Chroniques des Classiques : Il était une fois en Amérique
Publié le
18.9.19
Par
Nolt
Ode à une partie plutôt noire de l'histoire des États-Unis, saga poignante et hallucinée sur le destin de quelques gamins, œuvre-testament aux multiples versions, Once upon a time in America est tout simplement l'un des plus extraordinaire (très) longs-métrages jamais réalisés.
New York. 1933.
Le monde de Noodles vient de s'écrouler. Ses proches sont morts, des tueurs le recherchent. Seul, terrassé, il se réfugie dans une fumerie d'opium avant de finalement quitter la ville. Lui qui était à la tête d'un empire, il n'est plus rien...
New York. 1922.
Quelques gamins, vivant dans une pauvreté extrême, survivent grâce à de menus larcins et quelques rapines. Parmi eux, Noodles, qui partagera bientôt la tête de la bande avec Max. De petits boulots en extorsions, les gamins rêvent d'être indépendants, de prendre de l'ampleur, de n'avoir plus aucun maître. Bien sûr, tout cela a un prix.
New York. 1968.
Noodles est de retour chez lui. Après des décennies d'exil, il va se confronter à ses vieux démons. Et à un ennemi inconnu qui a tout fait pour l'attirer de nouveau ici... là où tout a commencé.
Dernier film de Sergio Leone, magnifié par l'envoûtante musique d'Ennio Morricone, Il était une fois en Amérique est basé sur le roman The Hoods de Harry Grey, lui-même ancien gangster.
Mais bien plus qu'un film sur la mafia, Leone va mettre en scène une histoire vibrante, épique et subtile sur le destin, certes dramatique, d'une poignée de jeunes crève-la-faim dans un New York en pleine ébullition, mais dont l'expansion génère aussi pauvreté et corruption.
L'une des particularités essentielles du film est sa narration éclatée, suivant trois fils narratifs habilement entrelacés. Les scènes alternent en effet entre l'enfance de Noodles et ses amis, au début des années 20, le sommet de leur ascension, en 1933, alors que la prohibition va toucher à sa fin, et le retour de Noodles, dans un New York "moderne", en 1968.
La partie sur l'enfance du groupe est si riche qu'elle aurait pu faire, à elle seule, l'objet d'un film. Mais surtout, le procédé consistant à plonger le spectateur dans le passé des personnages, pour dévoiler leurs failles, leurs conditions de vie, leur basculement trop brusque dans la vie adulte, est tout simplement génial. Car l'on ne suivra plus alors, et ce jusqu'au bout du récit, des gangsters, mais des gamins devenus adultes.
Et ça, ça change tout.
Prenons un exemple. Patsy, l'un des membres de la bande, achète une portion de gâteau pour profiter des faveurs d'une gamine, peu farouche, qui vend ses charmes. Il arrive devant la porte de son appartement, toque, la demande, et doit attendre un peu dans le couloir. Il s'assoit alors sur les marches de l'escalier et regarde la pâtisserie, encore emballée. Il dénoue les fils du précieux paquet et goûte d'un doigt à la crème, onctueuse, délicieuse. Il essaie de ne pas trop en prendre, racle avec précaution les côtés du fabuleux dessert... avant de craquer et de le dévorer goulûment.
Cette scène, en apparence anodine, en dit long sur le personnage. À la fois sinistre et comique, elle montre les aspirations adultes et les réactions encore enfantines, elle dévoile le cruel appétit engendré par l'extrême pauvreté, elle modère la vision monolithique du "voyou", permet de creuser dans les strates de ce protagoniste à l'apparence si innocent mais déjà si complexe. Et le plus beau dans tout ça, c'est que l'effet rejaillit sur toute la bande.
Du génie !
Une fois embarqué dans cette fresque historique, ce polar dramatique à l'amertume savamment dosée, il sera difficile de s'en extirper tant tout fait sens et s'imbrique parfaitement. Les "coups" de la bande, les scènes d'amour (ou de sexe), l'amitié, les trahisons, la violence, la nostalgie, l'enfance, tout s'entremêle dans un délicieux maelstrom. Et toujours ces thèmes mélodiques qui viennent rythmer les bons moments et les tragédies...
Les scènes culte sont d'ailleurs légion, du terrible ralenti devant l'arrivée de Bugsy, au trou dans le mur permettant à Noodles d'observer son premier amour, en passant par le mélange des nourrissons à la maternité ou le sourire final d'un De Niro campant un Noodles brisé mais euphorique grâce aux paradis artificiels des opiacés.
Il était une fois en Amérique peut surprendre parfois par son apparente lenteur, par les longs passages sans dialogues ni action, mais tous ont un sens et servent au mieux le récit. Qui d'ailleurs a connu bien des versions...
Lorsque le film sort en 1984, la version européenne fait 3h40. Pour Leone, qui imagine un récit bien plus long encore, c'est déjà une version "courte". Le studio qui produit le film va imposer par contre une version drastiquement plus courte aux États-Unis. Pire, celle-ci est montée dans l'ordre chronologique, supprimant toute la logique narrative de base et les effets qui vont avec. Pour Leone, c'est une catastrophe, un naufrage artistique qu'il ne pardonnera jamais.
Une version restaurée, augmentée de scènes inédites, sortira en 2012 (malheureusement bien après le décès de Leone), le film dépassant alors les 4 heures. Selon les sources et les versions (cinéma, DVD, etc.), difficile de se faire une idée précise de ce qui constitue aujourd'hui la durée officielle de la version "longue" de ce film. D'autant que Scorsese lui-même (dont la fondation a bossé sur la restauration des scènes manquantes) aurait annoncé que la version de 4h11 pourrait ne pas être définitive et se voir ajouter de nouvelles scènes...
Tous les précédents ajouts n'étant pas cruciaux, l'on va dire que l'on reste prudent sur un éventuel nouveau remaniement, mais l'on devrait donc arriver petit à petit à environ 4h30. Une durée qui n'aurait probablement par déplu à Leone.
Cette histoire s’avère
douloureuse et dure à digérer tant Leone cogne là où ça fait mal. Non pas tant
à cause de la violence des gangsters, mais parce que l’on s’attache au terrible
destin d’enfants (presque) candides, survivant dans un monde hostile et
dangereux.
Leone parvient à faire de
Noodles une incarnation parfaite d’une tragique dualité. Le Noodles adulte est
un meurtrier, un violeur et un traître, obligé de se réfugier dans la drogue
pour oublier ses amis, ses actes, imaginer peut-être une autre vie, dans
laquelle il serait moins coupable, plus conforme à l’idée qu’il se fait de
lui-même. Le Noodles enfant, bien qu’il soit tout autant bourreau que victime,
est néanmoins plus sympathique, déjà plus tout à fait innocent mais capable de
nobles sentiments malgré sa lente plongée vers le mode de vie interlope qui lui
semble être sa seule planche de salut.
Bien entendu, pas question de
proclamer que Noodles a été victime de son passé ou du système dans lequel il s’est
débattu. Ce serait une insulte à son intelligence tout autant qu’à ses
victimes. Il a fait ses propres choix, largement entérinés une fois adulte.
Mais si ce qui le fait basculer totalement est certes un meurtre, il s’agit au
final de l’acte criminel pour lequel l’on aura le plus d’indulgence, puisqu’il
consiste à se défendre et surtout à venger l’élément le plus jeune du groupe,
ce dernier tombant d’une manière très symbolique pour signifier la véritable
fin de l’enfance de Noodles.
S’il s’agit bien du récit d’une
perdition, celle-ci est suffisamment documentée et brillamment mise en scène
pour livrer une vision non manichéenne du personnage principal, à la fois
répugnant et attachant, odieux et humain, si loin et à la fois si proche de
nous. Comme beaucoup, Noodles a cheminé au bord d’un précipice. Et du tréfonds
des abysses, il a entendu les douces mélopées de ces voix enchanteresses qui
semblent nous encourager à franchir la limite, à orchestrer notre propre
basculement… et entre les Ténèbres et nous, entre les Ténèbres et lui, il n’y a
qu’un gamin qui doit se démerder avec quelques notions de morale, acquises tant
bien que mal à un âge où il ne les comprenait pas forcément. Au final, Noodles
souffre essentiellement à cause de… Noodles. Le fait d’être un voyou n’y change
rien. Ce qui l’empêche d’être serein, ce qui le fait se tourner vers l’opium et
l’oubli, ce n’est pas forcément le remords ou les regrets, mais plutôt le fait de n’être plus
tout à fait lui-même, ou ce qu’il rêvait d’être.
Car ainsi sont tous les
adultes… des prisons plus ou moins bien construites pour les enfants qu’ils
renferment.
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