Réflexion sur un droit fondamental
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J'aimerais revenir aujourd'hui sur une anecdote, somme toute banale, mais dont je vais me servir pour élargir un peu mon propos à la nécessaire (et encore réelle) liberté des auteurs.

Il y a quelques semaines, j'ai posté sur la page facebook UMAC une image tirée de The Gutter, la BD dont Sergio Yolfa et moi-même sommes les auteurs. C'était une simple "pub", basée sur l'illustration de quatrième de couverture, montrant divers personnages.
La voici.



Alors, suite à ça, nous avons eu plutôt des réactions positives. Quelques dizaines de likes, et, sur plus de 3500 personnes ayant vu apparaître ce dessin, une seule réaction à la fois hostile et idiote. Mais une réaction si représentative de certaines dérives qu'il est intéressant de la commenter (ce que je n'ai pas pu faire en direct, l'individu ayant été banni aussitôt, ce qui est très bien, c'est une règle que j'ai instaurée moi-même : "si pas d'arguments valides, ça gicle !", mais du coup, je ne suis pas toujours au courant de tout en temps réel).

L'internaute laisse à l'époque (courant juillet) ce message : "Dommage qu'il faille que la seule femme de l'illustration soit nue..."
C'est court comme message, mais ça contient un max de conneries.
On va détailler ça.

1. Ce n'est pas la seule femme.
2. Elle n'est pas nue.
On peut déjà faire une pause à ce stade. Le but implicite du post de cet internaute, c'est bien entendu de faire passer l'idée que ce dessin est misogyne. Pour cela, il se base sur des sophismes et des inventions. Les deux affirmations sont fausses. Il y a une autre femme sur ce dessin, et Wonder Woman n'est pas nue.

3. Wonder Woman n'est pas la seule dans cette tenue.
Spider-Man et Hulk ne sont pas plus habillés qu'elle. Il n'y a donc aucune raison de supposer que sa tenue est basée sur son sexe.

4. La tenue légère est justifiée par un contexte explicite.
Le fait que certains personnages soient légèrement déshabillés (et non nus) se justifie par le fait qu'ils jouent au strip poker, ce qui est immédiatement décelable. Là encore, contrairement à ce qui est avancé, le fait que Wonder Woman soit légèrement vêtue ne vient pas du fait qu'elle serait la seule femme parmi un groupe d'hommes, mais juste du fait qu'elle perd à un jeu, tout comme Peter Parker, à côté d'elle.

5. Une partie d'un travail est implicitement mis en cause pour des raisons qui n'ont rien à voir avec son propos véritable.
Tout le propos de The Gutter, bande dessinée parodique ayant un certain recul sur les pratiques constatées chez les grands éditeurs de comics, vise justement à se moquer (gentiment, et sans leçons de morale) de certains "tics", comme la résurrection systématique des héros ou, justement, les tenues très sexy des héroïnes.
Si l'auteur du commentaire s'était intéressé ne serait-ce que deux minutes à ce qu'il commentait, il aurait suivi le lien accompagnant l'image et aurait pu découvrir les planches (présentes ici) de l'épisode Pretty Women, qui évoque, avec une certaine bienveillance, la propension des éditeurs de comics à représenter leurs héroïnes comme des nanas très bien gaulées dans des tenues moulantes.
D'ailleurs, à l'époque, la coloriste de The Gutter, qui avait posté sur l'un de ses réseaux sociaux son travail (que l'on peut voir sur les planches évoquées ci-dessus, rien à voir avec l'illustration de quatrième de couverture), sans le texte de la BD, avait obtenu quelques commentaires acerbes, du genre "ça te dérange pas ces nanas avec des gros nibards ?", etc.
Et oui, quand on ne prend pas la peine de s'intéresser à ce que l'on condamne, on a de grandes chances de dire des conneries. C'est cependant un biais très connu : les gens ne prennent pas la peine de vérifier ce qu'ils pensent reconnaître comme allant dans le sens de leurs idées préconçues.

6. Malgré tout, si l'internaute avait eu raison, il est important que les auteurs ne soient pas soumis à ce genre de pression liberticide.
Même si tout était vrai... imaginons que Wonder Woman soit la seule femme, qu'elle soit réellement nue, qu'elle soit nue uniquement parce que c'est une femme, qu'elle soit la seule dans ce cas, que rien dans le reste de la BD ne justifie cette situation... et après ?
Cela permettrait, à un parfait inconnu, de venir condamner des auteurs juste parce qu'il n'apprécie pas leur travail et qu'il ne rentre pas dans le carcan de ses critères subjectifs personnels ?
Ben non, tout cela ne semble pas être une bonne raison, lorsque l'on est auteur, pour reculer et frissonner. C'est même une raison suffisante pour résister et distribuer des baffes.
N'oublions pas non plus que tous ces brillants "humanistes" du net ne défendent jamais réellement quelqu'un (ici, il s'agit du dessin d'un personnage imaginaire), ils essaient simplement de contrôler ce que vous faites, ce que vous dites et même ce que vous pensez. Leur but n'est pas la justice mais le contrôle. Et si vous ne rentrez pas dans le rang, la tactique de tout extrémiste, puisqu'il ne peut l'emporter sur le terrain des faits, sera de nier votre existence, votre droit à la parole (en vous accusant de tout et son contraire, suivant les dogmes et modes du moment, si par exemple vous êtes "sexiste", alors, vous n'êtes déjà plus un citoyen comme les autres, mais un "déviant", peu importe que vous soyez réellement misogyne ou pas).

7. Je précise que cette position anti-censure ou anti-bien-pensant n'est en rien contradictoire avec ma condamnation, sans réserve, de l'ouvrage pédopornographique Petit Paul (cf. cet article).
Pourquoi ? Quelle est la différence ?
Eh bien, elle est tout simplement légale. Il est interdit en France de représenter des enfants dans des scènes pornographiques. Et franchement, j'estime que cela relève plus du bon sens que de la censure, mais même sans faire appel à une morale relativement évidente, l'on comprend que la représentation de Wonder Woman, dans The Gutter, n'a rien d'illégal. Si ça choque certains, ben... tant pis, ou tant mieux, je m'en fiche un peu, mais nous ne violons aucune loi. Ce personnage pourrait bien être entièrement à poil que nous serions toujours dans la légalité.

Passons sur cet exemple particulier et tentons d'élargir maintenant le propos.

Écrire, dans le sens "raconter une histoire à la manière d’un conteur", n’est pas un acte anodin. Ce travail demande des compétences et, même si de nos jours beaucoup d’auteurs et éditeurs amateurs improvisent avec maladresse, nous avons encore en France quelques maisons d’édition sérieuses et quelques plumes habiles.
Écrire est avant tout un travail reposant, comme tout travail, sur des techniques. Je suis souvent revenu sur cet aspect (cf. cet article), parfois négligé ou méconnu. Mais écrire, c’est aussi prendre des risques. Celui de déplaire, d’être jugé, de blesser même peut-être. Cela fait partie du job et en constitue même l’essence.

Un chat nazi, ce n'est pas juste un chat que l'on accuse
d'être nazi, il faut apporter comme preuve des
 éléments spécifiques au nazisme lui étant liés,
 sinon, c'est juste un argument non valide.
Rares sont les auteurs qui plaisent à tout le monde. Même ceux qui essaient en restant fades. Même ceux qui ont un talent certain. Mais plus que simplement ne pas plaire, certains auteurs parviennent, parfois bien malgré eux, à déchaîner des passions et des polémiques.
L’accusation de racisme avancée même à l’occasion de la sortie d'un album d’Astérix est un exemple parfait de l’étendue de la médisance qui peut frapper n’importe quelle œuvre, même la plus innocente (car enfin, si Astérix est raciste, alors toute la production française l’est).

Il convient ici de faire un distinguo important entre le droit à la critique et l’attaque diffamatoire qui vise à nuire aux auteurs ou à tenter de les effrayer. Une œuvre artistique peut se juger, s’analyser, l’on peut s’enthousiasmer ou au contraire dénoncer ce qui nous semble maladroit ou inintéressant, mais s’en prendre à des auteurs en raison de l’idéologie du moment est indigne. 
Indigne et dangereux.

Peu importe la raison pour laquelle l’on condamne et gesticule, la traque de ceux qui ne pensent pas dans la norme ou s'affranchissent du carcan du moment conduit à une vision totalitaire et sclérosée de l’écriture.
Toutes les dérives extrémistes, qu'elles proviennent d'un régime d’état ou de factions plus marginales, s’en sont toujours pris, dans l’Histoire, partout dans le monde, aux Mots et au Papier. Les nazis brûlaient des livres, les islamistes font perdurer la même pratique (plusieurs milliers de livres sont partis en fumée il n'y a pas si longtemps à Mossoul). Si le livre est aussi maltraité par ceux qui n’acceptent aucune remise en cause de leurs certitudes, c’est parce qu’il demeure l’unique endroit où l’on peut construire un raisonnement argumenté.

Ce n’est en effet pas à la télévision que l’on va pouvoir expliquer une théorie nécessitant plus de deux minutes d’explications. L’on sait bien le culte que voue ce medium au rythme saccadé et à la phrase courte. Internet ne peut guère jouer le rôle de medium alternatif, ne serait-ce que parce que les rares textes valables qui y sont postés sont noyés dans un océan de conneries (et que ce sont ces mêmes conneries qui sont reprises et valorisées par la télévision, medium-roi qui fait et défait les starlettes au gré de ses modes). Et puis, le net est volatil. Ce qui y est écrit se modifie aisément.

Le livre reste à l’opposé une valeur sûre, permettant de prendre le temps de la démonstration et fixant sur le papier une réflexion construite. L’on pourrait croire que seuls les livres considérés comme "sérieux", les pamphlets et autres traités de philosophie, font peur, mais la fiction elle aussi a toujours terrorisé les bien-pensants, les fanatiques et les extrémistes de tout bord.
Parce qu’elle est une forme de liberté totale, fondamentale et enivrante.

Il m'est arrivé, parfois, dans un élan enthousiaste, de dire "qu'écrire c’est insulter". Ce n’est évidemment qu’un raccourci. Il ne s’agit pas de balancer deux gros mots à la face d’un cuistre ou d’un margoulin. Non, cette insulte est plus subtile, plus violente aussi.
Ce que l’auteur véritable insulte en écrivant, ce sont nos habitudes, nos certitudes, notre confort ronronnant, notre passivité, notre renoncement. La fiction peut déranger, elle devrait même toujours déranger quelque chose en nous. Ce n’est pas grave car il s’agit d’une baffe virtuelle, d’un coup de pied au cul qui ne laisse pas de marques sur nos fragiles postérieurs, habitués à se prélasser sur des coussins trop mous.

Mais dans notre société actuelle, où règnent le "buzz" facile, la fausse polémique et le culte de la frilosité, il devient de plus en plus difficile de conserver cette capacité à déranger et activer les neurones engourdis. Surtout lorsque l’on s’en prend aux publications les plus innocentes en leur prêtant des intentions qui ne sont pas les leurs.
Si un accent ou le dessin de simples lèvres peuvent déjà faire lever les boucliers de certains nigauds, qu’en sera-t-il des futures publications, plus engagées, moins fédératrices ?

L’on a reproché à Hergé d’être raciste, accusations qui ont touché aussi Tolkien, Lovecraft, Peyo (les Schtroumpfs Noirs, une métaphore sur la pureté raciale ?? arf…), maintenant les auteurs d’Astérix, même le Kaamelott d'Astier a été jugé par certains "oppressif", demain sans doute portera-t-on les mêmes soupçons stupides sur d’autres plumes, d’autres crayons. Cela pourrait être risible si cela n’installait pas une ambiance malsaine qui pèse forcément sur les auteurs mais aussi les éditeurs, certainement pas à la recherche d’une si absurde publicité.
Cela va si loin qu'un youtubeur populaire et spécialisé en astronomie, domaine qui me passionne, a très récemment imité un accent russe dans l'une de ses vidéos (qui parlait des Soyouz), pour aussitôt dire "oui, c'était raciste", afin de "désamorcer" le truc. Ben non, imiter un accent, ce n'est pas raciste, ça n'implique aucune hiérarchisation entre les races (là, il ne s'agit même pas d'une race en plus), et ça n'implique pas plus un a priori négatif concernant l'imité.

Si l’on traque le "crimepensée" même dans des ouvrages où il est bien difficile de le déceler, qu’adviendra-t-il des romans ou BD qui osent vraiment s’affranchir des codes du soi-disant bon goût et des idées dominantes ?
Attention, il ne s’agit pas de réclamer un chèque en blanc ou une irresponsabilité totale. Si demain un auteur défendait l'idée qu’un Noir est inférieur de par sa naissance à un Blanc, je m’en offusquerais. Parce que je crois sincèrement que l’on est le produit de son environnement et que les gens doivent se juger sur ce qu’ils font, non ce qu’ils sont. Mais, au nom de ce principe noble qui tend à considérer chaque individu sur sa valeur personnelle et non sa couleur ou son origine, je me refuse à hurler avec la meute lorsqu’un Noir est caricaturé dans une BD dont le principe est de caricaturer tous les peuples (Anglais, Corses, etc.).

Ce lent glissement sociétal qui touche tous les domaines culturels, économiques et judiciaires nous conduit, si nous continuons à l’accepter, à un totalitarisme qui n’a rien à envier à ceux que nous avons combattus ou que nous combattons encore. Et parce qu’il avance masqué, se réclamant de valeurs en apparence nobles, il s’avère d’une dangerosité incomparable. En effet, quand un extrémiste vous disait que vous n’aviez pas la bonne religion ou la bonne couleur de peau, il était facile de démonter son raisonnement. Quand un fanatique religieux vous propose de fermer votre gueule parce que c’est lui qui a raison, sous prétexte que c’est marqué dans son guide du routard personnel, là encore, la parade est aisée. Mais lorsqu’un putain de taré vient vous emmerder au nom de la liberté, de la tolérance et de l’antiracisme, comment faire face ? Eh bien c’est tout de même possible.

Tout d’abord, le jeu sur les termes, visant à dédramatiser et cacher l’action véritable, c’est un peu connu. Le ministère de l’Amour, dans 1984, ne s’occupe guère de la chose amoureuse, mais même dans notre réalité, le ministère de la Guerre est devenu celui de la Défense. Parce que la guerre c’est caca, mais se défendre est un droit.
Le glissement sémantique tend à remplacer la réalité par un symbole qui tiendra lieu de forteresse imprenable visant à supprimer l’idée de débat ou la possibilité de remise en cause. Imposer une censure directe à un auteur est compliqué, mais critiquer un auteur au nom de l’antiracisme par exemple revient à sortir une carte "gentil" de sa manche, ce qui permet tous les excès (comme dans l'exemple visant les auteurs d'Astérix).

Les mots, ça coupe. S'ils sont mal aiguisés et maîtrisés,
 ils font encore plus mal et charcutent n'importe qui. 
Il est donc important de bien comprendre le sens des mots et les valeurs qu’ils recouvrent.
La tolérance par exemple n’est pas un absolu. Ça ne veut rien dire, c’est de la novlangue moderne. Tolérer, c’est par définition accepter quelque chose que l’on serait en droit de refuser. Et il est des comportements intolérables. Être tolérant n'est pas une qualité en soi. On peut être tolérant et être un vrai con (en tolérant la violence envers les femmes) et l’on peut avoir des principes rigides et être respectable voire généreux.

En plus de ne pas se laisser abuser par des termes fallacieux, il est urgent et nécessaire d’affirmer une liberté d’auteur tout aussi noble et essentielle que celle de la presse (malgré sa dérive actuelle).
Ce n’est pas parce que les journaleux (la majorité en tout cas, mes excuses aux Résistants) ont depuis longtemps accepté de plier la réalité aux exigences de la pub et de la bien-pensance, en aseptisant les faits, tordant les mots ou cédant au "putaclick", que la fiction doit suivre le même chemin. Car le pire des totalitarismes est certainement celui qui s’insinue dans le Papier pour lui imposer des règles absurdes.

Il m’arrive souvent de lire des romans ou BD de mauvaise qualité. Et même des œuvres pas trop mal foutues au niveau de la forme mais ennuyeuses sur le fond. Il peut m’arriver d’être blessé parfois. D’être énervé. Il m’arrive de ne pas terminer la lecture d’un livre parce que je juge que c’est une perte de temps. Mais il m’arrive aussi d’être émerveillé. D’être tiré vers le haut. D’être étonné, d’apprendre, de douter, de frissonner… d’être heureux même, en lisant.
Et tout cela, ce n’est possible que parce certains maintiennent encore, difficilement, des portes ouvertes alors que des tas de gens, menaçants, hurlent qu’il faut les fermer au nom d’opinions qui ne concernent qu’une minorité et certainement pas les auteurs et éditeurs.
Non, caricaturer un Noir dans Asterix ou ailleurs n’est pas raciste, surtout lorsque l’on caricature cinquante Blancs à côté. Et non, montrer un personnage imaginaire un peu déshabillé, ce n'est en rien misogyne. Ce qui serait raciste, c’est d’admettre qu’un Noir ne sera jamais un "gentil", un héros. Ou qu'une femme ne peut être représentée autrement que faiblement vêtue. Et je ne vois aucun auteur tenir de tels propos. 
Ne laissons pas les accusations puantes et stupides devenir banales. Elles sont le terreau nauséabond qui permet aux pires fanatiques, aux pires censeurs, de croître et de croire que leur futur passage à l’acte est légitime.

Le Papier peut se corner, se déchirer, jaunir même, mais entre les mains de bons auteurs, il ne plie pas facilement. 

Prenons un exemple aisément compréhensible. Si vous êtes enfermé dans une prison, vous n'êtes pas libre. Si vous êtes en dehors de la prison, sans entraves, vous avez l'impression de l'être, même si en réalité, vous subissez des contraintes évidentes (mais intégrées, donc non perçues comme limitatives). Vous ne pouvez pas décider de ne plus manger, d'aller vivre sur la Lune ou même de vous balader entièrement nu. Ces exemples sont volontairement absurdes mais il existe des tas de "petites" contraintes qui font partie de notre culture, des impératifs sociétaux, et qui ne nous semblent pas bien graves mais qui n'en demeurent pas moins limitatives. Laissons là cette approche philosophique audacieuse et revenons à la seule liberté d'expression.
Tout comme pour la liberté physique, la liberté d'expression ne peut exister réellement dans une unique alternative absolue (en prison/totalement libre). L'on peut être totalement muselé, mais la liberté d'expression s'accompagne toujours de limites, qu'elles soient ou non perçues ou pertinentes.
Il s'agit donc plutôt d'une échelle de liberté, dépendant des époques, pays, croyances, etc.
Et tout ce qui est "intégré" ne sera en général jamais remis en cause, car ce n'est tout simplement pas perçu comme une limite.

La liberté de l'artiste, qui n'est donc jamais totale, est d'autant plus limitée qu'il est, en général, le premier censeur de son discours. Il est des sujets que certains auteurs n'aborderont jamais, ou des dessins que ne s'autoriseront pas certains artistes. La limite, même non imposée, est toujours là. Omniprésente, à la fois odieuse et fascinante.
Lorsque l'on crée, lorsque l'on écrit, l'on est amené, à un moment, à définir cette limite. À justifier les bornes qui marquent le début et la fin de notre univers créatif.
Et ces bornes, j'en suis persuadé, sont pour l'essentiel l'affaire de chacun.

Les lois communes se doivent d'éviter les dérives malsaines, bien entendu, mais pour le reste, il me semble inconcevable de demander à un auteur de rester à l'écart de territoires qu'il n'est pas censé fouler.
Le propre de l'artiste, c'est justement, entre autres, d'explorer tous les chemins qui l'inspirent. Quitte à enjamber quelques barrières.
La voilà peut-être cette véritable liberté. Ne pas tenir compte des bornes des autres. Casser les murs, ramper sous les menaces, et, au final, pouvoir atteindre un endroit supposément interdit. Soit parce que l'on aime cet endroit, soit parce qu'il nous fascine par le fait même qu'il soit interdit et dangereux.
Il ne s'agit pas de faire du mal ou d'imposer un point de vue.
Il s'agit de ne pas céder, ou de ne pas céder trop facilement, devant ceux qui nous expliquent, avec un décret, deux arguments bidons ou un flingue, que l'on n'a rien à faire là.

Un artiste a tout à faire là où il dérange. Et là où il se sent utile.

Cette liberté toute relative, il nous appartient de l'entretenir.
Il ne devrait exister aucun idéal, aucun dogme, aucun bunker à l'abri de nos plumes.
Cela n'exclut aucunement l'acceptation de limites, notamment légales. Ces limites existent déjà et sont nécessaires, mais jamais elles ne pourront être prises comme justification pour imposer un contrôle sur ce qui ne rentre pas dans le cadre de la loi.
Car la liberté, ce n'est pas tout et n'importe quoi, c'est ce que nous jugeons honnête et indispensable. Ce n'est pas ce qui est facile et encouragé, c'est ce qui demande un peu d'effort et laisse parfois des écorchures.

La liberté, ce n'est pas faire avec une limite implicite imposée, surtout par la menace, c'est notre capacité à aller au-delà des barbelés.
S'arrêter avant, c'est déjà être en prison.

Parmi ces criminels s'est caché un effroyable auteur coupable de crimepensée.
Sauras-tu le reconnaître pour le dénoncer au NKVD ou au FBI ?