Wynd - Volume 1/3 : L'envol du prince
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Vous avez un enfant en pleine adolescence qui aime la bande dessinée ?
J'ai un cadeau idéal qui aura de grandes chances de lui plaire !


Urban Kids est un nom un peu trompeur, dans le cas présent. Cette fois, Urban édite dans sa collection pour gamins une histoire davantage destinée aux plus de 12 ans, minimum. Le vocabulaire en est recherché et l'histoire est assez riche pour paraître complexe aux plus petits. 

Une fois ceci précisé, parlons de Wynd, parce que parfois, j'ai envie d'être content et de dire du bien de certains ouvrages. Et dans un monde où ma compatriote Amélie Nothomb continue à écrire des livres, les occasions de se réjouir sont rares, malheureusement !
 
Cette série en trois bons gros volumes (le premier pèse pas moins de 256 pages) est officiellement un coup de cœur de votre serviteur.
Il va falloir que je détaille pourquoi j'en fais autant des caisses parce que lorsqu'on résume tout simplement l'histoire, ça semble être une de ces rengaines de fantasy mille fois lues... et c'est le cas.
Vous aurez droit à pas mal de poncifs : un gosse différent des autres qui doit cacher une particularité physique aux yeux du monde parce qu'il risquerait d'être persécuté pour cette seule anomalie, une amitié sincère permettant de franchir les épreuves, un amour interdit ou du moins très contrarié, des alliés de circonstance, un grand méchant terriblement costaud et pas mal charismatique, de la magie, de la mythologie... enfin bref, on a quasiment le package complet et ce pourrait être une horreur de banalité et d'ennui.

Mais non. Bien au contraire. Et c'est ici le traitement qui en est fait qui est absolument impeccable. C'est la façon dont le tout est habillé et narré qui fait que ce qui aurait pu n'être qu'une historiette sympathique permettant aux gosses de faire leurs premiers pas dans ce genre de récits devient tout à coup tout aussi passionnant à lire pour un adulte gavé de ce genre de lecture que pour le noob le moins informé à leur sujet !


Wynd semble être un gosse comme les autres, menant une vie plus ou moins banale et peinarde à Tubeville, la dernière ville humaine séparée du reste du monde et de sa nature hostile par des remparts que nul n'a envie de franchir.
Serviable, il aide sa mère adoptive à la taverne qu'elle dirige et folâtre de temps à autres dans les rues et sur les toits de la ville dans l'espoir de voir passer, même de loin, le beau fils du jardinier du palais. C'est que Wynd n'est pas indifférent au charme du musculeux gaillard.

Et là, nous voyons déjà une première subtilité de la narration qui permet à tout le monde de l'apprécier : on présente l'intérêt homosexuel de Wynd, mais ce n'est pas pour autant que cette différence fera l'objet d'une réelle discrimination. Paradoxalement, dans le monde rude dans lequel il vit, ce sentiment semble même accueilli avec assez de bienveillance par tout le monde... Mais James Tynion IV, loin d'être manchot en ce qui concerne l'écriture, nous suggère néanmoins une piste de lecture possible que les plus pertinents des jeunes lecteurs pourraient dès lors envisager, car cette histoire, l'auteur la nourrit depuis son adolescence où, jeune queer, il avait bien des difficultés à exprimer ses sentiments.
L'avantage, c'est que même les personnes touchées de trop près par ce sujet ou, au contraire, les gens mal à l'aise avec cela (il en existe encore) ne seront en rien incommodés par ce crush homo qui est tout simplement... joli. Et c'est une saloperie de mâle cisgenre hétérocentré sans doute vachement oppressif aux yeux de quelques allumés qui vous le dit ! Les rares allusions à ce coup de foudre sont mignonnes même à mes yeux d'ours ardennais. Le thème est effleuré avec tendresse mais ne monopolise en rien la narration.

En effet, même s'il offre à ses jeunes lecteurs un indice du thème qu'il compte aborder, le comic va néanmoins se faire métaphorique et raconter la lutte de Wynd contre une autre discrimination, bien plus facile à appréhender et bien moins polémique puisque totalement fictive : Wynd n'est pas un humain comme les autres, il arbore des oreilles pointues, comme un elfe, qui ne cessent de grandir et, durant ses nuits agitées, il se rêve se transformant en une énorme et sinistre créature ailée. Il est de ces êtres que la magie brute de ce monde a effleurés et qui s'en voient transformés.

À Tubeville, les gens comme lui, les sang-blets, ne sont pas les bienvenus et, pire que ça, depuis peu, ils sont à nouveau traqués et mis à mort par l'impitoyable chasseur nommé l'Écorché.

Pas le choix : le pauvre Wind, qui n'aspire pourtant qu'à vivre une paisible existence de commis de cuisine, va devoir fuir cette ville, lui qui n'a jamais rien connu d'autre que ses ruelles et ses places.

L'amitié qui le lie à Olyve, la fille de sa mère adoptive, fera d'elle une alliée dans cette fuite. Mais elle ne sera pas la seule. Un heureux concours de circonstances et de dramatiques événements vont lier son destin de fuyard à ceux de Ronsse et Yorik, respectivement le fameux fils du jardinier qui plaît tant à Wynd et rien moins que le prince de Tubeville. Yorik, pour des raisons qui lui sont propres, a en effet déserté son royaume, aux mains de son père mourant, pour partir abolir les Lois du Sang, ces fameuses règles ancestrales déclarant qu'aucune créature magique ni aucun humain touché par la magie et affichant des difformités puisse jamais vivre au sein de la dernière cité des hommes.

L'ouvrage, comme vous le voyez, pourrait n'être qu'un assemblage de recettes déjà exploitées maintes fois auparavant. Mais Wynd, c'est plus que la somme de ces petites histoires et c'est plus que le récit global. Wynd est un comic qui a une personnalité qui lui est propre et une écriture qui mérite amplement quelques compliments.


Wynd évolue dans un univers totalement original conçu dès sa jeunesse par le scénariste James Tynion IV (qui a travaillé sur un paquet de licences DC dont Batman, les Tortues Ninja, Wonder Woman ou Constantine mais aussi, comme ici, chez Boom Studios avec The Backstagers, par exemple). Ici, il collabore pour la seconde fois avec le dessinateur grec Michael Dialynas (après The Woods, paru chez Boom).

Les deux hommes firent de Tubeville l'une de ces cités méditerranéennes à niveaux multiples comme Dialynas a dû en voir quantité chez lui ; mais une cité couverte de graffitis floraux laissés là par tant d'humains ayant besoin de se remémorer cette flore dans une ville qui considère toute forme de nature végétale comme une menace. Car en effet, c'est par elle que vient la corruption magique : par les fleurs-fadets...

Ce seul concept est déjà porteur de nombre de messages que vous ne manquerez pas de relever (il existe des êtres différents mais c'est la faute de la nature...) mais ne nous arrêtons pas là... 
Wynd fourmille certes de petites idées scénaristiques dont chacune cache une signification pertinente mais là n'est pas sa seule force.
Wynd a une énorme qualité : il se laisse le temps.

Voici enfin une BD qui nous autorise à profiter des rapports de complicité entre ses protagonistes, qui nous permet de passer du temps avec eux, avec leurs rêveries, avec leurs dilemmes. Nous les comprenons, compatissons, faisons preuve d'empathie envers eux... Vous apprendrez à aimer ces personnages malgré leurs défauts, et parfois même grâce à eux. C'est très bien écrit, les rapports entre les personnages sont crédibles et aucune incohérence scénaristique ou psychologique ne vient troubler ce bel ensemble.

Du point de vue du dessin, c'est très net, propre et bourré de références à d'autres histoires, d'autres univers de fantasy, comme cette scène en barque où nos amis encapuchonnés s'entassent et que je ne saurais dissocier de mes souvenirs de lecture des livres de Tolkien et de ses petites gens aux pieds poilus...

La mise en couleurs est douce mais suffisamment expressive pour parvenir, ponctuellement, à nous transmettre aussi toute la violence et l'horreur de cet univers qui peut se montrer implacable. Car oui, et c'est l'ultime raison pour laquelle je ne conseillerais pas cette lecture à de trop jeunes enfants, la violence graphique comme psychologique y est présente et d'autant plus impactante qu'elle touche des personnages avec lesquels nous avons eu le temps de lier des sentiments.

Les quatre compagnons s'engageront donc dans une quête initiatique qui les fera tous grandir à leur façon.
Wynd découvrira qu'il est bien plus exceptionnel que ce qu'il le soupçonnait, Olyve va être son indéfectible Sam Gamegie, Ronsse se révèlera être un homme doté d'une âme généreuse et belle, et le prince Yorik, lui, pour cassant et égocentrique qu'il puisse sembler, va peu à peu craqueler cette coquille et donner à voir un personnage touchant de fragilité et d'humanité.

Bien sûr, au sortir de la ville, Wynd comprendra que la nature extérieure n'est pas telle qu'on la lui a toujours décrite. Il s'y fera même d'étranges et envoûtants alliés qui mettront à mal ses préjugés... lui qui pensait n'être que la victime des a priori, il devra bien se résoudre à admettre qu'il en nourrit aussi !

L'on prendra un grand plaisir à marcher dans leurs pas et je nourris de grandes attentes en ce qui concerne les deux volumes à venir que j'espère au moins aussi intéressants, sensibles et intelligents que celui-ci... avec, en plus, un goût d'aventure, de voyage et d'exotisme supplémentaire.

Qu'est-ce que ça va être bien !

Alors, pour les plus neuneus des Jean-Kévin qui liraient ceci et qui n'auraient rien entravé à tout ce que j'ai écrit, je me permets d'être clair une bonne fois pour toutes : si vous êtes un ado ou que vous en avez gardé un peu l'âme, si vous aimez les univers originaux, les histoires bien écrites, les personnages authentiques et touchants et les messages de tolérance transmis avec finesse : foncez lire ce bouquin !

Vous attendez quoi, là, au juste ? Allez, je vous dis : foncez !



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • C'est bien écrit.
  • Les personnages sont bien développés.
  • L'univers est original.
  • Le dessin et les couleurs sont efficaces.
  • L'ouvrage sait prendre son temps.
  • Le message est amené avec assez de subtilité pour ne pas être lourdingue.
  • Je n'ai aucune envie d'attendre avant de lire les deux autres volumes.
  • "Au-delà de la nuit, dans le Kalahari, le lion va, rugissant comme un grand chat qui miaule, car le sable brûlant chauffe ses roubignoles." 
    Ben quoi ? Je n'ai rien d'autre à dire, alors je meuble !