Écho #42 : La Saga du Roi Arthur
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Retour sur les excellents romans de Bernard Cornwell concernant sa version de la saga du roi Arthur.

Dans cette trilogie (Le Roi de l'Hiver, L'Ennemi de Dieu et Excalibur), le narrateur est Derfel, ancien esclave saxon recueilli par Merlin et élevé à Avalon. Derfel raconte l’histoire d’Arthur – dont il est devenu l’un des guerriers – à une jeune noble qui voit dans tout cela des histoires merveilleuses et romantiques. L'auteur met l'accent sur l’aspect politique et religieux : diplomatie, croyances, complots, batailles sont au centre de l’histoire.

Le style est plutôt réaliste, les combats violents, les comportements parfois cruels. La magie est présente mais très pragmatique (pas de "boule de feu" qui jaillit d’un bâton ou d'autres fantaisies du même genre). 
Voyons un exemple concret : Derfel est l’ami de Nimue (dont il est amoureux également), la maîtresse de Merlin. À un moment, Nimue met en fuite des ennemis qui tentaient de s’introduire dans les appartements de Merlin pendant son absence. Pour cela, elle apparaît en transe, hurlant, tenant des serpents dans ses mains, une chauve-souris attachée dans ses cheveux, elle est également nue et badigeonnée de sang de bœuf, bref, l’apparition est effrayante et les "méchants" prennent la fuite.
Quand Nimue lui explique la "combine", Derfel, qui souhaite croire en la magie des dieux, est déçu :

— Mais, tout cela n’est que supercherie ?
— La magie opérait du temps où la vie des Dieux croisait celle des hommes, mais il n’appartenait pas aux hommes d’en décider. Je ne puis embuer cette pièce sur un simple claquement de doigt, mais cela arrive, je l’ai vu. Je ne puis réveiller les morts, mais Merlin assure qu’il l’a vu faire. Je ne puis ordonner à la foudre de frapper, bien que je le souhaite ardemment, seuls les Dieux le peuvent. Mais il fut un temps Derfel où nous pouvions faire ces choses-là, où nous vivions avec les Dieux, nous les contentions et nous pouvions user de leurs pouvoirs pour préserver la Bretagne telle qu’Ils le souhaitaient. Nous exécutions leurs ordres, mais leurs ordres ne faisaient qu’un avec notre désir. Ensuite, les Romains sont venus, et ils ont rompu le Pacte. Il nous faut refaire la vieille Bretagne Derfel, la vraie Bretagne, la terre des Dieux et des hommes, et si nous le faisons, leur pouvoir sera de nouveau avec nous.
— Mais il n’y a pas d’autres solutions que la supercherie ?
— Quand j’ai franchi cette porte, j’affrontai un Roi, son druide et ses guerriers, qui a gagné ?
— Toi.
— Ce ne sont donc pas seulement des trucs. Ce pouvoir appartenait aux Dieux mais il me fallait y croire pour qu’il puisse opérer. À chaque instant du jour et de la nuit, tu dois être ouvert aux Dieux, et si tu l’es, ils viendront. Pas toujours quand tu as besoin d’Eux, c’est entendu, mais si tu ne demandes jamais, Ils ne viendront jamais. En revanche, quand Ils répondent, c’est merveilleux, merveilleux et terrifiant, comme d’avoir des ailes qui t’élèvent dans la plus haute des gloires.
— Jamais je n’ai vu de Dieux…
— Tu en verras. Tu dois penser à la Bretagne comme si elle était parée de rubans de brume de plus en plus fins. De simples fils ténus, ici où là, qui dérivent et s’estompent. Mais ces fils, ce sont les Dieux, et si nous parvenons à les trouver et à leur plaire, si nous leur rendons leur terre, alors les fils s’épaissiront et se rejoindront pour former une grande et merveilleuse brume qui recouvrira tout le pays et nous protègera de l’Extérieur.

Évidemment, mieux vaut lire ce passage dans son contexte pour le savourer pleinement. Néanmoins, on peut en admirer l'efficacité et le côté poétique, à la fois plein d’espoir et pathétique. L’auteur, loin de simplement faire de la magie une vague superstition, la rend réelle, palpable, il en fait l’expression de la foi des mages et de leur amour pour la Bretagne. 

Bref, un Cornwell au savoir-faire évident, qui narre une histoire passionnante dans un contexte historique réaliste. L'une des plus belles versions des légendes arthuriennes. 
Absolument conseillé !