Spécial Cthulhu #3 : Au Cœur du Mythe
Publié le
20.5.24
Par
Nolt
On commence bien entendu par le cœur du mythe, les nouvelles de H. P. Lovecraft. Elles sont disponibles en de nombreuses versions, plus ou moins intéressantes et abouties. Impossible de ne pas conseiller l'intégrale en trois énormes tomes publiée chez Robert Laffont, dans la collection Bouquins. Non seulement ces livres contiennent tous les récits liés au mythe de Cthulhu, mais aussi les autres travaux de Lovecraft (parfois même en tant que "nègre", donc non signés de son nom à l'époque). L'on retrouvera également des poèmes, des essais et différents éléments revenant sur la vie de l'auteur. Difficile de faire plus complet.
Plus recentrés sur le mythe (et non son auteur), ces carnets, consacrés à chaque fois à une seule nouvelle, sont édités par Bragelonne. Leur particularité réside dans le fait que le texte est accompagné d'illustrations réalisées par Armel Gaume.
Comme vous pourrez le constater sur la photo ci-dessous, il s'agit en fait de crayonnés au style bien particulier. Les jeux d'ombre évoquent parfois plus les lieux et les personnages qu'ils ne les "dessinent" vraiment. Ce n'est pas inintéressant, c'est même parfois assez joli et efficace, mais le style aride et certaines silhouettes simplement ébauchées ne conviendront pas forcément à tous les lecteurs.
Ne pas s'attendre, en tout cas, à quelque chose de très impressionnant.
Pour les lecteurs qui seraient plus attirés par les versions originales, là encore, il existe moult ouvrages et coffrets. Nous allons cependant signaler ici un livre destiné aux jeunes lecteurs (ou au moins jeunes souhaitant perfectionner leur maîtrise de la langue de Poe) : la version Harrap's de la nouvelle The Call of Cthulhu.
Il s'agit en fait du récit en anglais accompagné de notes permettant de faciliter sa compréhension. À chaque début de chapitre, un petit résumé vous permet de saisir les grandes lignes du début du texte. Puis, chaque mot ou expression pouvant poser problème est surligné et les traductions correspondantes sont présentes dans la marge de chaque page.
Une méthode excellente sur laquelle pourraient se baser bien des professeurs (difficile de faire plus sympa comme approche, c'est en tout cas, avec les comics, l'un des supports les plus attractifs).
Il s'agit à la base d'un ouvrage imaginaire, ayant son importance dans le mythe, et qui est devenu réalité en 1977 grâce à la librairie ésotérique new-yorkaise The Warlock Shop.
Les Éditions Bragelonne ont adapté en 2023 ce gros (1,44 kg) et épais (888 pages) bouquin qui comprend plusieurs parties (Les Noms morts : l'histoire secrète du Necronomicon et les circonstances de sa découverte ; le Necronomicon en lui-même ; un livre de sorts à utiliser à vos risques et périls, allant du franchissement de Portes permettant de rejoindre le domaine de puissantes entités au simple et plus trivial booster permettant d'augmenter vos capacité sexuelles ; Les Portes du Necronomicon : un document revenant sur les origines des sorts décrits ; et un cahier d'illustrations en couleurs).
C'est un peu cher (45 euros) mais soigné, avec un aspect grimoire très bien rendu, une jolie couverture, douce au toucher et très épaisse, et un papier bénéficiant d'un aspect vieilli de circonstance. Voilà qui permettra de frissonner un peu en replongeant dans le passé trouble et terrifiant des Grands Anciens !
Ce livre est bien évidemment un objet de collection mais il est aussi considéré par certains comme une véritable passerelle vers l'occultisme, ce qui l'entoure d'une aura de mystère supplémentaire. Et bien entendu, si en tant que Maître de Jeu, vous pouvez le brandir durant une partie de L'Appel de Cthulhu, ça devrait faire son petit effet !
Notons qu'il existe une version, bien plus courte et bien moins jolie, qui fut à l'époque publiée par J'ai Lu.
Il existe, là encore, bien des tentatives de transposition du monde terrifiant et surnaturel de Lovecraft en dessins et phylactères. Et bien souvent, le résultat n'est pas franchement à la hauteur. Prenons l'exemple de Dagon et L'Appel de Cthulhu, récits adaptés en BD au sein d'un même ouvrage édité l'année dernière par Contre-Dires.
L'adaptation est réalisée par Dave Shepard, un dessinateur britannique au style très cartoony. Et c'est là le premier défaut majeur de l'ouvrage : le style des dessins. Alors que les personnages évoquent des créatures abominables, des constructions cyclopéennes, des visions épouvantables, l'illustrateur peine à rendre le côté horrifique et démesuré des lieux et monstres. Tout est très gentillet, lisse et finalement presque enfantin. Ce n'est pas "moche", loin de là, c'est simplement totalement inadapté (et c'est loin d'être un cas unique, j'avais notamment souligné le même problème dans le magazine Geek, en février 2011, à propos de l'adaptation très naïve, par Culbard, de la nouvelle Les Montagnes Hallucinées).
Pire encore, si l'on poursuit plus avant l'analyse de certains plans, cette BD contient des maladresses étonnantes. Ainsi, alors que le texte fait référence à une "immensité bleue" (l'océan, sans fin), la case étant censée illustrer ce sentiment d'infini est bien trop centrée sur l'embarcation humaine et s'avère particulièrement étriquée (alors que la plupart des planches contiennent deux ou trois cases maximum et que les dessins pleine-page sont nombreux). Cela pose un réel problème de dichotomie entre ce qui est dit et ce qui est montré.
Autre détail, les énormes marges blanches n'aident pas non plus à construire une atmosphère sombre et étouffante. Il s'agit ici d'un choix hasardeux, voire d'une fausse note, qui ne facilite en rien à l'immersion du lecteur dans l'histoire.
Bref, pour adapter Lovecraft en dessin, il faut du grand, du spectaculaire, du sombre, du terrifiant.
Voilà une réussite avec des textes illustrés publiés en grand format chez Bragelonne. L'Appel de Cthulhu, par exemple, bénéficie de magnifiques planches dessinées par François Baranger.
Ce dernier, dans un style sombre, minutieux, à la précision parfois photographique, va notamment représenter de fort belle manière les flots déchaînés, une R'lyeh menaçante ou un Cthulhu gigantesque. On est là dans une approche efficace, bien différente de celle évoquée dans le chapitre précédent.
Certes l'on demeure parfois dans l'évocation, avec des dessins souvent nimbés d'ombre, d'écume, de brume et de fumée, mais cela permet aussi de garder un semblant de mystère. Et bien que tout ne soit pas forcément aussi spectaculaire et dérangeant que les descriptions de Lovecraft, l'atmosphère générale est tout de même bien rendue.
Il existe également une adaptation, dans le même format, des Montagnes Hallucinées (en deux tomes, par le même illustrateur).
Déjà de son vivant, Lovecraft a suscité bien des passions autour du panthéon cauchemardesque qu'il a inventé. Plusieurs de ses amis auteurs ont d'ailleurs contribué à enrichir le mythe, avec plus ou moins d'aisance. De nos jours, la passion est intacte et les contributions encore nombreuses.
Commençons, dans cette sélection d'ouvrages liés au Grand Cthulhu, par l'excellent Neonomicon d'Alan Moore. Dans cette adaptation très "méta", l'auteur parvient à rendre l'ambiance du mythe tout en permettant aux personnages d'y faire référence régulièrement. Il ne se contente pas d'adapter l'une des nouvelles de Lovecraft, ni même d'emprunter son bestiaire, il modernise l'ensemble, le redéfinit, lui donne un nouveau sens, aussi inattendu qu'inquiétant. La partie dessin est assurée par Jacen Burrows qui parvient à retranscrire le niveau (gigantesque) de violence et de perversion tout en demeurant souvent dans la suggestion ou le malaise et en évitant l'excès de gore. Un petit exploit.
Bref, c'est intelligent et efficace.
Du même auteur, l'on peut aussi conseiller la série Providence (cf. cet article).
Dans un style complètement différent, l'on peut citer Le Jeune Lovecraft, paru chez Diabolo. Il s'agit d'un petit album, au format à l'italienne, qui s'aventure dans le domaine de l'humour et de la parodie. Une curiosité, en quelque sorte, à réserver aux fans.
Dans une approche plus sérieuse et effrayante, l'on retrouve la série Arkham Mysteries, entre aventure pulp et horreur fantastique, avec de nombreuses références et la présence de Lovecraft lui-même en tant que personnage. Le tout dans un style graphique sombre et fort joli.
Bien évidemment, impossible d'être exhaustif tant les œuvres de tout genre s'inspirant du mythe de Cthulhu sont nombreuses. En DVD, vous trouverez également des adaptations plus ou moins libres (et plus ou moins réussies), comme Dagon (2001) de Stuart Gordon, Le Territoire des Ombres (2010) de José Luis Alemán ou encore Color out of Space (2019) de Richard Stanley.
Pour rester dans les nouvelles, je ne peux que vous conseiller également Sur les traces de Lovecraft, une anthologie, à laquelle j'ai eu la chance de participer, sortie chez Nestiveqnen. Ma contribution, la nouvelle Retour au Wewelsburg, est également disponible (dans une version révisée) dans le recueil Jour de Neige.
Voilà pour ce tour d'horizon (incomplet) des récits écrits ou inspirés par Lovecraft. Nous reviendrons, dans le prochain article, sur l'aspect ludique avec la première version, bien vintage, du jeu de société Horreur à Arkham. En attendant, nous terminons avec des représentations un peu spéciales du grand Cthulhu !
Cthulhu
Sous l'appellation The Ancient One Tribute Box, l'on découvre une figurine d'environ 11 cm représentant un Cthulhu, de bonne facture, sur son socle orné de hiéroglyphes. Elle est accompagnée d'un petit livret (qui n'a pas grand intérêt) énumérant quelques œuvres ayant cité l'entité cosmique. Pour 22 euros, ça se tente.
Et nous terminons avec la version pop, reconnaissable pour une fois.