Un Chat dans le Culte #4
Publié le
5.2.21
Par
Virgul
Nous sommes en 1993 les matous ! Harold Ramis sort son quatrième film en tant que réalisateur. Un film qui va largement dépasser l'aura de son pourtant déjà culte Bonjour les Vacances ou de son futur Mafia Blues. Avec Groundhog Day, Ramis, sans le savoir, va offrir à la pop culture l'un de ses monuments. Drôle, caustique, efficace et émouvant, ce film, sorti en France sous le titre Un Jour sans Fin, méritait bien de faire partie de notre sélection. Accrochez-vous à vos gouttières, car l'on va vous révéler comment un scénariste méconnu à offert à Bill Murray l'un de ses meilleurs rôles, tout ça en partant d'une histoire de... vampire !
Un Jour sans Fin
Phil Connors est un présentateur météo, sur une petite chaîne locale de Pittsburgh. Comme chaque année, il doit couvrir un événement qu'il considère comme barbant : la fête de la marmotte, à Punxsutawney.
Accompagné d'un caméraman qu'il prend de haut et d'une productrice qu'il trouve jolie mais qu'il ne parvient pas à draguer, Phil se rend dans ce qu'il considère comme la capitale des ploucs. Après une nuit passée sur place, il expédie son "reportage" et ne peut s'empêcher de faire étalage de son cynisme. Malheureusement, un blizzard imprévu l'oblige à passer une nuit de plus dans l'hôtel qu'il était pressé de quitter.
Le lendemain, tout se déroule exactement comme la veille. Phil rencontre les mêmes personnes, entend les mêmes phrases, met le pied dans les mêmes flaques... bien que cela semble fou, il est obligé de se rendre à l'évidence : il revit la même journée. Encore. Et encore.
Cette idée, très simple à la base (il n'y a plus jamais de lendemain ni de conséquences), permet en fait non seulement de bâtir une des meilleures comédies des années 90, mais aussi de s'aventurer vers des domaines philosophiques riches et excitants. Car, au fil de cette journée, répétée encore et encore, Phil va passer par bien des états. Dans un premier temps, Phil a peur. Il est confronté à un événement incompréhensible qu'il ne peut admettre. Il pense même devenir fou. Il panique, veut absolument sortir de cette boucle temporelle insensée, mais, après un moment, il comprend aussi quels avantages il peut en retirer. Pouvant tout tenter, puis corriger le lendemain, il drague et assouvit des désirs au final peu satisfaisants. Après s'être offert quelques plaisirs faciles, il se met en tête de conquérir la belle Rita, sa productrice. Pendant des jours et des jours, il tente inlassablement de la séduire, apprend de ses erreurs et corrige son comportement et ses répliques. Rien n'y fait pourtant, cet amour, basé sur une tromperie, n'aboutira pas...
Phil, lassé par ses échecs, terrifié par cette même journée qui revient, encore et encore, l'empêchant de bâtir une relation solide avec qui que ce soit, tente de se suicider. De mille manières. Mais là encore, il se réveille, toujours, à 6h00, le matin de la fête de la marmotte, à Punxsutawney. Après être passé par tous les états possibles (simple peur, volonté de briser le cercle vicieux et de trouver de l'aide, envie de profiter d'un fol avantage, désespoir le plus noir...), Phil va se lâcher vraiment, s'abandonner et enfin explorer vraiment toutes les possibilités qui s'offrent à lui, en apprenant le piano ou la sculpture sur glace, mais aussi et surtout en apprenant à s'intéresser aux autres.
Si vous n'avez jamais vu Un Jour sans Fin, rassurez-vous, je ne vous ai rien révélé qui puisse gâcher votre découverte. Regardez ce film, il vaut le coup. Il fait partie de ces œuvres, rares, qui sont intemporelles et vous font du bien, parce qu'elles ont un fond de pureté et de beauté bien réel.
Tout cela ne tient pas à grand-chose parfois. Car en fait, Danny Rubin, le scénariste à l'origine de ce film, a tout d'abord pensé à l'état d'esprit des... vampires. Éternels, ces derniers devaient en effet avoir un rapport très particulier aux autres, au monde, au... temps. À partir de quand les vampires devenaient-ils aigris ? Ou résignés ? Ou désespérés ? Ou fous ?
Mais voilà, mettre en scène les égarements d'un vampire, sur plusieurs siècles, ça a un coût au cinéma. Il faut notamment des décors et des costumes variés, sans parler des effets spéciaux. C'est alors que le scénariste va avoir l'idée de représenter l'éternité, et les tourments qui l'accompagnent, non comme une ligne temporelle infinie mais comme une seule journée, revenant sans cesse. Un jour... sans fin. Miaw !
Il me reste à aborder un élément technique, concernant un point que vous n'avez peut-être pas remarqué : ce bégaiement, ce même jour qui revient en boucle, encore et encore, n'est jamais expliqué. Et c'est une très bonne chose. En effet, certaines histoires sont basées, parfois, sur des éléments scientifiques ou fantastiques qui la sous-tendent, voire même la justifient. Dans ce cas-là, un auteur devra forcément fournir une explication logique à un événement particulier, à l'existence d'une créature, etc. Mais, dans certains récits, l'élément fantastique n'est qu'un révélateur, ou un déclencheur, sa cause n'a alors que peu d'importance. Pire, s'attarder sur la cause d'une boucle temporelle, par exemple, pourrait détourner l'attention de l'essentiel. Ici, en l'occurrence, les émotions successives ressenties par Phil, puis sa lente transformation. Ce jour qui se répète n'est qu'une allégorie, une métaphore, qui se suffit à elle-même et a pour but de nous mettre face à nos habitudes, nos renoncements, nos jugements faciles, nos dérives, voire même notre cynisme.
Presque comme dans un conte asiatique, c'est quand Phil lâche enfin prise, quand il n'est plus fixé sur son but (sortir de la boucle temporelle ou conquérir Rita), qu'il parvient enfin à être heureux. Il obtient alors ce qu'il pensait nécessaire (Rita et ce "demain" tant espéré), non parce que ce sont des moyens pour lui de s'accomplir, mais parce que, s'étant pleinement réalisé, il cueille les "fruits" de son accomplissement.
Presque comme dans un conte asiatique, c'est quand Phil lâche enfin prise, quand il n'est plus fixé sur son but (sortir de la boucle temporelle ou conquérir Rita), qu'il parvient enfin à être heureux. Il obtient alors ce qu'il pensait nécessaire (Rita et ce "demain" tant espéré), non parce que ce sont des moyens pour lui de s'accomplir, mais parce que, s'étant pleinement réalisé, il cueille les "fruits" de son accomplissement.
Un Jour sans Fin, bonne comédie et film philosophique ? Ben... oui. Les œuvres ouvertement dramatiques et ampoulées sont rarement les plus marquantes. Parfois, un "petit" film de genre, sans prétention affichée, peut vous bouleverser, vous faire réfléchir et vous hanter pendant... une vie entière.