« Rêve de fer est né d’une plaisanterie. J’ai fini par me mettre à l’écrire, et c’est devenu beaucoup moins drôle… »
C’est ainsi que Norman Spinrad évoque la création d’un de
ses textes les plus célèbres.
Je pense qu’il écrit comme un dingue. Quand il est mauvais, il devient illisible, ce qui est tout de même rare. Quand il est bon, il s’attaque à des thèmes et à des styles qui ne peuvent tenter qu’un dément (sachant à l’avance que la tâche est impossible) et il a l’audace de les présenter et de les réussir de façon spectaculaire.
Il faut pourtant lire ce roman, ou à tout le moins en
connaître l’existence. Car il s’agit avant tout d’un tour de force littéraire,
une entreprise risquée et ô combien délicate qui a dû mettre en péril la santé
mentale de son auteur. Certes, l’idée du livre dans le livre n’est pas
nouvelle. L’idée de se substituer à un auteur l’est moins (Philip José Farmer
s’est d’ailleurs plusieurs fois amusé à faire semblant d’être le faire-valoir
ou le factotum de personnages imaginaires – Tarzan dans La Jungle nue, Phileas
Fogg dans Chacun son tour ou Kilgore Trout dans Le Privé du cosmos). Mais ici,
Spinrad va plus loin. Car Rêve de fer n’existe pas : ce n’est qu’une
couverture, une coquille vide. Tournez la première page et vous tomberez sur le véritable
titre du roman : Le Seigneur du Svastika. Et c’est signé Adolf Hitler.
Bon, si les censeurs automatiques me laissent la place de
m’expliquer, voici ce qu’il en est : Hitler est un Autrichien émigré
fraîchement aux USA dans les années 20. Artiste méconnu, peintre à ses heures,
il se lance dans la littérature de science-fiction par quelques romans
poussifs, avant de connaître une certaine renommée avec Le Seigneur du
Svastika, qui décrochera d’ailleurs le prix Hugo en 1954, couronnant sa
carrière.
D’un côté l’uchronie : la Seconde Guerre mondiale n’a
pas eu lieu et Hitler n’a mis ses thèses par écrit que dans des romans
populaires, explorant le mythe de la race pure, du héros transcendant et d’un
empire millénaire. De l’autre, l’exercice de style : qu’aurait écrit
Hitler s’il n’avait pas été un homme politique ? Exercice aussi périlleux
qu’hasardeux, né d’une plaisanterie, donc…
Lire Rêve de fer est une expérience assez hallucinante. Ce n’est ni difficile ni ennuyeux, pourtant le livre m’est tombé des mains plus d’une fois. Car tout y est poussé à l’extrême, et le style ne s’embarrasse d’aucun adjectif, d’aucune proposition subordonnée pour souligner la pureté génétique d’Heldon et de ses habitants au détriment de la répugnance que leur engendrent les mutants des pays voisins. À la perfection géométrique et stylistique de la Grande République répond le chaos, la crasse et la misère des autres contrées. À la perfection génétique et esthétique des Purs Hommes répond la grossièreté, la laideur, la difformité et la puanteur des rebuts hybrides peuplant misérablement les autres pays.
Les descriptions pullulent, mettant systématiquement en valeur la beauté, la légitimité et l’ordonnance liées à la pureté génétique par opposition à la menace de plus en plus concrète des hordes vêtues de hardes se pressant aux frontières, sous la coupe des Dominateurs venus de l’Est, êtres abjects capables de dominer la volonté des plus faibles. Et quand l’action survient, elle est brutale et sans fard : le sang gicle, les viscères se répandent, les humeurs éclaboussent les parois et les os se brisent. Car Jaggar, de Pur Homme, devient Sur Homme et les pauvres créatures qui l’affrontent se voient pulvérisées par sa rage vengeresse, écrasées par sa fureur hégémonique, broyées par son bras purificateur. Montant sur la capitale pour y prendre le pouvoir, il s’entoure de cohortes ajustées dans des tenues qui feraient le bonheur de fétichistes du clou et du cuir. Le noir et le rouge s’unissent sur ses uniformes, flottent sur les capes enserrant les épaules des dignitaires d’un régime qui vise haut et loin, embrasent les drapeaux destinés à surmonter les capitales des pays du monde entier. Les vieux politiciens véreux ne feront pas long feu devant son charisme imposant, sa droiture vindicative et son verbe enflammé et il remettra de l’ordre dans le gouvernement avant de s’attaquer aux pays limitrophes. La guerre est déclarée, et inévitable : il faut frapper vite et fort avant que l’ennemi fourbe soit prêt à envahir la République. Nanti des pleins pouvoirs, dotant son armée des techniques issues des plus brillants cerveaux de la nation pure mais également des meilleurs spécimens humains au génotype imparable, il tourne son regard vers l’Est et ses mutants innombrables. Sa seule crainte : qu’un Dominateur mette la main sur le Feu des Anciens, cette puissance atomique abolie qui ravagea jadis des régions entières, laissant ruines fumantes et plaines empoisonnées. Armé du Commandeur d’Acier, arme terrible à la puissance comparable au marteau de Thor, il se fraie un chemin de sang et de tripes vers l’aboutissement de son projet : l’Empire de Mille Ans, et le règne d’une Humanité pure qui lorgne déjà vers d’autres planètes…
Voici une lecture qui exige un minimum de préparation et de second degré. Spinrad a poussé le vice jusqu'à y ajouter une post-face sur Hitler, sa vie, son œuvre.
À proprement parler, c’est… insupportablement lourd. Même les premiers romans de SF pré-campbellienne étaient plus digestes et subtils. Tour à tour ignoble et fascinant, le texte se parcourt avec une sorte de nausée préalable, qu’on parvient à grand peine à contrôler en s’amusant à trouver les parallèles tellement évidents avec une Histoire (bien réelle cette fois) écrite dans autant de sang et de tripes. C’est bien moins drôle qu’Iron Sky, moins percutant qu’Uber. C’est souvent abject. Et c’est ce qui fait la force de ce roman.
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