Le Dernier des Dieux 2/4 et 3/4
Par

De plus en plus épique. De plus en plus poignant. De plus en plus cruel de vérité sur la nature humaine. 


Aaah, Le Dernier des Dieux ! Nous avions parlé assez longuement du tome 1 de cette saga imaginée et scénarisée par Phillip Kennedy Johnson ; en voici venir les deux suivants... Et c'est un plaisir de constater que tout le bien que je pensais du premier volume se confirme et plus encore dans deux tomes qui réussissent l'exploit d'être encore plus savoureux que la mise en jambe spectaculaire de leur prédécesseur.

Le Dernier des Dieux narre l'histoire d'une poignée de héros que l'on suivra sur ces quatre tomes visuellement magnifiques et scénaristiquement envoûtants.
Mais cette aventure a lieu trente ans après qu'un groupe d'aventuriers connus sous le nom de Traquedieux ait traversé le monde de Cain Anuun et gravi l'escalier noir, couvrant leurs noms de gloire en frappant au cœur les dieux de leur monde et en libérant tous les peuples de leur royaume fantastique d'un fléau mort-vivant connu sous le nom de Pestefleur. La Pestefleur est une forme de corruption transformant les vivants en « vigne, pourriture, cendre et chair souillée ». 
Alliant sorciers maîtrisant divers arts arcaniques, archers et épéistes, l'ancien groupe est devenu une légende... et ce malgré la trahison d'un des leurs. Leurs exploits sont devenus légendes et la légende a remodelé le monde, offrant à chacun des héros une place de choix à la tête de sa race.

Nous suivrons ces deux histoires en parallèle : celles du présent, vécue par de jeunes aventuriers au cœur plus noble que leurs prédécesseurs, et l'ancienne, mettant en scène des personnages indignes de leur légende. Présent et passé seront imbriqués et le présent aidera peu à peu à lever le voile sur le passé, à faire le tri entre mensonge et vérité dans cette légende bien trop commode pour ne pas cacher quelques lourds secrets. 

C'est une des premières forces de cette histoire : elle n'est pas du tout manichéenne. Les anciens héros n'en sont guère et, s'il fallait à nos nouveaux aventuriers une qualité majeure leur permettant d'accomplir ce que les héros d'antan n'ont pu réussir à faire, ce serait précisément ce supplément d'âme, d'honneur, d'honnêteté, de dévouement et de don de soi !

Car la pestefleur est une menace réelle. Les Traquedieux ont bien tenté d'affronter les dieux pour autant que les lecteurs le sachent. Cependant, il n'y a pas eu de vrai retour victorieux... L'histoire du Dernier des Dieux montre ce qu'il advient lorsqu'une telle histoire fantastique n'est que cela : un fantasme.
Et si le roi n'avait pas tué le mal absolu, mais simplement conclu avec lui un marché lui accordant pour un temps le pouvoir temporel sur les hommes ? S'il mentait à tout le monde, ou presque ? Et si cet accord tombait finalement en ruine après trente années à en profiter, conduisant un monde terriblement mal préparé à faire face à une menace supposément disparue ?
Les mensonges éclatent au grand jour. Les alliés d'autrefois s'avèrent être des boules d'égocentrisme individualistes qui se détestent. Ils sont en effet les plus habiles dans leurs catégories, mais ce sont des êtres désormais brisés, souillés ou corrompus.


Alors qu'un nouveau groupe de héros se lève face à une horreur renouvelée, les erreurs impardonnables du passé devront être révélées puis transcendées sous peine de les voir se répéter.

Une grande partie de l'intrigue derrière ce récit se résume en une seule une phrase : "Ne rencontrez jamais vos héros." Les anciens champions peuvent s'avérer être des menteurs ou des traîtres. Des reines en apparence bienveillantes peuvent enfreindre leurs propres lois dans la continuité de leurs préjugés archaïques... Tout le monde ment. Tout le monde est veule, même les héros !

Dans le tome 2, nos jeunes aventuriers vont parvenir à entrer dans la guilde arcanique. Cette sombre tour protégée de la corruption par un mur de magie cache un secret épouvantable quant à l'énergie utilisée pour entretenir ce bouclier... et ce terrible secret implique la culpabilité d'une ancienne héroïne et la complicité coupable d'une seconde. Autant dire que les plus jeunes des aventuriers présents vont aller de désillusions en désillusions et ne croiront bientôt plus aux chansons de geste qui bercèrent leur enfance.

On y rencontrera aussi un nouveau personnage surpuissant promis à devenir le fléau des dieux, sorte de golem de chair créé à son image par l'ancienne aventurière terrée dans la tour de la guilde.
Dans le concept, elle me fait penser à Pélisse, la pulpeuse rouquine de La quête de l'oiseau du temps de Loisel : naïve créature à l'apparence d'innocente jeune fille, elle n'est en réalité que le réceptacle humanoïde autonome et pensant d'une puissance magique inédite en ce monde.

L'on apprend aussi, dans ce tome, comment l'ancien groupe de héros a fini par rencontrer celui qui était lui aussi dépositaire d'une force magique capable de tuer ce qui ne vit plus, l'autre détenteur de cette force magique capable d'éradiquer la Pestefleur : Haakon, le gardien du sanctuaire des Feys (des créatures innocentes constituées de magie pure). Haakon, celui que les légendes décrivent comme déloyal, celui parmi les anciens héros dont le nom évoque la trahison... mais est-ce une vérité ou encore un autre mensonge ? 

Le tome 3, quant à lui, voit notre troupe de jeunes aventuriers, de plus en plus puissants et soudés, franchir à grand-peine les Monts Karkarok. Non en les contournant, non en les escaladant, mais en les traversant par les maintes galeries creusées en leur sein par les impitoyables Archenains. On reconnaît ici un classique de la fantasy depuis la traversée de la Moria du Seigneur des Anneaux. Mais ici, les nains en question sont d'horribles créatures libidineuses et anthropophages entretenant un démon et asservissant une race inférieure... autant dire que l'ambiance fut tendue, lors du passage des héros d'antan.
Mais tout sera plus catastrophique encore lorsque les héros du présent tenteront l'expédition : les parois des galeries sont désormais habitées par les Archenains, corrompus jusqu'à leur essence même par le démon qu'ils sont entre-temps parvenus à délivrer... 

Nos jeunes héros vont souffrir atrocement de cet affrontement démesuré et plusieurs d'entre eux en seront affectés à vie, d'autant que la dernière survivante de la première expédition apprend sa responsabilité directe dans ce qui leur arrive.

Une fois de plus, les actes des anciens (allant jusqu'à l'abandon d'une race entière aux mains de ses bourreaux) vont compliquer la tâche de la troupe actuelle et... de façon dramatique !


Si les images ici-même ne le montraient pas assez, cette bande dessinée est considérée comme réservée à un public mature. N'offrez pas ça à votre nièce Capucine de cinq ans qui aime tant regarder My Little Poney... Déjà parce que ce serait une idée vraiment étrange dès le départ : au vu des couvertures, ça ne semble guère "Capucine compatible" mais, en plus, la couverture est, pour une fois, parfaitement révélatrice du contenu, tant au niveau du ton que de la patte graphique.

Car oui, le dessin de Riccardo Federici et la mise en couleurs de Arif Prianto, Allem Passalaqua et Sunny Gho sont tout aussi magnifiques à l'intérieur qu'en couverture. D'une attractivité repoussante (fais péter l'oxymore, GriZZly !), le bestiaire unique de cet univers est magnifique de monstruosité ; tous les êtres engendrés par la Pestefleur ont un design innovant et fascinant, allant de la créature improbable et dégingandée au dragon exhalant une majesté perverse.
Les humains sont eux d'un réalisme frappant et le trait est d'un très haut niveau de qualité constant.
La mise en couleur parachève le travail en appliquant à ce monde un éventail de couleurs tantôt réalistes tantôt magiques dignes de mes meilleurs souvenirs de jeux de rôles d'heroic fantasy.
En effet, il y a pas mal de magie. Ici, elle n'est pas considérée comme un mal ou un bien, mais un moyen d'atteindre une fin. Du coup, plutôt que de s'appuyer sur l'archétype du sorcier maléfique, l'équipe créative rassemble une large pléthore de pratiques et de cultures ayant accès à la magie, leur inventant même des origines diverses en fonction du dieu qui leur a donné naissance, créant un vaste monde qui est lentement découvert à la fois à travers la bande dessinée elle-même et les extraits de textes traditionnels glissés à la fin de chaque numéro et dont nous avions déjà parlé.
D'ailleurs, le tome 2 offre rien moins que la génèse de ce monde qu'est Cain Anuun. Les nouveaux héros vont en effet carrément découvrir les origines de leur univers, l'explication sans fard des premières temps de toute existence... Avouez que peu de BD de fantasy en quatre tomes dévoilent leur univers assez généreusement pour nous offrir sans pudeur une histoire des origines incontestable. Et non seulement c'est lisible et intéressant mais c'est même important pour comprendre les ressorts narratifs de l'histoire que nous lisons et qui a lieu des millénaires plus tard !

Pour finir, si je devais encore relever une qualité évidente de ces albums, ce serait le travail d'édition d'Urban sur ces titres et, surtout, le boulot de traduction de Maxime Le Dain : non seulement la BD en elle-même ne souffre d'aucune erreur et s'offre même le luxe d'user d'une langue belle et noble... mais la novélisation de légendes, de contes et d'histoires anciennes de Cain Anuun qui ponctue les chapitres est toujours rédigée dans un français de qualité littéraire aussi irréprochable qu'authentiquement chargé d'un souffle de fantasy. Du très beau boulot qui vient confirmer que, lorsque l'on s'en donne la peine et que l'on veut bien faire, quand on s'entoure de gens compétents et respectant leur boulot et leurs lecteurs, on peut fournir au public francophone des traductions de comics de haute volée.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La qualité d'édition fait de ces albums des objets de collection égalant facilement les éditions collectors d'autres éditeurs.
  • La qualité de la narration permet à ce comic de rivaliser avec nombre de classiques de la fantasy passée comme contemporaine.
  • La qualité du dessin et de la mise en couleurs donne l'impression que chaque case est une illustration d'ex-libris en édition limitée. J'ai rarement rencontré une telle constance.
  • La qualité de la traduction devrait faire rougir de honte certains pisse-copies que nous ne citerons pas ici mais dont nous avons déjà abordé le travail de tâcheron en ces pages.
  • Foutrement rien, à moins de vraiment détester la fantasy, la lecture ou le contact du papier !
  • Ah, si : si j'ai bien compris, il n'y aura que quatre tomes... et ça, c'est triste !
  • Et puis, le temps passé à admirer ces planches magnifiques est du temps de vie perdu où j'aurais pu faire du Quidditch en courant sur un terrain de foot, habillé en robe de chambre, à califourchon sur un balai à chiottes.
  • Oh... Oui : ça ringardise la grande majorité des BD de fantasy que l'on connaissait avant ça... et à dire vrai, ça met une claque graphique à presque toutes les bandes dessinées de par le monde, aussi... 
  • Finalement, c'est trop bon pour exister, en fait.