Original Sin : Édition "absolute"
Publié le
9.7.24
Par
Vance
Étrangement, alors qu’on a ici-même souvent évoqué le travail de Jason Aaron - un auteur qu'on apprécie pour ses mini-séries comme The Goddamned, Southern Bastards ou Scalped, un peu moins lorsqu’il a en charge les super-héros Marvel (même si X-Men : Schism et surtout Dr. Strange valent largement le détour) - il ne s’est trouvé personne pour parler de l’event Original Sin. Oubli réparé à présent, ce qui nous permettra en outre de donner notre impression sur la collection "Marvel Absolute".
Entrons tout de suite dans le vif du sujet : l’événement mis en images est né en 2014 et s’appuie, comme très souvent, sur un pitch plus que prometteur. En effet, une découverte macabre attend les Avengers sur la Lune : au cœur même de son repaire, Uatu, le Gardien, gît, abattu par une arme inconnue. Ses yeux ont été arrachés. Stupéfaits et horrifiés par ce crime, inquiets par les secrets que l’assassin aurait pu dérober, les plus puissants super-héros de la Terre entament une enquête délicate : les informations manquent, les données se contredisent. En outre, les Avengers, malgré leurs énormes qualités, n’ont rien de véritables détectives. C’est pourquoi, dans l’ombre, un mystérieux commanditaire convoque un groupe parallèle pour partir à la recherche du meurtrier…
L’on imagine le potentiel du récit. Certes, ça n’a pas le glamour d’un Avengers vs X-Men, mais ça a de la gueule, et cela offre l’opportunité de mettre en scène une forme de crossover avec bon nombre de héros tirés de différents groupes. D’autant que le père Aaron sait doser les révélations, distillées avec maestria, et entretenir le suspense sur les multiples mystères que ce crime a mis en lumière. Déjà, qui s’est permis d’abattre ainsi le représentant de l’une des plus anciennes races cosmiques ? Mais aussi : pourquoi ? Uatu ayant fait le vœu de ne jamais intervenir dans les affaires terriennes (qu’il se contente le plus souvent d’observer de loin, de commenter sommairement parfois tout en ayant le chic pour, exceptionnellement, donner un petit coup de pouce aux héros lorsqu’ils sont mal engagés face à un péril d’ampleur universelle), pour quelle raison vouloir le supprimer ? Pourquoi lui ôter ainsi les yeux ? Et qui a engagé Strange, Emma Frost, le Punisher, Ant-Man, Black Panther et le Winter Soldier dans le but de mener des investigations ? La vérité fera froid dans le dos et remettra des décennies d’aventures super-héroïques en question.
Pour le coup, l’essentiel des huit épisodes de la série de base s'avère réussi : c’est plaisant, frustrant à souhait tant les éléments manquent pour qu’on puisse avoir une vue générale sur le sujet, avec des complots dissimulés sous les complots, plutôt bien rythmé (et même trop rapide par moments) et magnifiquement illustré par un Deodato en grande forme, qui se lâche dans des mises en page frôlant le psychédélique. Le dernier tiers, après la première grande révélation, accuse cependant le coup – là aussi, c’est un constat banal dans les publications de ce type. On a l’impression qu’Aaron ne contrôle plus totalement toutes les implications de son récit, qu'il développe les branches qui l’intéressent et laisse aux autres le soin d’exploiter le filon afin d’engendrer des mini-séries annexes, devenues incontournables dans le monde de l’édition.
Sans aller jusqu’à vous spolier la conclusion, sachez qu’à un moment précis de la confrontation entre les Avengers et un adversaire aux motivations floues, une déflagration répand dans la nature les secrets les plus vils, les plus honteux, les plus sordides qu’avait enregistrés le Gardien : s’enclenche alors la véritable raison d’être de cet event, qui se rapproche ainsi d’un Fear itself. Car la connaissance, c’est le pouvoir, et celui qui connaît les secrets de ses adversaires dispose du moyen de les vaincre, donc de les dominer. Des secrets qu’on peut dès lors monnayer, ou qui serviront de moyen de dissuasion. Les implications sont énormes car personne ne peut se vanter d'être totalement innocent, d'avoir un passé "clean" ; personne ne souhaite que sa vie privée, ses erreurs de jeunesse, ses accidents de parcours soient révélés, partagés, diffusés. Imaginez alors les identités secrètes !
Paradoxalement, ce qui a pu engendrer légitimement nombre d'épisodes annexes affaiblit le corps de l'intrigue principale, d'autant que la chute, cette fois, se voit venir de loin, alors que l'essentiel du scénario nous tenait en haleine par son imprévisibilité. Cela reste tout de même un script de grande portée, qui a l'intelligence de bouleverser nombre de vérités sur le monde marvellien sans que cela affecte véritablement ce qui se déroule à la surface des choses. Ceux qui ont lu les tie-ins sur Secret Invasion se trouveront en terrain connu. Et ainsi, voilà qui justifie habilement l'achat d'une édition complétiste qui videra les comptes en banque et embellira les bibliothèques : nombre des récits (certains de seulement deux pages !) ayant pour cadre cette explosion de révélations viennent agrémenter l'album, outre un numéro 0 qui donnera un autre point de vue sur l'agression et ajoutera encore au mystère (surtout en le lisant dans l'ordre chronologique, donc avant la série principale). Ce qui nous fait ainsi deux épisodes des Secret Avengers, cinq Original Sins dont certains sont subdivisés en plusieurs petits épisodes ainsi qu'un Annual - et j'en oublie certainement tellement c'est rempli, sans compter la galerie de couvertures alternatives à la fin.
Le principal problème de ce remplissage, c'est qu'il y a à boire et à manger, ça va du très intéressant voire surprenant au portnawak, du très sérieux au très drôle ou au pas drôle du tout. La variété des artistes fait tout le sel du produit et permettra peut-être d'en découvrir de nouveaux - et de rayer certains autres de nos listes. Impossible de tous les apprécier tellement le style et la portée diffèrent. Les puristes se contenteront aisément d'un bel album de la série principale, bien que certaines perles valent sans doute le détour.
Entrons à présent dans les détails : l'annual apporte une nouvelle perspective à ce qu'on a appris au cœur de l'intrigue de base ; Jason Latour signe un script assez futé qui va explorer quelques-uns des antécédents des événements ayant mené à Original Sin #1 ; dommage que les graphismes de Cisic soient aussi passe-partout.
C'est en tous cas nettement plus stimulant que le poussif Original Sin #0 écrit par un Mark Waid s'enlisant dans la niaiserie en nous présentant une forme de biographie du Gardien, bien loin du cynisme adulte d'Aaron.
L'histoire avec les Young Avengers, par Ryan North, commence avec un truc totalement wtf, constamment en décalage dans un style proche de X-Statix, avec un vilain pathétique qui passe son temps à se jouer de la crédulité des héros. On finit pourtant par s'y attacher grâce à une multitude de retournements de situations et à un final moins optimiste que prévu, et plutôt lucide.
Suit un épisode assez court mettant en scène le revenant Deathlok : Terminus se lit comme un épisode de X-Files, avec le spectre d'une vérité cachée qui finit par resurgir brutalement. Pas mal, percutant, et des dessins de Mike Perkins qui contribuent à accentuer la paranoïa. Passons rapidement sur la petite pastille sur Gueule d'or, rigolote mais puérile, et nous voilà avec un autre personnage annexe à fort potentiel, le Chevalier Noir avec son épée d'ébène : une histoire abrupte agréable à l'œil et qui aurait sans doute mérité un véritable développement, Frank Tieri choisissant de l'achever sur une interrogation pleine d'à-propos.
Original Sins #3 met en scène les Inhumains dans un épisode semblant vouloir introduire une nouvelle direction pour ce groupe singulier : Charles Soule livre un script plein de promesses, mal servi par des dessins grossiers. C'est suivi par une mini-histoire assez culottée signée Dan Slott, avec un lourd secret pesant sur la conscience de l'inénarrable J. Jonah Jameson : une "erreur de jeunesse" - titre de l'épisode - malicieusement écrite par un des plus grands spécialistes de l'univers du Tisseur.
S'ensuit un morceau de choix, qui s'inscrit également dans l'ambiance paranoïde engendrée par la bombe à secrets, dans la lignée de Secret Invasion, avec un récit mettant en scène un homme qui décide de tout plaquer pour réussir là où les plus grands super-héros de la Terre se sont cassé les dents : vaincre Fatalis. Comment ? Grâce tout simplement à un secret qu'il détient sur lui, et qui devrait lui permettre, après avoir mûrement réfléchi et échafaudé un plan à toute épreuve, de faire chanter l'inamovible monarque de Latvérie. Sauf que le Docteur Fatalis n'est pas n'importe qui... C'est signé James Robinson & Alex Maleev.
L'épisode sur Nick Fury, qui se déroule durant les événements de la série mère, est un grand classique sur l'identité et l'honneur, et surtout les cas de conscience auxquels doivent faire face les décideurs et les espions. Classique dans sa narration comme dans sa mise en pages, avec des graphismes, signés Butch Guice, semblant issus d'un autre siècle.
La pastille suivante sur Cap America arrachera à grand peine un sourire, contrairement au très ludique La Première Pierre de Chip Zdarsky qui vous obligera à revenir au début afin de trouver l'info qui vous avait échappé.
L'album se referme sur un double épisode des Secret Avengers par Ales Kot, obscur et complexe, avec des personnages dont les motivations nous échappent mais un Fury égal à lui-même. Heureusement, le rythme est enlevé et l'action constante.
Bref, une somme conséquente à dépenser pour une somme conséquente à lire. Faites-le vous offrir (et agrandissez vos rayonnages car l'édition Absolute, livrée dans un coffret cartonné, fait dans les 32 cm de haut sur 21,5) ou concentrez-vous sur une édition normale.
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