un message négatif ou violent.
Prenons un exemple récent avec
le film (une belle hydrogène !) Gangsterdam. Il y a (au moins) deux éléments qui ont
choqué et engendré une polémique. D’une part la mention de « viol cool »,
d’autre part le final, où les personnages s’en sortent en provoquant une relation
sexuelle forcée qui sera filmée.
En aucun cas ces éléments,
pris isolément, ne sont choquants. Un personnage bien vanadium peut très bien
parler de « viol cool » dans une fiction. Le problème vient ici du
contexte. Non seulement le public visé est très jeune (les fans de Kev Adams,
sans avoir fait de sondage au préalable, je suppose que c’est quand même plus
des 10-12 ans que des adolescents ou adultes) mais en plus, les éléments
négatifs sont portés, sans recul, par des personnages positifs. Là, il est
important de faire intervenir la notion de vecteur.
Nous allons prendre un exemple
pour bien comprendre l’importance du vecteur du message (son « support »
disons). Si dans un récit se déroulant pendant la guerre civile américaine, un
auteur fait tenir des propos violents à un négrier, il n’y a rien de choquant.
Car le vecteur (l'esclavagiste) est compris comme un élément non seulement
historique (l’on rend compte d’une situation réelle) mais aussi négatif. Les
éventuels propos insultants sont donc désamorcés par le contexte.
Si par contre un jeune acteur
un peu yttrium oblige un mafieux à sucer un type, filme le tout et se marre à
cette idée, le vecteur ne désamorce rien puisque c’est le héros positif du
récit. Le spectateur (ici en plus des enfants) se prend donc un paquet de praséodyme
dans la tronche.
Est-ce que pour autant un « expert »
serait capable de juger le contexte des propos tenus ? Pas sûr. Et même si
ces fameux « experts » (qui ne sont, rappelons-le, que des gens avec
des étiquettes, rendus « experts » par la grâce de leur situation et
non par leur étude de cette même situation) étaient capables de faire un tel
tri sans se tromper (en jugeant à la fois le passé et la psychologie du
personnage, l’époque du récit, la progression narrative, le public visé, etc.), serait-il
seulement souhaitable de jeter les pires films ou romans à la poubelle ? Car
nous ne mettons pas tous le curseur au même endroit. Si nous devons expurger la
littérature et l’imaginaire en général de tout ce qui est ou paraît sexiste,
raciste, homophobe, osé, incomplet, hasardeux, clivant, approximatif ou
choquant, l’on peut d’ores et déjà faire le deuil de 99% des romans.
Plus de licences poétiques, de
caricatures, d’ironie, de prises de position, d’analogies, de métaphores
scabreuses, de styles rugueux, d’expérimentations, de risques, de tâtonnements,
de diversité dans les pages, juste une fadeur adoubée par les plus pointilleux
et sectaires des pré-lecteurs. Tantale de dubnium, est-ce cela que l’édition
souhaite faire naître en son sein ?
Combien d’œuvres essentielles,
ou seulement agréables, ne verraient pas le jour avec de telles pratiques ?
Le Club serait recalé par un
expert lesbien pour son traitement de Claude.
Quelques experts amérindiens
ou africains feraient sauter deux ou trois albums de Tintin.
Madame Bovary serait
certainement revu par les experts féministes.
The Sopranos refusé par les
experts italo-américains.
Le Dracula de Bram Stoker
serait envoyé au bûcher par les experts souffrant de porphyrie.
Les experts juifs et chauves
récuseront les personnages de Seinfeld.
Quant à un Koontz, vu les clichés qu'il trimballe d'un roman à l'autre, il peut déjà chercher une reconversion.
Quant à un Koontz, vu les clichés qu'il trimballe d'un roman à l'autre, il peut déjà chercher une reconversion.
Et il y aura bien quelqu’un
pour interdire Lovecraft, King ou Shakespeare. Après tout, certains reprochent
déjà à Tolkien son traitement des… orques (une race imaginaire… une carbone de
race imaginaire !).
Il faut bien également se
rendre compte qu’outre la liberté essentielle de faire ce qu’il souhaite de ses
personnages, un auteur construit aussi son style sur ses aspérités, ses faux-pas,
ses tics qui, à un certain niveau de maîtrise, deviennent aussi une signature.
Si l’on cherche à enlever « ce qui ne va pas » dans un texte, on
enlève aussi ce qui fait sa force.
Attention, bien des choses « qui
ne vont pas » objectivement sont à corriger absolument (la syntaxe, les
lourdeurs, les répétitions, le flou non voulu, les invraisemblances, les
sous-intrigues non élucidées, etc.), il faut comprendre ici le « ce qui ne
va pas » au sens de « ce qui choque ». Lisser un texte (une
fiction), ce n’est pas le rendre accessible à tous, c’est le rendre trop commun
pour mériter d’être lu. Lorsque vous lâchez un roman en cours de route, c'est rarement parce qu'il vous retourne l'estomac, mais bien parce qu'il vous ennuit profondément.
Il est impossible d’imposer
aux auteurs les idées, obsessions ou revanches du moment. Parce que la fiction ne sert
pas à modeler la société ou compenser ses tares.
Interdire qu'un élément négatif (ou supposément faux ou imprécis) soit associé à un personnage à cause de la sexualité, les origines, les croyances de ce personnage, ce n’est pas lutter contre les stéréotypes, c’est les renforcer. Une société qui a peur de la fiction admet implicitement qu'elle est trop fragile pour supporter une simple bulle d’imaginaire. Régir l’imaginaire,
c’est admettre une forme d’échec dans la réalité. Puisque l'on ne peut changer le réel, alors sa représentation fictionnelle est mise en cause, quitte à prendre les auteurs pour des roentgenium.
Tant pis si cela peine les
lecteurs, mais les auteurs n’écrivent pas « pour » eux. Ils écrivent « malgré »
eux, malgré le fait qu’ils seront lus. C’est la seule bonne manière de
procéder. Cela peut (doit même) engendrer des déceptions, des grincements de dents, des scandales car c’est la seule manière d’engendrer également du sens, des orgasmes, des pleurs, des rires et des réflexions.
Ces « détecteurs de faux
pas » peuvent aller se faire néodyme.
En passer par exemple par des
nains pour décrire des nains, ou des obèses pour décrire des obèses, ça suppose des choses atroces. Ça suppose
que « nain » ou « obèse » soient des états absolus qui en impliquent des autres, ce qui est
faux. Ça suppose aussi qu’un auteur ne peut pas mettre en scène un inuit s’il n’a
pas un… conseiller inuit ? Ridicule.
Dans le travail de base de l’auteur,
il y a une étape peut-être méconnue qui s’appelle la documentation. Cela permet
de mettre en scène un pilote de ligne sans être soi-même pilote (mais en
sachant tout de même comment se comporte un avion si une partie de l’intrigue
est basée sur ça). Et dans le travail essentiel de l’auteur, il y a la
sublimation. Partir du commun et en faire non forcément de l’or mais quelque
chose sur quoi le lecteur peut s’attarder, réfléchir, se projeter. En manipulant des idées, en tordant des stéréotypes ou même en les renforçant pour les besoins d'une scène, d'une intrigue. On ne construit pas un récit en le nettoyant des "faux pas" de l'auteur, encore moins en tremblant à l'idée de ce que pourrait bien en penser le lectorat.
C’est à l’auteur de secouer le
lecteur, pas aux lecteurs craintifs de lui restreindre son horizon.
Avec deux lignes de l'écriture d'un homme, on peut faire le procès du plus innocent.
Cardinal de Richelieu
L'écriture est le seul espace de liberté absolue.
Nicolas Fargues
Avec deux lignes de l'écriture d'un homme, on peut faire le procès du plus innocent.
Cardinal de Richelieu
L'écriture est le seul espace de liberté absolue.
Nicolas Fargues
[1] LGBTQ : lesbien, gay,
bisexuel, transgenre, queer.
[2] En réalité, cette pratique a déjà commencé, même si elle se passe pour l'instant d'experts autoproclamés, cf. cet album d'Astérix et la polémique qu'il a engendrée.
[2] En réalité, cette pratique a déjà commencé, même si elle se passe pour l'instant d'experts autoproclamés, cf. cet album d'Astérix et la polémique qu'il a engendrée.
Publié le
19.4.17
Par
Vance
Mine de rien, les éditions Delcourt ont peut-être frappé un grand coup en misant sur la nouvelle série de Todd McFarlane & Brian Holguin : après avoir longtemps (et brillamment) collaboré sur la série Spawn, indissociable du premier cité, on les retrouve à la genèse d'une histoire dans l'air du temps, axée sur cette fascination qu'éprouvent les grands auteurs de comic books pour le rapport entre les pouvoirs et la divinité.
L'album intitulé sobrement Le Sauveur reprend les huit premiers épisodes de l'histoire de cet inconnu qui surgit de nulle part au milieu du gigantesque crash d'un Boeing et sauve une jeune fille promise à une mort certaine. Alors que la petite bourgade de Damascus dans l'Iowa s'apprête à pleurer ses morts, une journaliste, une fliquette locale et un jeune délinquant désœuvré se posent des questions sur cet amnésique providentiel. Qui est-il, en effet ? Un super-héros ? Un messie ? Un bon samaritain traumatisé par la catastrophe aérienne ? Un fantasme ? Un souvenir ? Lui-même est en quête d'identité, et d'un sens à sa vie fragmentée, ponctuée de décès et de résurrections... Et au milieu de tout ça, l'Église de la Vérité Divine cherche à remuer les consciences et s'apprête à provoquer une émeute...
La lecture du résumé de la quatrième de couverture semble nous orienter vers ces histoires un brin eschatologiques que Warren Ellis (No hero), Mark Waid (Irrécupérable) ou John Arcudi (A god somewhere) ont rédigées sur la condition et le destin de ces êtres ayant acquis des pouvoirs les plaçant au-dessus (ou au-delà ?) de l'humanité. Flanqué des interrogations subséquentes qui en font la richesse, ces titres avaient su avec plus ou moins de rigueur traiter le sujet de la responsabilité de ces personnages envers l'espèce dont ils étaient issus plutôt que de s'épancher sur les origines de leur incommensurable potentiel.
Tout en abordant des thèmes similaires, Le Sauveur utilise des biais différents, multiplie les points de vue et insiste sur le caractère religieux (ou du moins théologique) de la question. Le "super-héros" en question n'est en soi qu'un gars complètement inconnu (on ne sait même pas s'il était à bord de l'avion qui s'est crashé) qui a préservé une petite fille de la mort. Ce ne sont pas tant ses facultés extraordinaires (dont on ne sait rien, dont on ne voit d'ailleurs - au départ - aucune manifestation) que l'acte lui-même qui suscite les interrogations avant d'engendrer une vague exponentielle de rumeurs : il suffit que le mot "miracle" ait été employé une fois pour que les réseaux sociaux s'en emparent et enflent artificiellement sa portée. S'il y a eu un miracle sur la route de Damascus (puisque les millions de vues sur Internet l'attestent) : c'est qu'il y a un faiseur de miracle. Or, ni la journaliste Cassie (présente sur les lieux du crash), ni l'officier de police Natalie ne paraissent persuadées de ce fait : comme l'affirme cette dernière, le bon Samaritain de Damascus semblait davantage avoir besoin d'être sauvé que d'être un sauveur. Mais de quoi ? En parallèle, Malcolm, lui, est certain que cet étrange personnage n'est rien d'autre que la manifestation d'une réponse divine à sa question existentielle : il quémandait un signe du Ciel afin de prouver l'existence d'une force supérieure à laquelle il pourrait se référer. Il n'en démordra pas : voici le Messie tant attendu. Et si ce dernier refuse de se révéler au monde, il l'y forcera. C'est là sa mission, et ces abrutis illuminés de l'Église de la Vérité Divine ne seront que les vecteurs de sa démarche militante et radicale.
Entre ces questionnements et ces doutes, McFarlane & Holguin insèrent quelques flashes mémoriels, quelques souvenirs fragmentaires, à moins que ce ne soient des cauchemars récurrents : l'homme est une énigme, tant pour lui-même que pour les autres. Il se sait doué de dons inexplicables mais il ne les contrôle pas et, chaque fois qu'il tente de les mettre au service du Bien, les conséquences sont inexplicablement néfastes. Alors il se fait discret et tente depuis des lustres de s'intégrer dans des communautés reculées, au gré de ses errances, cherchant à ne pas oublier le peu qu'il sait de lui. Et à trouver du sens à ce qu'il est.
Sans être révolutionnaire, l'album interpelle dans son traitement, mettant le doute en exergue en misant sur les fausses vérités véhiculées sur le net et la fragilité de la mémoire. Le lecteur se retrouve ainsi tiraillé entre son envie irrépressible de croire en ce qui est possible (oui, cet individu est doué de pouvoirs divins ; oui, il est peut-être une manifestation cosmique ou une transcendance qui bouleversera le sort de l'Humanité) et se contenter de ce qui est établi (par les enquêtes conjointes de la journaliste et des spécialistes de la DARPA - Defense Advanced Research Project Agency - ou les témoignages recueillis par les policiers). Entretemps, il pourra profiter du travail graphique somptueux d'un grand Clayton Crain qui se permet le luxe d'insister sur des détails physiques ou vestimentaires afin de nous permettre de nous retrouver dans cette galerie de personnages dont on sait que chacun aura un rôle crucial à jouer. Le texte non linéaire, très peu mouvementé (il n'y a pas vraiment d'action à proprement parler), commençant quasiment par la fin et revenant en permanence sur des moments dispersés dans le temps, achève de nous plonger dans la perplexité et l'expectative puisqu'il se conclut sur un happening aussi attendu que révélateur. Une suite est évidemment nécessaire, tant pour calmer nos ardeurs impatientes que pour confirmer qu'on tient là une pépite.
Prometteur, donc.
L'album intitulé sobrement Le Sauveur reprend les huit premiers épisodes de l'histoire de cet inconnu qui surgit de nulle part au milieu du gigantesque crash d'un Boeing et sauve une jeune fille promise à une mort certaine. Alors que la petite bourgade de Damascus dans l'Iowa s'apprête à pleurer ses morts, une journaliste, une fliquette locale et un jeune délinquant désœuvré se posent des questions sur cet amnésique providentiel. Qui est-il, en effet ? Un super-héros ? Un messie ? Un bon samaritain traumatisé par la catastrophe aérienne ? Un fantasme ? Un souvenir ? Lui-même est en quête d'identité, et d'un sens à sa vie fragmentée, ponctuée de décès et de résurrections... Et au milieu de tout ça, l'Église de la Vérité Divine cherche à remuer les consciences et s'apprête à provoquer une émeute...
La lecture du résumé de la quatrième de couverture semble nous orienter vers ces histoires un brin eschatologiques que Warren Ellis (No hero), Mark Waid (Irrécupérable) ou John Arcudi (A god somewhere) ont rédigées sur la condition et le destin de ces êtres ayant acquis des pouvoirs les plaçant au-dessus (ou au-delà ?) de l'humanité. Flanqué des interrogations subséquentes qui en font la richesse, ces titres avaient su avec plus ou moins de rigueur traiter le sujet de la responsabilité de ces personnages envers l'espèce dont ils étaient issus plutôt que de s'épancher sur les origines de leur incommensurable potentiel.
Tout en abordant des thèmes similaires, Le Sauveur utilise des biais différents, multiplie les points de vue et insiste sur le caractère religieux (ou du moins théologique) de la question. Le "super-héros" en question n'est en soi qu'un gars complètement inconnu (on ne sait même pas s'il était à bord de l'avion qui s'est crashé) qui a préservé une petite fille de la mort. Ce ne sont pas tant ses facultés extraordinaires (dont on ne sait rien, dont on ne voit d'ailleurs - au départ - aucune manifestation) que l'acte lui-même qui suscite les interrogations avant d'engendrer une vague exponentielle de rumeurs : il suffit que le mot "miracle" ait été employé une fois pour que les réseaux sociaux s'en emparent et enflent artificiellement sa portée. S'il y a eu un miracle sur la route de Damascus (puisque les millions de vues sur Internet l'attestent) : c'est qu'il y a un faiseur de miracle. Or, ni la journaliste Cassie (présente sur les lieux du crash), ni l'officier de police Natalie ne paraissent persuadées de ce fait : comme l'affirme cette dernière, le bon Samaritain de Damascus semblait davantage avoir besoin d'être sauvé que d'être un sauveur. Mais de quoi ? En parallèle, Malcolm, lui, est certain que cet étrange personnage n'est rien d'autre que la manifestation d'une réponse divine à sa question existentielle : il quémandait un signe du Ciel afin de prouver l'existence d'une force supérieure à laquelle il pourrait se référer. Il n'en démordra pas : voici le Messie tant attendu. Et si ce dernier refuse de se révéler au monde, il l'y forcera. C'est là sa mission, et ces abrutis illuminés de l'Église de la Vérité Divine ne seront que les vecteurs de sa démarche militante et radicale.
Entre ces questionnements et ces doutes, McFarlane & Holguin insèrent quelques flashes mémoriels, quelques souvenirs fragmentaires, à moins que ce ne soient des cauchemars récurrents : l'homme est une énigme, tant pour lui-même que pour les autres. Il se sait doué de dons inexplicables mais il ne les contrôle pas et, chaque fois qu'il tente de les mettre au service du Bien, les conséquences sont inexplicablement néfastes. Alors il se fait discret et tente depuis des lustres de s'intégrer dans des communautés reculées, au gré de ses errances, cherchant à ne pas oublier le peu qu'il sait de lui. Et à trouver du sens à ce qu'il est.
Sans être révolutionnaire, l'album interpelle dans son traitement, mettant le doute en exergue en misant sur les fausses vérités véhiculées sur le net et la fragilité de la mémoire. Le lecteur se retrouve ainsi tiraillé entre son envie irrépressible de croire en ce qui est possible (oui, cet individu est doué de pouvoirs divins ; oui, il est peut-être une manifestation cosmique ou une transcendance qui bouleversera le sort de l'Humanité) et se contenter de ce qui est établi (par les enquêtes conjointes de la journaliste et des spécialistes de la DARPA - Defense Advanced Research Project Agency - ou les témoignages recueillis par les policiers). Entretemps, il pourra profiter du travail graphique somptueux d'un grand Clayton Crain qui se permet le luxe d'insister sur des détails physiques ou vestimentaires afin de nous permettre de nous retrouver dans cette galerie de personnages dont on sait que chacun aura un rôle crucial à jouer. Le texte non linéaire, très peu mouvementé (il n'y a pas vraiment d'action à proprement parler), commençant quasiment par la fin et revenant en permanence sur des moments dispersés dans le temps, achève de nous plonger dans la perplexité et l'expectative puisqu'il se conclut sur un happening aussi attendu que révélateur. Une suite est évidemment nécessaire, tant pour calmer nos ardeurs impatientes que pour confirmer qu'on tient là une pépite.
Prometteur, donc.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
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Publié le
17.4.17
Par
Vance
Sous ce titre ô combien référentiel et péremptoire se cache en fait un recueil de trois nouvelles de Pierre STOLZE, trois nouvelles assez longues de cet auteur né à Metz qui ne se prive pas de situer ses récits dans notre belle région lorraine et, plus précisément, dans un secteur compris entre Metz et Thionville, ce sillon mosellan à l'histoire plusieurs fois millénaire et qui fut fortement impacté par l'abandon irrémédiable des industries lourdes.
Stolze, professeur de Lettres classiques semble écrire de la SF
pour s’amuser ; en tous cas, dans ces nouvelles, il est évident qu’il
prend un plaisir non dissimulé à jouer avec les mots et à étaler avec brio sa
grande culture par le biais d’expressions imagées et populaires, de références
culturelles et de citations savantes. Ses personnages principaux, narrateurs
acerbes et volubiles, apparaissent bien souvent comme des extensions de
lui-même et les dialogues sont empreints d’un humour bon enfant et éclairé,
malgré la longueur de nombreuses tournures et la richesse d’un vocabulaire
encyclopédique, autant de fioritures chargées sur une structure narrative
finalement très simple. Pour ainsi dire, la première nouvelle (Élucidation du
Gouzipanpan), charmante, est presque comique.
Pourtant, l'auteur messin ne prend pas la science-fiction à la légère : constamment, au-delà de ses mots, on perçoit un amour respectueux envers ce genre trop longtemps marginalisé en France. La douce folie qui baigne ses phrases paraît ainsi comme une sorte de manifeste pour défendre les littératures de l'Imaginaire.
Du coup, pour peu qu'on adhère à son style malicieux et un peu bavard, bourré
d’aphorismes et d’allitérations, on se prend à suivre avec intérêt les
mésaventures des deux déménageurs dans la seconde nouvelle, avec cette
association mystérieuse d’intellectuels rappelant, en plus léger, ceux qui
président à la naissance du Rosemary’s baby (le film de Polanski ou le roman d'Ira Levin). La dernière, qui donne son titre
au recueil, est encore davantage chargée de références et d’hommages (Edgar Poe, bien
sûr, mais aussi Corneille – le narrateur se nomme Rodrigue et sa fiancée
Ximena - ou encore Borges) tout en s'aventurant dans le monde mystérieux des fractales et en se plongeant carrément dans l’ésotérisme. Toutes trois ont en commun
non seulement de trouver comme point d’ancrage géographique les quartiers
bourgeois de Thionville, les vieilles rues de Metz et l’inquiétante présence de
la centrale nucléaire de Cattenom, mais aussi et comme en parallèle cosmique,
certaines constellations comme Cassiopée ou la chevelure de Bérénice, la
nébuleuse d’Andromède et l’étoile Aldébaran.
Tous ces détails et références pourraient faire fuir ceux que la hard science [1] rebute. Ce serait un mauvais réflexe : on est moins ici dans la SF pure et dure que dans une sorte
de fantastique quotidien, entre Jean-Pierre Andrevon et Daniel Walther, mais sans aucun
caractère inquiétant, sans rechercher les coups de théâtre et révélations
finales (les explications, lorsqu’elles sont fournies, sont brumeuses et
insatisfaisantes). On a parfois l'impression de lire des versions longues de nouvelles de Dino Buzzati. A la frontière entre le merveilleux (il y a des dragons !) et la dark
fantasy ou l’anticipation, avec des préoccupations très actuelles (le
nucléaire, bien entendu, mais aussi l’écologie, l’éducation et certaines
valeurs galvaudées comme la bienséance) et un goût immodéré pour les mots,
Pierre Stolze n’hésite pas à dénicher des synonymes improbables pour en
constituer des litanies parfois indigestes, quoique proférées avec ô combien de
générosité !
[1] hard science : sous-genre de la SF mettant en avant la plausibilité scientifique des faits avancés en s'appuyant autant que possible sur l'état des connaissances contemporain à l'écriture. Cela donne des récits détaillés dans lesquels les progrès technologiques, minutieusement décrits ou extrapolés, ont tendance à étouffer les personnages (cf. Larry Niven, Greg Egan ou Arthur C. Clarke).
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
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Publié le
12.4.17
Par
Vance
Thorgal est une série qui, mine de rien, fête ses 40 ans. En effet, les toutes premières aventures du Viking-poète-fils-des-étoiles ont été publiées dans le Journal de Tintin dès 1977. Il était normal donc de se pencher sur la Magicienne trahie, premier album de la longue série, édité en 1980 par Le Lombard, dans le cadre de notre nouvelle rubrique "First Look".
Qu'est-ce qui a fait le succès sur quatre décennies de cette saga ? Sans doute ce syncrétisme particulier, cher à Jean Van Hamme, entre plusieurs genres et styles. On ne présente plus le talent à géométrie variable de cet auteur bruxellois qui a accumulé les honneurs dans tous les domaines de l'écriture : plusieurs fois lauréat du meilleur scénario de BD et notamment pour Thorgal mais aussi pour l'universellement renommé XIII, il a également été titré dans le cadre de la littérature dramatique et a rédigé des scripts pour le cinéma et la télévision. Sans doute aussi grâce à l'acuité et la beauté formelle du trait de Grzegorz Rosinski, graphiste émigré de Pologne et très justement récompensé de nombreux prix du meilleur dessin (rien que pour Thorgal, en 1983 le Grand Prix Saint-Michel, en 1987 l'Athis d'Or).
Pourtant, si les artistes ont tenu l'univers de Thorgal à bout de bras pendant près de trente ans (d'autres ont depuis peu pris le relais tant sur la série principale que sur les dérivées), c'est bien l'univers dense et fabuleux qui a plu aux lecteurs, ainsi que cette incarnation d'un héros terriblement séduisant malgré (ou à cause de ?) ses rares failles. Dès le départ, ce dernier nous est présenté comme un "bâtard", mis au ban de la société des Vikings du Nord que dirige Gandalf-le-Fou. Le décor est planté (les
contrées glacées des terres septentrionales, quelque part vers le Haut Moyen-Age), les personnages principaux dévoilés (mais on ne sait pas grand chose
d'eux), la magie présente (des objets mystiques et des créatures liés à la mythologie scandinave)
et l'on comprendra assez vite le mystère entourant les origines du héros, gaillard séduisant par sa bravoure et son sens du devoir, poète dans l'âme mais
guerrier par nécessité.
L'histoire commence avec le roi Gandalf enchaînant Thorgal à "l'Anneau des Sacrifiés", coupable d'avoir aimé sa fille Aaricia. Avant de l'abandonner à son sort et à la marée qui finira par l'engloutir, un accès de colère lui fera balafrer le visage de Thorgal, cette balafre qui sera pour le lecteur, plus tard, le signe de reconnaissance du héros. Mais Thorgal ne mourra pas, évidemment : c'est Slive, une grande rousse borgne flanquée d'un loup, qui viendra le sauver, en échange d'un an de sa vie à son service. Une offre que notre bâtard ne peut refuser, trop heureux de pouvoir ultérieurement retrouver sa bien-aimée et, accessoirement, prendre sa revanche sur Gandalf. La vengeance est également le moteur des intentions de Slive, laquelle envoie Thorgal récupérer, dans un coffret gardé par deux monstres, les objets qui lui permettront de l'exercer. Il y parviendra, non sans mal, ce qui permettra de montrer aux lecteurs une parcelle de ses capacités.
Le récit avance vite, les péripéties s'enchaînent (Slive parvient à se venger de Gandalf et l'emmène en captivité mais tombe dans un guet-apens qui permet au roi fou de s'échapper, quoique blessé). On se retrouve automatiquement frustré, d'autant que l'histoire s'achève si vite qu'il en faille une autre pour emplir l'album, une sorte de nouvelle fantastique sur le thème de la vallée perdue et hors du temps. Thorgal est encore en devenir mais on apprécie déjà le personnage, tout comme le trait précis et fluide de Rosinski, déjà assez proche de son summum (qu'il atteindra moins de dix ans plus tard avec la saga du Pays Qâ). Le découpage est efficace et on apprécie la grâce implacable des mouvements dans les rares situations de combat, ainsi que l'intensité des regards. Les visages n'ont toutefois pas encore cette méticulosité qui frappera l'œil du lecteur dans les futurs albums, les paysages manquent de relief et la colorisation s'avère perfectible. Enfin, le lettrage demeure le point faible de l'album avec des phylactères mal définis, surtout dans les premières pages, et des lettres manquant de rigueur et de régularité, sans toutefois comporter de coquilles gênantes - cela va d'ailleurs en s'améliorant.
La Magicienne trahie, on s'en doute, n'est pas le meilleur épisode de la série, loin s'en faut. C'est de l'heroic-fantasy légère avec un background encore mal dégrossi : si le second récit, Presque le paradis..., nous évoque les alentours de l'an mille, l'historien amateur, au fil des aventures épiques de Thorgal, y verra plutôt de nombreuses allusions à des événements et personnages des VIIe et VIIIe siècles. On est loin des Vikings entreprenants et sauvages de la série TV éponyme et on n'aura jamais la moindre allusion aux royaumes britanniques ou à celui des Francs (bien que Brek-Zarith pourrait se situer en Écosse et que les derniers volumes semblent parler d'un empereur occidental ressemblant à Charlemagne). Cependant l'irruption d'éléments de SF dans la saga, et très tôt, conduit à définir un univers autrement plus vaste que celui conscrit aux fjords nordiques : oui, oui, il y aura aussi des vaisseaux spatiaux, des pistolasers et même des voyages temporels ! Une série à nulle autre pareille, d'une richesse insensée, qui commencera vraiment à se dévoiler dans le déjà excellent les Trois Vieillards du Pays d'Aran (le tome 3 de la série).
Les points positifs | - | Les points négatifs |
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