Sherlock Holmes & les Ombres de Shadwell
Publié le
24.10.24
Par
Vance
C'était couru d'avance. Après l'intéressant Sherlock Holmes & le Dossier Dracula, il était certain qu'un jour ou l'autre nous traiterions des trois romans de James Lovegrove parus en France dans la même collection chez Bragelonne, qui soigne toujours autant ses éditions afin de caresser le lecteur amateur de policier et de fantasy dans le sens du poil. Imaginez donc : le plus grand détective aux prises avec les créatures du mythe de Cthulhu ! Le télescopage des univers de Conan Doyle et de Lovecraft, que les amateurs de jeux de rôles avaient déjà pu goûter avec de délicieux frissons grâce à l'extension Cthulhu by Gaslight pour l'Appel de Cthulhu.
Très vite, l'on comprend que l'auteur a choisi la déférence, le sérieux et l'application comme principes de rédaction. Il connaît manifestement son sujet, au point de chercher à demeurer constamment dans les limites qu'il s'est fixées. Il faut le prendre comme une tentative d'enrichir davantage l'aura de Sherlock en lui adjoignant simplement une expérience oubliée dans les textes qui nous sont parvenus. Ainsi, Lovegrove choisit-il de suivre la voie empruntée par Conan Doyle en se mettant dans la position du prête-nom : ce que nous nous apprêtons à lire n'est que le contenu de textes dont il a été mystérieusement dépositaire, texte rédigés par nul autre que le Docteur Watson, lequel cherchait à travers eux à révéler une vérité qu'il s'était efforcé de taire tout au long de sa vie. Procédé vieux comme le monde, en somme, et souvent utilisé dans la littérature de l'Imaginaire (Philip José Farmer en a largement usé pour écrire les mémoires de Tarzan, de Phileas Fogg et même pour publier un roman sous le pseudo d'un auteur créé par un autre auteur ! Et on peut rajouter l'inénarrable Rêve de fer où Norman Spinrad se fait le porte-plume d'Adolf Hitler...).
Embrigadé un peu malgré lui, Watson va donc être le témoin privilégié de l'extraordinaire capacité de son nouvel ami à tirer des déductions de faits inexplicables et finira par comprendre que le monde est sous la menace permanente d'entités surnaturelles connues de quelques mystiques, ésotéristes ou illuminés, d'artistes déments ou de fanatiques. L'on pourra éventuellement regretter un style qui demeure farouchement fidèle à l'écriture de l'époque, volontairement disert et usant d'un lexique très recherché, nuisant au rythme plutôt enfiévré des aventures de nos deux héros, lesquels n'auront quasiment pas une minute de repos. En outre, la partie purement policière (recherche d'indices, réflexion et déductions) se trouve souvent réduite à la portion congrue - toutefois on aura droit à de larges chapitres consacrés aux recherches dans la salle des Incunables du British Museum, qui donneront des frissons aux lecteurs de Lovecraft et rôlistes de la première heure lorsque la mention des Unaussprechlichen Kulten ou du terrible Necronomicon surgira des ténèbres.
Les autres amateurs, ceux qui connaissent par cœur le canon holmesien, souriront régulièrement devant les innombrables références aux aventures du détective et la manière dont elles sont contournées ou réarrangées. De Lestrade à Mycroft, l'entourage connu de Sherlock viendra faire un petit tour jusqu'à ce que l'affaire prenne une tournure dramatique, que l'ennemi de nos héros et que ses plans funestes se dévoilent et qu'il leur faille, outre sauver la vie de leurs proches, littéralement sauver le monde.
De ce fait, Lovegrove s'applique à dépeindre un Holmes encore jeune, parfois impulsif et cédant à des émotions qu'il parviendra par la suite à canaliser, exceptionnellement doué pour la bagarre et conservant systématiquement (et littéralement) un atout dans la manche qui lui permet de se tirer de situations désespérées. Certes, cela manque d'énigmes tordues à résoudre, et notre détective s'y montre davantage Indiana Jones qu'Hercule Poirot, mais la construction du roman tout en crescendo permet de s'achever en un point d'orgue aussi classique que jouissif.
Un bel ouvrage, à la présentation soignée (la tranche des pages dorées, les titres de chapitres ornés de fioritures), quasiment dénué de coquilles, qui frustrera sans doute les lecteurs de Conan Doyle et décevra par sa structure trop systématique (il semble construit comme un scénario de jeu de rôles), mais qui s'avère suffisamment riche en péripéties et références lovecraftiennes pour entretenir l'intérêt jusqu'à sa résolution. Et il y en a deux autres à venir...
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
|
|
|