Psykoparis (intégrale)
Par

Paris sans une seule bagnole. Paris sans un seul flic. Paris livré à la violence et aux combats à l'arme blanche...

Ça aurait pu être le pitch d'un film de Luc Besson mais il n'en est heureusement rien !


Oui, heureusement ! Parce que Psykoparis ne peut assumer son délire décomplexé et sa débauche de violence, sa galerie de personnages et sa foultitude de situations que grâce à la qualité de sa narration offrant à chaque protagoniste principal assez de visibilité pour avoir son propre arc intéressant et à l'univers assez de tangibilité pour le rendre crédible. Ce que Besson, à mes yeux, ne sait pas faire. Oui, c'est juste un tacle gratuit, droit dans la jugulaire ! Ah mais c'est que la BD que l'on va aborder aujourd'hui s'y prête à merveille... Alors dégraissez votre lame, polissez-la, huilez-la, remettez-la au fourreau mais gardez une main sur son manche, parce que ça va trancher des membres façon ken justu... ou broyer des tronches en mode masse d'arme, chacun ses goûts, ne soyons pas sectaires.

Tristan Roulot et Corentin Martinage (déjà associés chez le même éditeur grâce à la très rigolote série Goblin's) ont signé chez Soleil cette série dont nous recevons aujourd'hui l'intégrale. Il y développent un univers improbable où Paris est soumise à la justice des duels à l'arme blanche, dirigée par un maire corrompu, financée par une vieille usurière sans aucune morale et peuplée d'une faune d'humains divers et variés s'étant tous choisis une arme de prédilection (sauf collectionneurs éclectiques jonglant entre les armes selon les situations).
N'attendez rien d'autre, à la lecture de cet ouvrage, que du fun : nulle contestation au sujet de l'organisation de nos sociétés, aucune critique de la violence urbaine, pas une seule réflexion sur quoi que ce soit... Libre à nous de gloser sur ces sujets mais Psykoparis ne s'en préoccupe pas, il se voit comme un défouloir, une sorte de jeu vidéo open world en BD laissant toute liberté à la fougue de son concept simplissime pour nous offrir des scènes improbables mais sympathiques aux yeux de notre génération ayant grandi avec les films de Tarantino et autres Rodriguez.
Liberté, fougue, concept simple, scènes improbables.... certes. Mais le chien fou est néanmoins tenu en laisse par une écriture (Tristan Roulot) intelligente maîtrisant parfaitement le rythme, toiletté par un dessin (Corentin Martinage) alliant la modernité à l'efficacité et nourri par une mise en couleurs (Jean-Noël Le Moal, Julie Poupart et Mikl) dynamique et esthétique.

Du coup, le truc fait dans la qualité avec, pourtant, une idée initiale tenant sur un sparadrap pour orteil. Et rien que pour ça, moi qui suis amateur de jeux vidéo, je les remercie. Nous autres, joueurs, on sait parfaitement qu'un bon jeu n'est pas nécessairement un jeu complexe. Parfois, une simple idée de gameplay toute bête mais innovante peut suffire si l'on est assez malin pour l'exploiter de mille façons, si l'on a la curiosité de l'utiliser pour revisiter des thématiques maintes fois abordées mais jamais par ce biais, si on a l'audace de lui laisser sa chance et de dévoiler tout son potentiel de divertissement.
Un hit peut parfois tenir en quelques mots : un hérisson hyper rapide, un plombier qui passe par des tuyaux et tue ses ennemis en sautant dessus, des blocs à aligner pour les faire disparaître, un gros balèze qui défouraille des démons à l'aide d'armes de guerre, une ville entière à gérer tout seul, un avion à piloter comme un vrai pilote, un tournoi de combattants de rues... ou, en BD, une ville de Paris où tout le monde porte une arme blanche et où règne la loi du plus fort.
Et, comme pour me donner raison dans mon analogie avec le monde vidéoludique, comme dans un jeu vidéo, un concept simple se vit, il ne s'explique pas : personne ne veut savoir pourquoi Sonic est bleu et court aussi vite, pourquoi Mario est entouré de tuyauteries tellement grandes qu'il peut s'y glisser, ce que représentent les blocs de Tetris, les vraies motivations et les états d'âme du Doomslayer, pourquoi le maire de Simcity a la possibilité de demander à Godzilla de ravager sa propre ville, si le pilote de Flight Simulator est bien syndiqué ou d'où sort la capacité de Chun Li de faire l'hélicoptère la tête en bas en faisant tournicoter ses énormes jambonneaux. On s'en fout. On veut juste qu'ils le fassent, on veut que ça arrive, on veut que le concept tout simple s'ébroue et entre en action...
D'ailleurs, regardez ce que ça donne quand un produit culturel essaie de répondre à ces interrogations... souvent, c'est assez pénible à voir (ne parlons pas des films Sonic, Super Mario ou Doom, par exemple... histoire de tâcher de rester polis).
Eh bien, il en est de même ici : Pourquoi n'y a-t-il aucune voiture dans Paris ? Peu importe ! Pourquoi la police n'y existe-elle pas ? Qu'est-ce que ça peut faire ? Et ailleurs en France ou en Europe, ça se passe comment ? On s'en cogne.
On a une map : Paris. On a un gameplay : à l'arme blanche. Et on a une mission : survivre à la situation cataclysmique provoquée par la situation initiale qui, puisque l'on veut donner un ton humoristique à l'ensemble, sera un vulgaire quiproquo. 


Eh oui, voici bien le nœud dudit quiproquo : le fameux petit carnet bleu de Maman ! Et oui, j'ai conscience que dit comme ça, ça ne paraît pas folichon... Mais Maman est une usurière tellement riche qu'elle finance toutes les triades, nombre de ménages et la ville elle-même. Et Maman, elle aime ses petits qui lui doivent de l'argent parce qu'ils lui en rapportent bien plus qu'ils lui en doivent... sauf quand ils sont mauvais payeurs. Parce que Maman, elle est généreuse mais elle est aussi rancunière : elle n'a aucun remord à vous envoyer ses sbires vous transformer en méchoui au moindre impayé. Et ça, c'est connu de tout le monde.
Dans l'appartement de Maman, il y a un petit secrétaire blanc contenant un carnet bleu. Le carnet bleu de Maman, où elle trace soigneusement ses lignes de comptes d'une écriture scolaire comme on n'en fait plus. Avoir son nom dedans, c'est avoir une dette... avoir son nom rayé, c'est en être libéré parce qu'on a remboursé. C'est aussi simple que ça !
Mais Maman va prendre quelques vacances. Oh, juste quelques jours, guère plus. Juste le temps de changer d'air, même si elle sait qu'elle reviendra vite aux affaires : ils lui manquent très vite, ses petits !
Alors, pendant son voyage, Maman va laisser derrière elle son petit carnet bleu, dans son secrétaire blanc. Laisser derrière elle les soucis, les lignes de compte et les exécutions primaires.
Sauf que, pendant son voyage, une bande de sympathiques pieds nickelés a besoin  d'un appartement vide à squatter quelques heures pour organiser une bonne grosse teuf pas du tout covid-friendly... et ces gosses ne trouveront rien de mieux que squatter sans le savoir l'appartement de Maman. C'est déjà une erreur, bien entendu. Mais Maman pourrait peut-être le leur pardonner, au prix de quelques extrémités tranchées... Par contre quand ils décident en plus, pour se faire un peu d'oseille (oui, les jeunes, de la moula, si ça vous amuse), de fourguer le mobilier à un receleur du coin.... vous voyez venir le souci ?
Eh oui... le carnet ! 
Le fourgue, toutefois, ne veut pas du petit meuble blanc et il se retrouve chez la mère de Cid (le leader autoproclamé de cette bande de bras cassés) en guise de cadeau d'anniversaire foireux. 

Et à partir de là, tout s'emballe (et cent balles, c'est pas cher pour un carnet contenant autant de reconnaissances de dettes) : Maman revient, voit son appartement saccagé et constate la disparition de son carnet. Dans l'urgence, comme elle ne peut répondre à un clan japonais s'enquérant du montant de leur dette et qu'elle ne peut admettre avoir perdu les comptes, elle règle la situation de façon expéditive. Bien vite, cela se sait et la nouvelle fait le tour de Paris : Maman n'a plus son carnet bleu ! 
Et c'est l'amorce d'une suite de nombreuses réactions en chaînes : entre les gens qui veulent mettre la main sur le carnet pour le détruire et soulager les créanciers, ceux qui veulent le rendre à Maman pour s'attirer ses bonnes grâces et ceux payés par Maman pour le récupérer, une guerre ouverte et sans merci va éclater dans Paname et nous offrir une galerie de psychopathes hauts en couleurs aux motivations claires et à la volonté indéniable.

Ça va être un carnage débridé au milieu duquel Cid et ses potes ne comprendront que rarement ce qui se passe et esquiveront comme il le pourront (parfois pas du tout) les lames aiguisées et autres armes de corps à corps dont on leur réserve les services.
Toutes les couches sociales de la ville vont être touchées par les événements, depuis les parias vivant dans les catacombes jusqu'aux plus nantis des bourgeois. Et tous, d'une façon ou d'une autre, vont se croiser, interagir, s'affronter, s'allier ou se découper en rondelles sans que jamais cela ne soit confus le moins du monde pour le lecteur.


Car en effet, c'est là la prouesse de cet album à mes yeux : il multiplie les belligérants et les arcs scénaristiques mais sans jamais perdre son lecteur. C'est dû, à mon sens, à ses deux auteurs qui se sont drôlement bien trouvés.

Roulot est d'une clarté absolue dans la description des motivations de chacun. Leurs objectifs personnels sont exposés naturellement tellement vite dans le récit que l'on ne doute jamais de leurs motivations et que l'on comprend toujours les raisons de leurs actes.
Martinage, quant a lui, est remarquable dans la caractérisation des personnages. Son style pictural nous offre des dizaines de personnages impossibles à confondre entre eux (ce qui est un soulagement agréable après avoir lu certains comics ou certains mangas où plusieurs personnages semblent issus du même labo de clonage).

Psykoparis, ça va souvent à cent à l'heure mais ça sait se ménager des pauses. Dans la vitesse comme dans la lenteur, la narration est efficace et le dessin s'adapte ainsi que la mise en page et la colorisation.
C'est de la lecture coupable mais rendue facile à assumer tant la qualité est au rendez-vous.
En gros, c'est un peu comme ces films d'action hongkongais où un seul type en défouraille soixante autres sans qu'une seule goutte de sueur ne perle sur son front... On devrait envoyer la suspension d'incrédulité se faire cramer les fesses au-dessus d'un volcan en activité mais on s'y cramponne pour continuer à mater Cho Yun Fat survivre à vingt décès inévitables à la minute parce que c'est trop cool, parce que ce gars à un charisme qui ferait passer Stallone pour un frigidaire en panne, parce que c'est filmé avec une expertise ridiculisant des réalisateurs ricains pourtant doués et bénéficiant pour une seule scène d'un budget dix fois supérieur mais... c'est tellement fou, osé, maîtrisé, fait avec passion, qualitatif et couillu que vous voulez bien gober n'importe quelle démesure.  

Et, en l'état, on peut trouver le scénario de Psykoparis débile... mais ce serait ne rien avoir compris au travail d'orfèvre du scénariste qui a rendu si limpide et passionnant ce qui aurait pu n'être qu'une bouillie insipide et chiante à la Banlieue 13.
On peut trouver le dessin racoleur et flashy mais ce serait ne pas en appréhender les qualités de caractérisation, de dynamisme, de lisibilité reléguant au rang de bonbons acidulés nombre de mangas, comics ou BD enchaînant les scènes d'action que l'on survole sans même les regarder.
On pourrait croire qu'il ne se passe pas grand-chose mais ce serait passer à côté du poids de l'histoire de chacun des personnages, qui change tellement et avec tant de bonheur des milliers d'histoires sans enjeux ni sans conséquences où l'on ressuscite à tour de bras des protagonistes usés jusqu'à la toile.

Alors voilà. Psykoparis sort en intégrale de 136 pages aux éditions Soleil.
Si vous voulez lire de la BD qui claque avec des combats qui giclent mais qui ne vous prend pas pour un attardé tout juste bon à avaler ce avec quoi on le gave, si vous voulez un défouloir bédéistique qui prend son travail et son lecteur au sérieux... Lâchez votre Naruto ou votre One Piece numéro 7987, laissez tomber les marvelleries aux personnages capables de boire du plomb en fusion et offrez-vous une BD où, quand un sabre tranche en deux, c'est "game over" et jamais, jamais "same player, shoot again". 
 


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un dessin et une mise en page vifs et dynamiques, modernes et de qualité.
  • Une qualité d'écriture rare, dans ce genre de titres "défouloirs".
  • Un humour qui fait souvent mouche.
  • Des clins d'œil en pagaille.

  • À dire vrai... la brièveté. Oui, c'est surprenant vu les 136 pages mais il y a pas mal de clans et triades dont on aurait pu développer la quête qui est juste suggérée.
    Moi, 300 pages, ça m'allait très bien aussi ! 
    Mais ça aurait peut-être trop dilué le tout... possible.