Interview exclusive de Livia Pastore, dessinatrice de Sirène et Vikings #3
Publié le
4.2.21
Par
GriZZly
C’est avec joie que nous donnons aujourd’hui la parole à
Livia Pastore, jeune dessinatrice qui, pour ses 33 ans, nous gratifie d’une participation
remarquée à la saga Sirènes & Vikings chez Les Humanoïdes
Associés (cf. cet article).
En effet, après avoir participé à divers projets comme Extinction
Seed, Knightingail ou Keyzer Soze : Scorched Earth, cette diplômée de
l’Académie des Beaux-Arts de Naples et de l’École Italienne de Bande Dessinée
signe les très beaux dessins du troisième tome de la saga, créée par Gihef, intitulé La sorcière des mers du Sud.
— Bonjour, Livia, et merci de nous accorder ici un peu de ton temps pour répondre à quelques questions. La première est tellement évidente que tu devais sans doute t’y attendre : comment en es-tu venue à prendre part à cette saga Sirènes & Vikings ?
— Depuis le premier
tome, certains protagonistes de ton histoire, comme Aegir, avaient déjà un
design connu des lecteurs grâce aux illustrations de la troisième de
couverture, même si les deux premiers albums ne les faisaient pas
intervenir. As-tu eu quelques libertés
dans le traitement esthétique de ces personnages ou t’a-t-on imposé un cahier
des charges rigoureux ?
— Honnêtement, le design des
personnages comme Aegir et Ran, très bien fait par Marco Dominici, convient
tellement à leurs rôles dans l'histoire que je n'ai vraiment jamais pensé à
changer leurs traits. Je les ai juste déclinés dans mon style pour qu'ils me soient
plus familiers et plus faciles à dessiner. Les petits changements que j'ai
apportés aux personnages ce faisant n'ont jamais été critiqués par l'éditeur et
le scénariste ; je suppose donc qu'ils leur conviennent.
— Avec ce troisième
tome, Sirènes & Vikings se concentre sur le peuple aquatique, te
donnant l’occasion de montrer une fois de plus ton talent pour dessiner des
créatures féminines. À ta connaissance, est-ce dû au hasard ou a-t-on réservé
ce tome très féminin à une artiste dont on connaissait la prédilection
pour ce genre de sujets ?
— C'était aussi une coïncidence. Au départ, j'aurais dû
travailler sur le quatrième volume, celui écrit par Nicolas Mitric. À l'époque,
cependant, le scénario n'était pas encore terminé. Je n'ai reçu que la première
page du script et, quand je l'ai terminé, ils m'ont déplacé vers le script de
Gihef, déjà terminé, afin de pouvoir travailler immédiatement.
— On peut remarquer, en
regardant ton trait, certaines similitudes avec d’autres acteurs de la bande
dessinée et des comics. As-tu des maîtres ou des sources d’inspiration dont tu
aimerais nous parler (en bande dessinée ou dans n’importe quel art) ?
Alessandro Barbucci, dessinateur d’œuvres phares telles que Sky-Doll et Monster Allergy, est une source d'inspiration pour Livia. |
— De plus en plus d’artistes
cèdent aux atours de la pratique sur tablette graphique. D’autres
ne jurent encore et toujours que par le crayon et le papier. Peux-tu
nous expliquer quels sont tes goûts et tes habitudes, pour ta part ?
— J'étais de ceux qui pensaient que la sensation du papier et
du crayon ne pouvait être remplacée par la technologie. J'ai dû changer d'avis.
La commodité de la tablette graphique est indéniable. Je crée les mises en page
et les planches numériquement, mais pas les vignettes. Je réalise les
miniatures des mises en page à la main, avec du papier et un crayon. J'ai ainsi
l'impression de conserver le dynamisme du trait de crayon, et de le transmettre
sur les pages numériques.
— Les italiens de GG
Studio, les américains de Big Dog Ink et maintenant Les Humanoïdes
Associés… tu as connu bien des employeurs de cultures différentes pour une si
jeune artiste. As-tu remarqué des différences notables dans le fonctionnement ou
les attentes de ceux-ci ?
— Oui, absolument, mais je ne sais pas si mes impressions sont dues à des nationalités différentes et à des éditeurs différents ou plutôt à mon évolution personnelle et stylistique. Quand je travaillais pour des
éditeurs italiens, j'étais débutante, les corrections étaient toujours
nombreuses et assez intrusives. Les attentes étaient élevées et j'ai été appelée
à contribuer sur tous les aspects de la publication. Aujourd'hui, je pense
qu'il valait mieux avoir des éditeurs aussi exigeants dès le début, qui m'ont
appris à ne pas me contenter d'un plan évident et à penser aussi au travail
d'équipe. Mais à l'époque, c'étaient des aspects du travail qui me stressaient
beaucoup.
J'étais un peu plus mature
lorsque j'ai commencé à travailler avec des éditeurs américains. Ils m'ont
donné une grande liberté stylistique et expressive. Ils ont rarement suggéré
des changements. Cela a été très relaxant pour moi et m'a incité à expérimenter
autant que possible, mais cela m'a aussi permis de faire des erreurs
flagrantes. Quoi qu'il en soit, cela m'a aidé à comprendre mes limites et à
m'améliorer.
Avec Les Humanoïdes Associés, le premier éditeur français
avec lequel j'ai travaillé, j'ai trouvé l'équilibre. Ils ont été d'excellents
collaborateurs dès le début, ainsi que pendant le verrouillage du covid-19.
Très sérieux et professionnels. Le fait que j'étais la seule étrangère du
groupe ne m'a jamais pesé car ils m'impliquaient dans chaque décision, à chaque
étape du processus. Pour moi, ce fut un honneur et un plaisir de travailler avec
des professionnels de ce niveau.
— Les Humanos, c’est de
la bonne vieille BD avec couverture cartonnée, papier glacé et couleurs
magnifiques. Qu’est-ce que ça fait de tenir en mains un de ces beaux objets et
de lire son nom sur la couverture ?
— C'est vraiment pas mal. C'est une grande émotion de tenir
entre ses mains un si beau livre dont vous êtes co-auteur. Ma première réaction
a été, comme toujours, de le parcourir pour voir s'il y avait des erreurs de ma
part, afin d'éviter de les reproduire dans l'œuvre suivante. Mais l'impression
était si belle et les couleurs si justes que j'ai fini par me laisser distraire
et admirer chaque détail du livre.
— Et du coup, que
penses-tu des bandes dessinées au format numérique ?
— Je n'ai toujours pas pu me
rapprocher des livres et des bandes dessinées au format numérique. Ça vient de
moi : je trouve peu pratique d'agrandir les pages sur la tablette. Je m'attarde
longuement sur des dessins ou des écrits que je trouve intéressants, alors
quand tout à coup l'écran s'éteint pour passer en stand-by... Aaargh! Quelle
nuisance !
S’ils devenaient plus confortables, probablement m'adapterais-je
comme pour la tablette numérique. Mais, pour le moment, je préfère la sensation
du papier.
— Aurais-tu un conseil à
donner à ceux parmi nos jeunes lecteurs qui rêveraient de devenir dessinateurs ? Y
a-t-il selon toi un parcours à privilégier, des qualités à avoir à tout prix... ?
— Je ne pense pas pouvoir donner de
conseils, j'essaie toujours de me demander comment rester à flot.
Je crois que, comme pour toutes les choses, il est
nécessaire de ne jamais être satisfait de ce que vous êtes capable de faire
maintenant, de viser de plus en plus haut. Améliorez-vous toujours, en règle
générale. Et, par conséquent, acceptez toujours tous les conseils constructifs
mais ne reculez pas avant que l'expérience directe ne vous montre que ce n'est
pas votre chemin.
— La situation sanitaire
actuelle aurait apparemment, selon le Président du Syndicat National de l’Édition,
été à l’origine d’une étonnante hausse de 6 % des ventes de bandes dessinées, là
où les ventes de la littérature, elles, sont un peu à la baisse. Il semblerait
que la BD ait un statut particulier dans le cœur des lecteurs, un côté
rassurant.
Alors,
en cette période où l’on achète apparemment plus de bandes dessinées, quels
seraient selon toi les incontournables du genre que l’on se doit d’avoir lus ?
— Je recommanderais certainement des classiques comme
Incal d'Alejandro Jodorowsky, qui est définitivement le must-have
de la science-fiction, et, parlant également d'autres genres, d'autres
incontournables comme Jazz Maynard de Roger Ibáñez et Raule, Punk
Rock Jesus de Sean Murphy et, bien sûr, Sky Doll de Barbucci et Canepa. J'en
aurais beaucoup à recommander, des classiques comme V pour Vendetta au tout nouveau Lùmina de Tenderini et Cavallini, mais il serait
trop long de tous les énumérer.
— Toi qui aimes les
personnages féminins, quel est, selon toi, le personnage féminin le plus
intéressant de la pop culture ?
— Quelle question difficile ! Si vous m’autorisiez à mentionner une personne réelle, je répondrais Greta Thunberg, la militante écologiste. Si jeune, mais elle comprend déjà le sens de la priorité, de l'éphémère. J'aime son courage et le franc-parler dont elle fait preuve en affrontant les personnalités qui s'opposent à elle.
Mais le personnage fictif que j'aime vraiment, bien que
peut-être pas très "pop", est Elizabeth Bennet, de Pride and Prejudice.
Une femme intelligente qui n'accepte pas les compromis dans sa vie et ses
désirs, mais qui est également capable de reconnaître ses erreurs et d'en tirer des
leçons. Paradoxalement, sa capacité à changer de point de vue, à comprendre
qu'elle s'est trompée sur certaines choses, l'amène à réaliser ses souhaits.
— Pour ceux qui seraient
tombés amoureux de ta technique, peut-on savoir si tu as déjà un nouveau projet
en cours chez Les Humanos ou ailleurs ?
— Je ne peux pas encore révéler de
détails mais oui, je suis ravie de pouvoir dire que je vais continuer ma
collaboration avec Les Humanoïdes Associés sur un nouveau projet. Pour
l'instant je ne peux que mentionner qu'il est basé sur des thèmes totalement
différents de ceux explorés jusqu'ici dans Sirènes & Vikings.
J'espère que vous l'aimerez !
— Rêvons un peu : parmi
les très nombreuses licences déjà existantes dans le monde des comics et de la
bande dessinée, à laquelle rêverais-tu de pouvoir un jour prêter ta plume, et
pourquoi ?
— J'ai toujours rêvé de travailler sur Ultimate
Spider-Man de Brian Michael Bendis, qui m'a fait découvrir des designers
exceptionnels comme Mark Bagley, Stuart Immonen et Sara Pichelli, qui ont été
des points de référence importants pour moi. Ces dernières années, cependant,
j'ai pensé que ce serait vraiment bien de faire un roman graphique en prenant
soin de tous les aspects en personne, des textes aux dessins en passant par les
couleurs, et de raconter une histoire de mon point de vue. Eh bien, ce sera
pour quand je serai un peu plus expérimentée !
— Merci, Livia, pour
ta disponibilité. La tradition veut que l’on termine tous nos entretiens par
une question rituelle… alors, la voici : Si tu pouvais avoir un super-pouvoir,
lequel serait-ce et pourquoi ?
— Je sais ! J'aimerais avoir le
pouvoir de contrôler le temps, de manière à en avoir plus et pouvoir me
consacrer à chaque projet... et aussi pouvoir faire beaucoup d'autres choses !
24 heures, c'est trop court !